Présentation de la sociologie pragmatique.

La sociologie pragmatique s’est principalement construite autour de Boltanski et Thévenot, et de leurs travaux de sociologie des régimes d’action et d’engagement, et autour de Michel Callon et Bruno Latour pour leurs travaux de sociologie des sciences et des techniques. Callon et Latour s’intéressent aux actions par lesquelles les scientifiques construisent la science et les techniques et font exister les institutions, les objets, les outils et les théories. De leur coté, Boltanski et Thévenot font l’hypothèse que les personnes ordinaires partagent références et ressources circonstancielles et sont capables de construire et de déconstruire par leurs pratiques et discours les qualifications des situations dans lesquelles ils agissent. Ces auteurs recherchent à ‘ « identifier des registres d’action différents, selon que la prise en compte d’un autre, ou d’autres personnes, pèse plus ou moins sur le déroulement de l’action et le jugement sur son accomplissement ’ » 15.

Si ces sociologues ont des formations variées, des objets et des méthodes d’étude très différents, ils se rejoignent sur un principe commun, celui de recentrer la sociologie autour de l’action et de réinvestir leurs études sur ce que fait l’homme, c'est-à-dire ce qu’il fait de lui-même et des autres. Parallèlement et à leur suite, de nombreux auteurs se sont intéressés à cette même question en déplaçant leur attention vers de nouveaux objets et vers de nouveaux terrains. Citons, par exemple, Bernard Lahire et sa théorie de l’homme pluriel, François De Singly et l’individu multidimensionnel, François Dubet et la sociologie de l’expérience mais aussi Nicolas Dodier, Francis Chateauraynaud, Philippe Corcuff, Elizabeth Claverie, Cyril Lemieux, pour ne citer qu’eux.

Dans son ‘ Introduction à la sociologie pragmatique16, Mohamed Nachi se consacre à la difficile tâche de présenter une première synthèse des travaux issus de la sociologie pragmatique, une sociologie qu’il identifie autour du terme ‘ style17 plutôt que de celui de courant. Ce choix sémantique révèle que l’appellation « sociologie pragmatique » a émergé de l’extérieur et n’est pas admise par tous ses « représentants ». Pourtant, comme le remarquent l’auteur et Boltanski dans la préface, il est difficile de ne pas noter un « air de famille ». La sociologie pragmatique est donc un ‘ style ’ développé « ‘ par des chercheurs (mais cela vaut aussi pour les écrivains et les artistes) qui, venus d’horizons différents, se sont rencontrés, souvent de façon fortuite, dans un contexte local particulier, et qui, à des degrés divers, ont suffisamment mis en commun leurs idées et leur façon de concevoir leur activité pour qu’on cherche à leur donner un nom collectif ’ »18.

Nous retiendrons de ce style sociologique une volonté de dégager la dimension pragmatique qui unit les actants19 à leurs mondes mais aussi la collaboration entre les différents auteurs et l’ajustement de leurs parentés et leurs distances qui se complètent et s’entretiennent. Le lecteur ne peut s’empêcher de remarquer l’empreinte de ce « style » dans les bibliographies et les remerciements et de noter les nombreuses références, implicites ou non, allant des uns aux autres.

‘« L’un des meilleurs exemples de la richesse de cette approche est fourni par L. Boltanski et L. Thévenot (…) c’est ce magnifique exemple de la puissance de la relativité que je voudrais m’efforcer d’imiter ici.20»
« Ce programme n’aurait pu aboutir sans l’intervention de nombreuses personnes. L’œuvre de Bruno Latour ainsi que les travaux de Michel Callon nous ont apporté de longue date une aide d’autant plus efficace qu’elle allait de pair avec une lecture pointue de notre propre travail. D’une audace stimulante, ces recherches ont eu le grand mérite d’une part de montrer le rapport entre le tissage des liens sociaux et la confection des objets, et d’autre part de frayer un gué entre les sciences sociales modernes et la philosophie politique. (…) Notre recherche a pu bénéficier des apports de (…) Francis Chateauraynaud dont les remarques acérées ont animé les discussions et stimulé notre réflexion, Philippe Corcuff et son souci de synthèse, (…) Nicolas Dodier qui a allié un intérêt compétent à une grande disponibilité. 21»’
Notes
15.

THEVENOT, L., « L'action qui convient », PHARO, P., et QUERE, L., (éds.), Les formes de l'action, Paris : Ed. EHESS, 1990, p.40.

16.

NACHI, M., ‘ Introduction à la sociologie pragmatique : vers un nouveau « style » sociologique ’, Paris : Armand Colin, 2006.

17.

Comme le sous-titre de l’ouvrage l’indique.

18.

BOLTANSKI, L., « Préface », NACHI, 2006. op. cit. p. 10.

19.

Nous reviendrons dans quelques pages sur cette notion et sa définition.

20.

LATOUR, 2007. op. cit. Note de bas de page p. 36.

21.

BOLTANSKI, L. & THEVENOT, L., ‘ De la justification : Les économies de la grandeur, ’ Paris : Gallimard, 1991, p. 35.