Conclusion de la deuxième partie

Les trois chapitres précédents déclinent les formes d’interaction entre gentrification et investissement d’un espace par les gays. Ces interactions illustrent les rôles multiples et plus ou moins intenses des gays dans la gentrification des deux terrains concernés. Dans le Village comme dans le Marais les commerces gays ont eu un rôle réel et singulier dans la gentrification locale et notamment dans sa composante commerçante. Accompagnateurs, pionniers ou suiveurs, les commerces gays ont misé sur des localisations singulières au début des années 1980 et ont surtout favorisé des modes de vie et de consommation étroitement liés aux modes de vie des nouveaux venus du quartier. De la même manière, les gays ont produit et suscité des images valorisant certains symboles et certaines valeurs proches des systèmes de représentations et de valeurs sélectionnés par la gentrification et adoptés par les gentrifieurs. Au-delà des investissements massifs et conjoints de certains espaces urbains, c’est aussi sur d’autres terrains que se joue la rencontre en homosexualité et gentrification : celui des modes de vie et des types de consommation, celui des ambiances et du cadre de vie, celui des valeurs, des symboles et des croyances. Les aspects résidentiels du processus montrent aussi comment les gays constituent à la fois des acteurs de la gentrification d’un quartier mais aussi, pour certains d’entre eux, des pionniers de la reconquête d’espaces urbains peu attractifs auparavant. Cette implication multiple et plus ou moins intense ne doit pas masquer son caractère socialement et historiquement « exceptionnel ». D’abord, les années 1990 et 2000 montrent que les commerces gays et les images du quartier sont plus hétérogènes que par le passé et que le rôle des gays dans la gentrification n’est pas uniforme dans le temps. Ensuite, tous les gays ne sont pas acteurs du processus au même titre, ni de la même manière : le chapitre 6 montre que certains profils homosexuels sont davantage impliqués dans les transformations résidentielles que d’autres, tandis que des gays moins favorisés, plus âgés ou plus jeunes, ne sont pas aussi conquérants que la génération charnière des 35-50 ans. Enfin, les formes de la gaytrification ne sont pas non plus homogènes selon les contextes urbains : les différences et les écarts à ce sujet entre Paris et Montréal montrent que le contexte local (morphologie et histoire du quartier) et le contexte socio-culturel (l’image et les conditions de vie des gays) influencent largement la place des gays dans la ville, dans le quartier et dans ses transformations récentes. Il faut donc insister sur la confirmation empirique de certaines hypothèses au sujet des gays comme acteurs de la gentrification, et, en même temps, nuancer l’idée d’acteurs homogènes, constituant un collectif cohérent et collectivement mobilisé dans la conquête d’espaces urbains aux vertus émancipatrices et identitaires. C’est cette diversité des situations et des parcours individuels qui interroge à présent. Elle suppose un changement d’échelle d’analyse et conduit à une nouvelle entrée méthodologique en substituant, à présent, celle des « gaytrifieurs » à celle de la gaytrification.