Présentation de la sémiotique greimassienne.

Elaborée à partir d’une réflexion sur l’analyse des contes de Vladimir Propp, la sémiotique greimassienne révèle une théorie de la signification dont le souci est de considérer le récit à la lumière des structures profondes qui permettent d’engendrer des discours. Perspective structuraliste pensant l’autonomie du texte et démarche explicative d’une génération des textes allant du plus abstrait au plus concret, la sémiotique de Greimas est une sémiotique de l’action, d’une action discursivisée, d’une action de papier. Le parcours génératif, le carré sémiotique et les structures actantielles sont les trois éléments incontournables de cette théorie ; ils permettent de saisir le récit depuis ses structures profondes jusqu’à ses structures de surface, au travers de ses composantes sémantiques et syntaxiques.

Dans les années 80, cette sémiotique subit un tournant dans son approche. Greimas passe, en effet, d’une étude de l’« être du sens » à celle du « sens de l’être » interrogeant alors les préconditions de la signification, pensant l’énonciation et introduisant un sujet du pâtir (‘ Sémiotique des passions ’, 1991) et un sujet du sentir (‘ De l’imperfection ’, 1987)8.

‘« Vouloir dire l’indicible, peindre l’invisible : preuves que la chose, unique, est advenue, qu’autre chose est peut-être possible. Nostalgies et attentes nourrissent l’imaginaire dont les formes, fanées ou épanouies, tiennent lieu de la vie : l’imperfection, déviante, remplit ainsi en partie, son rôle. Vaines tentatives de soumettre le quotidien ou de s’en sortir : quête de l’inattendu qui se dérobe. Et pourtant, les valeurs dites esthétiques sont les seules propres, les seules, en refusant toute négativité, à nous tirer vers le haut. L’imperfection apparaît comme un tremplin, qui nous projette de l’insignifiance vers le sens. Que reste t-il ? L’innocence : rêve d’un retour aux sources alors que l’homme et le monde ne faisaient qu’un dans une pancalie originelle. Ou l’espoir attentif d’une esthésie unique, d’un éblouissement qui n’obligerait pas de fermer les yeux. Mehr Licht ! 9»

Ce tournant permet à Greimas de penser deux types de sémiotique : une sémiotique du continu et une sémiotique du discontinu10. Loin d’un principe de contradiction ou d’alternative, la seconde est avant tout une extension de la première. Car, finalement, la sémiotique greimassienne reste une sémiotique du discontinu, mais pense désormais son homogénéité et l’explique, entre autres, par les processus qui y conduisent, par la phase invisible du texte11.

‘« On s’oriente vers une problématique sémiotique qui fait place aux données de la phénoménologie, et qui dégage la fonction du corps (le « corps propre ») dans les opérations du sentir et du percevoir, préalables et supports aux opérations discriminantes des systèmes de valeurs (carré sémiotique) et des instances actantielles (syntaxe narrative).12»’

L’accès au continu demeure imaginaire et reste fondée sur la sémiotique du discontinu. La sémiotique greimassienne a donc évolué ; Driss Ablali le constate en même temps que la « ‘ rencontre ratée ’ » entre cette sémiotique phénomélogico-cognitive et les sciences de l’information et de la communication13. Or nous ne résistons pas à ce constat et nous servirons avant tout de cette sémiotique universaliste, générative et immanentiste, sans pour autant ignorer les changements opérés par Greimas à la fin de son œuvre et par d’autres sémioticiens. Pourquoi ? Tout d’abord, parce que notre intérêt est avant tout de saisir des actions et des êtres de papier ; notre étude ne cherche pas à comprendre des « ‘ textes parfumés ’ »14, c’est-à-dire des textes où se trahit une dimension pathémique même si nous ne nions pas la phase de sensibilisation thymique dans le parcours génératif, sur laquelle nous reviendrons. Parce que, par ailleurs, notre perspective interdisciplinaire et nos emprunts à la sociologie pragmatique, que nous allons présenter désormais, vont nous permettre de contourner « ‘ l’horizon indépassable du texte ’ », tout en le considérant.

Notes
8.

Un tournant déjà en formation dès ‘ Du Sens II ’ avec les analyses de sémantique lexicale sur la colère (GREIMAS, A., ‘ Du sens II ’, 1983, p. 225-245) même si les passions sont abordées ici simplement comme des actions.

9.

GREIMAS, A., ‘ De l’imperfection, ’ Perigueux : Ed. Pierre Fanlac, 1987. p. 99 (conclusion de l’ouvrage). Sans établir de lien qui n’aurait pour conséquence que la surinterprétation, nous notons que ce dernier mot de l’ouvrage fut aussi, selon la légende, les dernières paroles de Goethe : « ‘ Mehr Licht! Mehr Licht! ’ » (« Plus de lumière! Plus de lumière! »)

10.

GREIMAS, A. & FONTANILLE J., ‘ Sémiotique des passions : Des états de choses aux états d'âme ’, Paris : Seuil, 1991, p. 7-20.

11.

ABLALI, D., La sémiotique du texte : Du discontinu au continu, Paris : L’Harmattan, 2003, p. 169-170.

12.

PANIER, L., « Ricœur et la sémiotique : une rencontre improbable ? », ‘ Semiotica ’, 168, 2008, p. 318.

13.

ABLALI, D., « Sémiotique et Sic : je t’aime, moi non plus. », ‘ Semen ’, 23, 2007, p. 7.

14.

HENAULT, A., ‘ Le pouvoir comme passion ’, Paris : PUF, 1994, p. 8 pour sa première apparition. Cette expression d’Anne Hénault est tirée d’une phrase de Greimas (1991, ‘ op. cit. ’ p. 22) « ‘ Pouvoir parler de passion, c’est donc tenter de réduire ce hiatus entre la connaitre et le sentir. Si la sémiotique s’est attachée, dans un premier temps, à mettre en évidence le rôle des articulations modales moléculaires, il est bon qu’elle cherche à rendre compte maintenant des parfums passionnels que produisent leurs arrangements » ’.