Conclusion

Pour conclure ce chapitre, on peut rappeler qu’il révèle des convergences entre les modes de vie de nos enquêtés et les traits dominants des modes de vie des gentrifieurs mais aussi les spécificités des parcours et des pratiques des gays habitant sur nos terrains : c’est vrai au sujet des rapports au logement, au sujet des sorties et des commerces du quartier, au sujet du voisinage et des sociabilités de quartier. Dans la continuité de l’analyse des trajectoires, on constate aussi que notre population n’est pas uniforme. Les quelques travaux empiriques qui ont interrogé le rôle des gays dans les processus de gentrification brossent finalement un portrait relativement homogène, voire désincarnée, d’une « communauté » gay investissant et revalorisant un espace laissé à l’abandon jusqu’ici (Castells, 1983 ; Bouthillette, 1994). On retrouve ici certains éléments allant dans ce sens : certains aspects des modes de vie analysés dans ce chapitre sont partagés par la grande majorité des enquêtés et ont effectivement eu un effet sur les métamorphoses des deux quartiers. Pourtant, il existe des façons multiples de devenir et d’être gaytrifieur au quotidien dans le Marais et le Village : les usages et les géographies internes des deux espaces montrent des contrastes, des rapports au quartier et à son homosexualité très diversifiés. C’est aussi sur cette diversité qu’il faut mettre l’accent. La variable « gay » a bien des effets propres mais ces effets ne se manifestent pas avec la même intensité ni sous les mêmes formes selon les parcours et les ressources des individus : le rôle des gays dans les transformations du Village et du Marais n’est pas unique, mais se décline en différentes facettes temporelles (pionniers, suiveurs, bénéficiaires), spatiales (lieux très gays, commerces, espace public du visible, immeuble, bloc, appartements, lieux mixtes et lieux moins visibles) et sociales (réseaux professionnels locaux, voisinage, lieux culturels, bars, associations). On a beaucoup insisté sur les pratiques individuelles et sur leur capacité à transformer les lieux et l’espace urbain par le prisme du quartier. Reste à présent à renverser la perspective en s’interrogeant sur les capacités du quartier et des lieux à transformer les individus. C’est l’objet de la dernière partie de cette thèse qui propose une analyse des effets socialisateurs de l’espace urbain à partir des terrains et des populations de l’enquête : elle occupe les deux prochains chapitres.