Conclusion

Dans ce chapitre, on souhaitait reconstruire les trajectoires des gays venus habiter le Village et le Marais pour comprendre plus finement la signification sociologique de leur présence résidentielle dans le quartier. L’examen des 52 trajectoires sociales des enquêtés fournit des informations considérables : elles montrent d’une part l’importance des différenciations inter-générationnelles et d’autre part le caractère particulièrement mobile des parcours homosexuels reconstruits. Ces trajectoires produisent des positions sociales situées dans les classes moyennes et supérieures : elles sont à la fois homogènes (par opposition à d’autres types de populations) et contrastées (différenciations internes en termes d’âge, de revenus, d’emplois et de statuts professionnels). On y retrouve ainsi un paysage sociologique de gentrifieurs, ce qui suppose, en réalité des facteurs grossiers d’unité (appartenir aux classes moyennes et supérieures, habiter un ancien quartier populaire) et surtout une palette variée de type de gentrifieurs. Dans ce contexte, on a voulu souligner ce qui paraissait spécifique aux homosexuels : un rapport à la famille et au couple, un rapport à l’espace et à la mobilité, un rapport au temps et au cycle de vie, notamment. Ces éléments de spécificité expliquent en partie le partage de certaines expériences résidentielles, mais des facteurs plus « lourds » viennent fragiliser l’idée de destinées résidentielles communes : les écarts Paris-Montréal et la date d’entrée dans le quartier sont les plus marquants à ce sujet. Le choix du quartier peut dès lors correspondre à des combinaisons de motifs plus ou moins marquées du sceau de l’homosexualité, mais aussi par des discours typiques de gentrifieurs. Articuler les conditions biographiques et historiques d’installation dans le quartier aux parcours sociaux et biographiques permet de mieux comprendre ce que le quartier signifie objectivement et subjectivement pour les individus. En retour, au-delà d’un regard figé et homogénéisant porté sur les quartiers gaytrifiés, cette démarche montre qu’il est le lieu de cohabitation et de confrontation de différentes expériences socio-spatiales et de différents rapports au quartier. Ces deux aspects essentiels de la recherche se confirment amplement par l’examen des pratiques du quartier dans le chapitre suivant.