Conclusion de la troisième partie

L’entrée choisie dans cette partie permet d’enrichir la compréhension sociologique des logiques de la gaytrification. L’analyse des parcours et des rapports au quartier des enquêtés montre que la gaytrification n’est pas seulement qu’une rencontre historique entre deux transformations urbaines conjuguées dans les limites du quartier. Elle renvoie plus précisément à ce que sont sociologiquement les gays interrogés et à ce qu’ils font au regard des ressources et des contraintes spécifiques que leurs parcours et leurs modes de vie impliquent. Les trajectoires sociales et biographiques des gaytrifieurs éclairent le sens qu’ils donnent au Marais et au Village et le sens que prennent ces deux quartiers dans leur vie. D’une part, ce sens du quartier influence leurs pratiques et leurs modes de vie. D’autre part, ce sens varie en fonction des trajectoires sociales et des parcours biographiques des individus. De ce point de vue, les gays qui investissent ou ont investi le quartier ne composent pas une population aussi homogène qu’il n’y paraît et ils ne sont pas tous investis dans la gentrification de la même manière, avec la même intensité ou pour les mêmes raisons. Les chapitres 7 et 8 montrent également que la population interrogée est spécifique à plus d’un titre. Cette spécificité renvoie à des propriétés sociales, des parcours et des attributs socioprofessionnels et des trajectoires familiales et affectives particulières. Mais elle renvoie aussi, pour partie, au fait d’être gay et à ses conséquences sociologiques : des pratiques comme celle des études en milieu populaire, celle de la conjugalité, celle du repas ou des courses d’alimentation, celle de l’accession à la propriété ou des travaux dans le logement, ou encore, celle de la sociabilité locale, laissent apparaître les effets sociologiques de l’homosexualité vécue dans de tels espaces et à ce moment-là. Derrière les variables du type de ménage ou de la position socio-professionnelle, se construisent aussi les effets de la variable « orientation sexuelle » en ce qu’elle rend plus probable telle ou telle position dans l’espace social. Au-delà de la diversité interne des parcours et des modes de vie, les gays ne sont alors pas des gentrifieurs tout à fait comme les autres. Distinguer les gays parmi la constellation des gentrifieurs constituait une hypothèse centrale de cette recherche (chapitres 1 et 3) et cette hypothèse est largement validée par la troisième partie de cette thèse. Une telle distinction ne repose ni sur une différence « naturelle » entre homosexuels et hétérosexuels, ni sur une identification subjective à une « communauté gay » isolée du monde social. En réalité, elle renvoie à ce qu’engage le fait d’être gay dans telle société, tel quartier et à telle époque. Or, dans bien des cas, le fait d’être gay dans un tel contexte oriente un certain nombre de trajectoires, engage certaines bifurcations et certaines pratiques, infléchit certains modes de vie, certains types de consommation et certains rapports aux espaces urbains et aux autres. La sociologie des gaytrifieurs rend alors compte des raisons sociologiques de l’implication des gays dans les processus de gentrification. Mais l’échelle micro-sociologique adoptée ici amène aussi à s’interroger sur d’autres dimensions de la gaytrification, notamment en termes d’effets biographiques et de socialisation par le quartier : c’est ce que permet de comprendre la quatrième et dernière partie de la thèse.