Chap. I. Possibilité et pertinence d’une approche interdisciplinaire pour penser la peopolisation.

Si nous avons évoqué des emprunts de la part de la sociologie pragmatique à la sémiotique greimassienne, leur compatibilité ne peut tenir à cela. Une question s’impose alors : comment faire de la sémiotique narrative tout en faisant de la sociologie ? Cette question sera le fil directeur de nos deux premiers chapitres, investissant la compatibilité d’une approche comme sa pertinence. Avant de nous attarder en profondeur sur ces deux pôles théoriques, comprenons la définition de la sociologie selon Latour pour apporter un premier point de compatibilité.

‘« Il ne s’agit pas de société. Le social est une peau de chagrin, l’ultime misère des assistantes et des cas du même nom. Le social, c’est ce qui reste quand on a tout partagé entre puissants : ce qui n’est ni économique, ni technique, ni juridique, ni etc. Allez-vous accrocher toutes les forces avec du social ? Mais cela s’effondrerait comme une mayonnaise qui n’a pas pris. La « société » est encore trop homogène avec ses humains, ses acteurs, ses groupes et ses stratégies pour rendre compte du pullulement, de l’impureté et de l’immoralité des alliances. Scolie : si l’on disait de la sociologie qu’elle est la science des associations, comme son nom l’indique, et non celle du social, comme on le fit au 19e siècle, j’aimerais à nouveau me dire sociologue. 27 »’

Pour Latour, il faut passer d’une science des faits sociaux à une science des associations. Ce que le scientifique fait dans son laboratoire en réorganisant et manipulant des objets scientifiques pour en construire de nouveaux, le sociologue doit le comprendre et le résoudre. Latour propose, en effet, de redéfinir, le social comme de l’« association », dont les formes sont multiples et variées. Du fait que le social se compose d’humains et d’éléments non-humains (outils, instruments, objets), au lieu d’étudier « la société », il faut élaborer une analyse qui examine non seulement les liens existant entre les personnes, mais aussi les personnes et les choses : il faut donc analyser les associations. Ainsi, Latour se distingue de la sociologie des faits sociaux – qu’il nomme social n°1 – en la condamnant à ne faire qu’« ‘ imposer un ordre, limiter le spectre des entités acceptables, enseigner aux acteurs ce qu’ils sont ou ajouter de la réflexivité à leur pratique aveugle ’ »28. Dans son acception de ce qu’est la sociologie, il préconise donc d’abandonner l’explication des activités par ce qui se cache derrière et au contraire de considérer qu’il n’y figure rien et de comprendre l’activité en suivant les acteurs eux-mêmes. Ainsi, nous comprenons que la sociologie pragmatique comme la sémiotique greimassienne investissent toutes deux une connaissance de second degré et consistent en un « découpage de découpage » ; le premier étant celui du chercheur, le second celui du narrateur ou de l’acteur en situation. Partant, nous pouvons postuler que le récit médiatique figure comme un lieu où les acteurs créent des associations, se définissent, font et défont des regroupements, règlent les incertitudes face à une activité, une identité ou un lieu.

Notes
27.

LATOUR, B., ‘ Microbes : Guerre et Paix, ’suivi de‘ Irréductions ’, Paris : Métailié, 1984, Art. 3-4-7.

28.

LATOUR, 2007, op. cit. p. 18