Conclusion

L’entrée choisie dans ce chapitre est délibérément « plus homosexuelle » que l’approche générale de la thèse. Deux raisons peuvent l’expliquer. D’une part, les chapitres précédents ont montré que la variable « gay » possédait un pouvoir spécifique au regard de l’analyse des parcours de gaytrifieurs et des dynamiques de gaytrification des deux quartiers. D’autre part, ce sont surtout les entretiens qui ont montré que l’homosexualité des enquêtés n’était pas un élément anecdotique car elle construisait des expériences sociales et spatiales sans équivalent. Dès lors, ce chapitre permet de reconstruire sociologiquement les identités gays selon un processus séquentiel de « carrière gay » qui répond aux exigences d’une sociologie des homosexualités (chapitre 2) : on y comprend mieux les différentes manières d’être gay selon les moments où on se situe dans cette carrière. Par ailleurs, l’analyse des carrières gays resitue le rôle du Village et du Marais dans les manières de vivre son homosexualité. D’une part, la relation entre espaces et identités n’est ni mécanique, ni stable : il existe des moments du soi où l’on se sent ici plus ou moins « chez soi ». D’autre part, l’espace du quartier gay n’est pas non plus réductible à une surface d’enregistrement d’identités homosexuelles constituées une bonne fois pour toutes et agrégées dans une « communauté gay ». Au contraire, les lieux gays et le quartier gay constituent des instances de socialisation, à travers lesquelles l’espace urbain contribue à façonner, produire et transformer des identités sociales. Les bars, restaurants et discothèques ne sont pas seulement des espaces récréatifs et des lieux de détente, ils ne sont pas non plus des espaces en apesanteur social, dégagés du poids de normes sociales contraignantes. S’y construisent des normes sociales dont les effets peuvent être puissants et durables au-delà même du moment où l’on y vient. Á l’image d’autres contextes de socialisation, comme l’école, la famille ou le travail, le quartier gay, ses lieux et son milieu constituerait ainsi une matrice de socialisation spécifique qui transforme les individus qui s’y exposent. Pourtant, ce résultat semble provisoire. Il a déjà été affiné par la variation des manières de vivre et de ressentir le « poids » du quartier dans sa propre trajectoire. Plus encore, la description d’un mode de socialisation masque souvent des incorporations individuelles inégales. Il s’agit à présent de décrire et d’expliciter la nature et les raisons de ces inégalités afin de mieux évaluer la puissance et la durabilité de tels processus de socialisation.