Troisième partie : sociologie des gaytrifieurs.

L’intitulé de cette troisième partie rappelle avec force le parti pris adopté dans les deux chapitres qui la composent. Dans l’économie générale d’une sociologie de la gaytrification, cette partie se propose donc de construire une sociologie des gaytrifieurs. La nuance n’est pas anecdotique car elle traduit un changement d’échelle d’analyse dans le raisonnement. Jusqu’à présent, on a décrit, analysé et expliqué une partie des logiques, des formes et des dynamiques historiques des processus de gaytrification, en saisissant le rôle des gays dans la gentrification à des échelles, le plus souvent, macroscopiques : la ville, le quartier, les commerces, la construction des images du quartier, les échelles historiques du changement urbain et du changement social. On y a observé et mis en relief des corrélations historiques, structurelles ou conjoncturelles, entre présence homosexuelle et gentrification dans le Village et le Marais. Une sociologie des gaytrifieurs tente de resserrer la focale sur des phénomènes sociaux plus microscopiques en privilégiant des outils et des indicateurs plus fins. D’une certaine manière la question d’ensemble est toujours la même : comment et pourquoi homosexualité et gentrification se rencontrent-elles dans le monde social ? Mais le cadre de cette rencontre change profondément dans cette partie et correspond, de manière générale, à l’échelle de l’individu. Comment se rencontre alors, « en lui », l’homosexualité et la gentrification, c’est-à-dire, le fait d’être gay et d’être, ou de pouvoir être, « gentrifieur » ? Cette échelle d’analyse n’est ni contradictoire, ni incompatible avec la précédente : il est par exemple nécessaire de tenir compte d’un contexte historique pour comprendre les modalités de la rencontre identitaire entre « gay » et « gentrifieur ». Être gay dans les années 1980 et dans les années 2000 sont deux choses bien différentes, être gentrifieur pionnier en début de processus ou être gentrifieur « suiveur » par la suite également. Néanmoins, il faut insister sur le caractère « plus micro-sociologique » de cette partie dans laquelle il s’agit de comprendre pourquoi et comment des gays s’installant dans le quartier peuvent apparaître comme des gentrifieurs spécifiques. La question de cette spécificité est informée par la connaissance sociologique déjà bien établie des gentrifieurs dans leur ensemble (Authier, 2001, 2008 ; Bidou-Zachariasen, 2003, 2008 ; Collet, 2008) et suppose d’investir deux dimensions de la « vie » de ces gaytrifieurs. Le chapitre 7 explore d’une certaine manière ce que signifie « être gaytrifieur » : comment, dans ce qu’ils sont, les individus concernés illustrent-ils les relations sociologiques entre être gay et être gentrifieur ? Cette question renvoie à celle des identités sociales, produits des parcours biographiques et des trajectoires sociales, et à l’enjeu de la place du quartier dans ces trajectoires. Le chapitre 8 s’interroge, quant à lui, sur ce que signifie « agir et vivre en gaytrifieur » : comment, dans ce qu’ils font, les individus concernés illustrent-ils les relations sociologiques entre « agir en tant que gay » et « agir en tant que gentrifieurs » ? Cette interrogation amène à traiter des modes de vie, des pratiques et des représentations de ces populations, et à examiner la place du quartier dans ces modes de vie. Rappelons qu’un choix important a été fait dans cette optique puisque nous évoquerons ces questions dans le cas d’individus gays ayant habité à un moment de leur vie dans le Village et le Marais pour des raisons déjà évoquées (chapitre 3).

L’analyse des parcours et des modes de vie de cette population occupera ainsi les deux chapitres de cette troisième partie. Dans quelle mesure permet-elle de comprendre les dimensions micro-sociologiques de la gaytrification ? En quoi les parcours et les pratiques des individus renseignent-ils sur les transformations du quartier ? En quoi leurs rapports résidentiels au Marais et au Village informent-ils sur les spécificités de la gaytrification et sur les significations sociologiques du fait d’être gay ?