Chapitre 8 : Les modes de vie entre logement, quartier et sociabilités.

Si les gaytrifieurs se caractérisent par des parcours et des expériences sociales particulières, la compréhension de leur mode de vie et de leurs rapports au Marais et au Village passe aussi par l’étude de leurs pratiques concrètes de ces quartiers. L’analyse des pratiques résidentielles des habitants est une démarche classique en sociologie urbaine : à partir d’un cadre spatial (le quartier) et d’une série d’indicateurs des pratiques (déplacement et présence, fréquentation et consommation, connaissances et relations, etc.), elle vise à analyser concrètement ce que des individus font et ne font pas dans un quartier, voire ce qu’ils font et ne font pas d’un quartier. Le classicisme de la démarche s’enrichit, dans notre cas, de deux présupposés implicites. Le premier renvoie au contexte « gentrifié » du terrain (les deux quartiers investis et la population interrogée) qui accompagne généralement des pratiques du quartier intensives contribuant à en faire une ressource sociale valorisée et valorisante. Dans un quartier gentrifié, les gentrifieurs se caractérisent généralement par un investissement matériel et affectif, symbolique et pratique, physique et relationnel du logement, du quartier et du voisinage environnant67. Le deuxième présupposé renvoie au contexte « gay » du terrain (les deux quartiers investis et la population interrogée) qui signifierait a priori une relation intense entre le fait d’être gay et d’investir un quartier gay, aussi bien matériellement et physiquement que symboliquement et affectivement. La présence résidentielle des gays dans un quartier gay correspondrait à la mise en correspondance entre une appartenance identitaire, voire communautaire, et des pratiques résidentielles déterminées par une orientation sexuelle. Mises en relation, ces deux hypothèses reformulent deux questions centrales de cette thèse à l’échelle des pratiques individuelles et résidentielles des habitants gays : en quoi les pratiques et les modes de vie des habitants gays ont-elles un pouvoir gentrifiant sur le quartier ? Ce pouvoir gentrifiant est-il spécifique ou les gays ne sont-ils là encore « que » des gentrifieurs comme les autres ? Pour y répondre, on abordera les pratiques résidentielles par trois entrées : le logement, les activités et modes de vie dans le quartier et les sociabilités.

Dans une première section, on montrera que le logement est l’objet d’investissements multiples et variés, caractéristiques des pratiques de gentrifieurs. Ces investissements varient selon les ressources disponibles, les générations et les statuts d’installation. Le fait d’être gay introduit par ailleurs des usages et des significations du « chez soi » singuliers sur lesquels on insistera. Dans une deuxième section, on montrera que nos enquêtés développent des usages du quartier guidés par la centralité et les pratiques de proximité. Le quartier est investi par des modes de vie qui présentent des traits homogènes mais aussi des variations en fonction des parcours et des attentes résidentielles de chacun, en particulier en ce qui concerne la place des lieux gays dans les pratiques du quartier. Une dernière section montrera que les sociabilités locales se construisent de manière socialement sélective : certains contextes favorisent plus ou moins l’entretien et l’intensité de relations de voisinages au-delà d’un entre-soi homosexuel. Dans ce contexte, on examinera alors les formes et les limites du « quartier village ».

Notes
67.

Ce présupposé est en partie caricatural, certains cas de gentrification montre des nuances à ce sujet (Clerval, 2008b).