Présentation de cette recherche

Ce travail est ainsi guidé par deux fils directeurs : un objet empirique et une approche interdisciplinaire. L’un n’existe pas sans l’autre. L’objet empirique façonne notre posture tout comme notre posture produit le corpus qui permet d’observer l’objet de notre recherche. Le tissage de ces fils se fonde, alors, sur quatre hypothèses principales :

‘Si la sémiotique a permis de « refaire de la sociologie », la sociologie pragmatique permet de « refaire de la sémiotique » pour considérer un phénomène médiatique en train de se faire et une tension linguistique en train de se défaire et pour, finalement, dépasser l’horizon indépassable du texte.

Prendre le parti du mouvement plutôt (plus tôt) que des espaces évite le piège de l’impossible localisation d’un objet en train de se faire pour revenir à un processus produisant ses propres espaces pour s’y installer ; cela permet, ainsi, de saisir l’être du sens dans sa génération en postulant de sa quiddité (monde domestique/monde de l’opinion/monde civique) et le sens de l’être en projetant le récit hors du texte pour le considérer comme une pratique ou action réflexive dans le monde social.

Si le journaliste est un narrateur qui joue le rôle de traducteur et de porte-parole des êtres de papier qu’il met en scène, en installant et sanctionnant les actions décrites dans des rapports de grandeurs particuliers et produisant alors l’identité médiatique des candidats à l’élection présidentielle de 2007, il est aussi un acteur qui construit le phénomène de peopolisation, chaque récit devenant une réponse qui résout (ou dénonce) les tensions induites par l’hétérogénéité des êtres en présence et justifie ce phénomène.

La campagne présidentielle de 2007, moment fort de l’agenda politique, signe l’installation du processus de peopolisation, mettant fin alors aux questionnements quant à sa légitimité ou sa validité, ce qui permet donc de le définir et de l’inscrire dans l’espace public français.’

Au travers de ces quatre hypothèses, nous définissons une recherche autour d’un phénomène narratif et social – la peopolisation – et des moyens théoriques et méthodologiques pour l’investir. Mais cette étude repose parallèlement sur un intérêt particulier quant à l’espace de production de notre corpus : la presse people. En 2005, quand débutait cette recherche, une moyenne de trois millions huit cent quarante-neuf mille exemplaires de cette presse était diffusée chaque semaine22. L’aporie du savoir quant au phénomène de peopolisation était amplifiée par celle à propos d’une presse très lue en France mais considérée comme illégitime dans l’espace politique et scientifique. Il apparut donc nécessaire de nous pencher sérieusement sur le phénomène de peopolisation et de l’observer dans son rapport à un genre de presse largement méconnu23. Dans cet intérêt double, nous avons fait le choix de considérer la peopolisation sous l’angle de la médiatisation des hommes politiques dans la presse people24 et donc d’observer les journalistes définir et construire ce phénomène.

A partir de ces quatre hypothèses et de notre intérêt empirique, la toile de notre recherche est tissée de sept chapitres et d’une conclusion.

Cet écrit met notre interdisciplinarité à l’épreuve de sa compatibilité et sa pertinence, tout en le rattachant à notre objet et à son corpus, pour réfléchir les notions d’action, de récit, d’énonciation, de mouvement et d’espace et pour opérer idéellement un dédoublement de l’énonciateur comme un narrateur et un acteur (Chap. I et II). La méthode interdisciplinaire saisit, alors, les espaces d’émergence de notre corpus : la campagne présidentielle, l’espace médiatique, l’espace de notoriété et la presse people – pour considérer la définition de l’identité médiatique et la sélection de notre corpus (Chap. III). Ce corpus est multiple25. Il est composé des récits issus de la presse people à propos d’au moins un candidat à l’élection présidentielle, parus entre le 17 novembre 2006 et le 14 mai 2007 mais aussi des portraits parus dans la presse quotidienne nationale lors de la campagne présidentielle officielle. Il est élargi aux récits issus de la presse people et de la presse quotidienne nationale à propos de trois événements politiques et peoples post-campagne et de 1395 Unes de presse people26 parus après la clôture de notre premier corpus, c'est-à-dire après le 14 mai 2007. La prise en compte de cette multiplicité renvoie à notre volonté de considérer non seulement la peopolisation lors de la campagne présidentielle dans la presse people, mais aussi de la dépasser dans sa temporalité et dans son genre en considérant une presse « plus » sérieuse. L’élaboration d’un répertoire des termes dévoile l’organisation sémantique du corpus issu de la campagne présidentielle et révèle les tensions inhérentes à l’hétérogénéité contenue dans notre objet (Chap. IV). Cette hétérogénéité est, par la suite, considérée sous l’angle des lignes éditoriales de la presse people, élucidant la manière dont chaque porte-parole porte la parole de la campagne présidentielle et de ses personnages (Chap. V). Mais cette hétérogénéité est aussi celle contenue dans l’identité médiatique de chacun des candidats à l’élection présidentielle (Chap. VI). L’analyse de la traduction de la parole des personnages politique et d’un évènement politique et people, par la presse people et la presse quotidienne nationale, poursuit la visée explicative de la matérialisation du mélange des mondes dans des règles de construction et d’organisation spécifiques des récits médiatiques et considère le potentiel évènementiel de l’information-people. Mais c’est une analyse quantitative des Unes parues à la suite de la campagne électorale qui signe l’observation de la temporalité du phénomène de peopolisation (Chap. VII). Enfin, notre conclusion reprend les fils de ces chapitres pour retisser leurs analyses et leurs réflexions en envisageant chaque récit comme le résultat d’une traduction du phénomène de peopolisation qui le performe. Elle ouvre, ainsi, notre travail à la considération de la performance de peopolisation – pratique, critique ou confirmante – ce qui permet, au moment où se clôt cette recherche, de la définir et de considérer sa forme et sa place dans l’espace public français.

Notes
22.

Ce chiffre prend en compte les neufs titres de presse people sélectionnés pour cette étude : Paris-Match, VSD, Closer, Voici, Public, Point de Vue, Gala, France-Dimanche et Ici-Paris. Ce chiffre subit une lègre baisse en 2009 avec une moyenne de 3600000 exemplaires. Cependant, il faut noter que cette presse en pleine expansion a vu la naissance de nombreux titres tels que Oops !, Psst !, Célebrité magazine, Yep !, Envy, qu’il faut alors ajouter à la diffusion moyenne de 2009. Ces chiffres ont été établi grâce aux données de l’Association pour le contrôle de la diffusion des médias [en ligne: http://www.ojd.com/public/]

23.

Notons que notre intérêt pour ce type de presse est aussi celui de nombreux chercheurs en France. Nous pouvons citer Annik Dubied et toute l’équipe du projet « Information-people » de l’université de Genève mais aussi Jamil Dakhlia, Virginie Spies, Marc Lits, etc., autant de chercheurs qui ont largement participé, depuis le début de notre recherche, à la (re)connaissance scientifique de ce genre médiatique en France.

24.

Nous élargissons le corpus de presse people par un corpus de presse quotidienne nationale dans une volonté de comparaison.

25.

L’explicitation des techniques de composition de notre corpus se trouve en Annexes. A. avant la liste des titres, numéros et articles qui le composent.

26.

1395 Unes issues de neuf titres de presse people – Paris-Match, VSD, Closer, Voici, Public, Point de Vue, Gala, France-Dimanche et Ici-Paris – sur 155 semaines.