3. Le quartier : une ressource de sociabilité ?

Dans les rapports que les habitants gays construisent à leur lieu de résidence se déploient et se construisent des relations sociales dont on sait qu’elles peuvent constituer des ressources valorisées et valorisantes dans de tels quartiers et pour des populations de gentrifieurs. Leur ampleur et leur nature doivent être examinées à la lumière d’un contexte particulier. D’abord nos enquêtés sont gays et cette caractéristique est susceptible d’influencer leurs relations sociales : en nouent-ils avec des gays et des gays du quartier ? L’homosexualité est-elle, de ce point de vue, une entrave ou un atout dans le quartier ? Ensuite, nos enquêtés n’ont pas tous le même statut social, ni les mêmes ressources de sociabilité alternatives au quartier : le quartier constitue-t-il une plaque tournante dans l’ensemble de leurs relations sociales ? Le quartier est-il un support spécifique de sociabilités ? Enfin, dans un contexte « gentrifié », l’intensité et la convivialité des sociabilités de quartier constituent l’un des ressorts de l’image du « quartier-village » : qu’en est-il pour nos enquêtés ? Ont-ils cette représentation de leur quartier ? Le pratiquent-ils réellement sur un mode villageois ? On insistera dans cette section sur deux résultats essentiels de l’analyse des sociabilités. En premier lieu, on montrera que les relations de voisinage sont d’une intensité variable et très sélectives socialement: l’endogamie socioculturelle semble plus structurante que l’entre-soi homosexuel mais le fait d’être gay oriente les sociabilités vers certains voisins et certaines voisines aux profils spécifiques. En second lieu, on montrera que l’image du « quartier-village » est nuancée par l’analyse des sociabilités de quartier : elles sont plus ou moins intenses, plus ou moins appréciées et montrent la cohabitation de plusieurs « villages », peu reliés entre eux. La majorité des enquêtés manifeste une nostalgie pour un mode de relations locales qu’elle n’a souvent pas vécu elle-même. On montrera aussi que le quartier peut être moteur mais surtout réceptacle des sociabilités, celles-ci se construisant aussi ailleurs.

Avant cela, une précision s’impose quant à la manière de traiter les sociabilités dans le manuscrit. Nous avons interrogé les enquêtés sur l’ensemble des sociabilités (amis, famille, travail), sur l’intensité et les formes de l’ensemble de leurs relations sociales. Mais, dans le manuscrit avons traité les sociabilités dans leurs relations aux processus étudiés (trajectoires, pratiques du quartier et du logement). Il n’y a donc pas, dans le texte, de « tableau » d’ensemble des pratiques de sociabilité, ce tableau reconstitué par les entretiens est mobilisé en filigrane quand sa signification informe les processus socio-spatiaux étudiés (trajectoires sociales au chapitre 7 ou investissement du quartier dans ce chapitre-ci).