Conclusion

Le chapitre 10 éclaire les résultats du chapitre 9 et montre la complexité des logiques socialisatrices qui amènent à être gay de telle ou telle manière, dans tel ou tel contexte, à telle ou telle époque et avec telles ou telles ressources. Inspiré par des débats théoriques de la sociologie française sur la question de la socialisation, il l’a aussi été pas le détail des modes de vie, des parcours et des représentations saisis en entretien et amenant à nuancer certains réflexes interprétatifs. Les processus de socialisation y montrent leur complexité dans le cas de contextes urbains et de populations spécifiques. Un contexte n’est pas historiquement stable ni totalement homogène, de même, des individus ne sont pas simplement des réceptacles passifs de socialisation surpuissante et univoque. En traversant l’espace social et l’espace urbain, ils traversent des contextes différenciés et l’ensemble constitué de ces différentes expériences n’est pas nécessairement cohérent, homogène et continu. Là est le sens majeur de la figure de l’homo pluriel, en référence aux travaux de Bernard Lahire. Par ailleurs, les dimensions spatiales des socialisations et des comportements des populations gays ont laissé réapparaître les effets et les enjeux particuliers du contexte urbain à partir duquel elles étaient saisies, à savoir celui de la rencontre entre homosexualités et gentrification. Les rapports aux lieux et aux quartiers gays des enquêtés n’ont de cesse de se confronter à des schèmes et des catégories qui résonnent doublement dans de tels quartiers. Dans leur confrontation aux lieux, aux autres (gays ou non) et à leur propre carrière, il est sans cesse question d’un passé révolu et d’un présent renouvelé, de normes standardisées et de marginalités alternatives, d’identité et de différenciation, d’entre-soi et de mixité. Ces questions temporelles, spatiales et identitaires sont tout à fait proches de celles posées par les processus de gentrification « classiques » et de celles que posent aussi les parcours et les modes de vie des gentrifieurs « classiques ». De ce point de vue, l’analyse des rapports au quartier gay informe largement les processus de gaytrification, mais rend compte aussi des enjeux identitaires des cas de gentrification plus traditionnels. Plusieurs dimensions le montrent clairement. C’est le cas des rapports entre marges, alternatives et normes sociales et des circulations historiques et sociologiques entre ces trois ensembles. Lorsque les gays se situent par rapport aux normes culturelles et aux types de bars, ils reformulent sur un autre registre les propos des gentrifieurs à l’égard des cafés ou des commerces de leur quartier, comme à l’égard de pratiques culturelles ou de loisirs. C’est aussi le cas des relations et formes de cohabitations entre des populations socialement différenciées au sein d’un même espace. Lorsque les gays abordent les lieux trop gays, les lieux plus mixtes ou leurs voisins plus ou moins prompts à voisiner, ils reformulent aussi la question des relations entre différents groupes de gentrifieurs, entre nouveaux et anciens, entre gentrifieurs et gentrifiés dans de tels quartiers. C’est enfin le cas de la place du quartier dans les parcours sociorésidentiels et du rôle de l’espace comme ressource sociale. Lorsque les gays se réfugient dans le quartier ou lorsqu’ils y conquièrent des modes de vie, ils font écho aux stratégies de compensation ou de cumul des gentrifieurs sur la scène résidentielle (Collet, 2008). Au-delà des convergences explicites et les plus marquées dans le corpus entre gentrifieurs et gays, ce sont les dimensions spatiales des parcours homosexuels qui peuvent informer sur les enjeux et les rouages des processus de gentrification. Cette hypothèse était constitutive d’une sociologie de la « gaytrification », la dernière partie de la thèse a tenté d’en montrer la richesse et la pertinence.