I.2.1.2. La peopolisation comme controverse

Ainsi, à ce stade de la recherche et de l’écrit, nous appréhendons la peopolisation a minima, nous nous contentons de son caractère sous-déterminé et de la saisir par rapport à ce qui est en tension dans sa définition.

‘« L’action doit rester une surprise, une médiation, un évènement. C’est pour cette raison qu’il nous faut commencer (…) par le caractère sous-déterminé de l’action, par les incertitudes et les controverses portant sur  « qui » agit lorsque « nous » agissons.85 »’

Jamil Dakhlia définit la peopolisation selon trois phénomènes principaux qu’elle recouvre ‘ « souvent confondus car entremêlés : l’association entre élus et gens célèbres (les peoples), soit que les premiers imitent les seconds, soit que, en sens inverse, des stars s’impliquent en politique, aux côtés de tel ou tel candidat, ou pour leur propre compte ; mais aussi l’exposition, volontaire ou non, des responsables politiques dans la presse échotières (magazines people) ; la conformation, enfin, des autres médias aux canons de cette même presse échotière, par un traitement de l’actualité politique fondé sur la vedettisation et le ’ ‘ dévoilement de l’intimité »86. ’Cette tripartition se retrouve dans la définition commune donnée par wikipédia :

‘« La peopolisation peut désigner :
La médiatisation, voulue ou non, de la vie privée d'une personnalité extérieure aux personnalités du monde du spectacle. On parle ainsi de la « peopolisation du politique » avec la multiplication dans la presse écrite et les médias d'information en général de sujets mettant en avant la personnalité et la vie privée des hommes politiques. Selon la BBC, « les critiques reprochent à la politique française de se pipoliser, en d'autres termes de devenir obsédée par l'image médiatique des responsables politiques plutôt que par le contenu des programmes politiques »;
L'utilisation à des fins médiatiques de l'image de personnalités célèbres par des associations, des entreprises ou des hommes politiques. En France, suite au soutien public apporté par les chanteurs Johnny Hallyday et Doc Gyneco, en août 2006, à Nicolas Sarkozy pour l'élection présidentielle de 2007, le quotidien Libération décrivait une « peopolisation de la campagne électorale » du président de l'UMP ;
La tendance des médias généralistes à traiter de l'actualité des personnalités du show business et à aborder certains aspects de leur vie privée, au même titre que la presse spécialisée.87 »’

Pour l’instant, nous avons fait le choix d’extraire la définition minimale et les éléments en tension. La peopolisation semble, ainsi, se construire dans la confrontation tout autant que dans la convergence d’éléments hétérogènes tels que : ‘ « vie privée », « spectacle », « politique », « gens célèbres », « élus », « peoples », « stars », « candidat », « presse échotières », « magazines people »,  « autres médias », « actualité politique », « personnalité des hommes politiques », « image médiatique », « responsables politiques », « médias », « personnalités célèbres », « médias généralistes », « presse spécialisée »88. Par ailleurs, cette définition est divisée en trois sous-définitions qui, sans se contredire, montrent des versions différentes de ce même terme. Nous retiendrons l’hétérogénéité des êtres qui la construisent et la difficulté de qualifier leur cohabitation. On peut saisir la tension inhérente à un tel continu composé d’unités tantôt contradictoires, tantôt compatibles. On retrouve, ici, les intérêts de Bruno Latour et son concept de controverse, en tant que c’est par celle-ci que se résolvent les incertitudes. Saisir la peopolisation à partir de ce concept nous permet donc de relier les étapes et les acteurs qui construisent le processus et de comprendre la définition de la peopolisation à partir du consensus trouvé dans la presse écrite pour résoudre les tensions induites par l’hétérogénéité des êtres en présence.

La controverse, du latin « controversia » : choc, signifie, selon ‘ Le Petit Robert 2009 ’, une discussion argumentée et suivie sur une question polémique. Elle suppose une attitude critique qui vise à une discussion vive ou agressive. Au regard de ce qu’en dit Latour, cette notion nous invite à considérer la peopolisation à partir de ce qu’elle met en tension et la manière dont les acteurs engagent un débat à propos d’options et de formes d’existence et enfin, au travers de l’accord, si celui-ci est trouvé, qui émerge de ce débat pour stabiliser l’association qu’ils discutaient89. Plus loin, la controverse est pensée par le sociologue comme performante par les acteurs qui y participent : on lui attribue une effectivité, une performativité : on la définit comme une action. Cet emprunt à Latour ouvre notre perspective vers la performativité d’un discours réglant une incertitude. En effet, en considérant la peopolisation comme une controverse, on saisit les récits à son propos comme détenant un pouvoir performatif de structuration du monde et de la société. Si ces récits s’installent, sont reconnus et repris pour définir le phénomène, ils résolvent justement la controverse90. Ainsi, avec la notion de controverse, nous retrouvons les interrogations qui émergeaient dans l’introduction autour du rapport entre récit, énonciation et action : trois éléments sur lesquels nous allons nous attarder pour finalement saisir l’enjeu méthodologique de notre étude.

Notes
85.

LATOUR, 2007. ‘ op. cit. ’ p. 68.

86.

DAKHLIA, J., ‘ Politique People ’, Rosny : Bréal, 2008 (b), p. 7.

87.

Extrait de l’article « peoplisation ». ’ ‘ Wikipedia ’ ‘ – 25/07/09 [http://fr.wikipedia.org/wiki/Peoplisation]. Cet article est particulièrement repris sur Internet pour définir la peopolisation, puisque celle-ci ne détient pas de définition, théorique, officielle et légitimée. Il semble assez évident que l’article dans son intégralité, par sa complétude et ses références théoriques, est le produit d’un universitaire ou, du moins, d’une personne qui en a la formation. En 2009, Jamil Dakhlia et moi-même avons discuté de la qualité du texte et de sa paternité mystérieuse (c’est en même temps un des principes caractéristiques de ce site). Présentement, son auteur reste inconnu, cependant nous jugeons que ses reprises dans l’espace public et sa complétude en font une définition importante, que nous nous devions de prendre en compte dans cette recherche.

88.

Ces termes sont issus des deux définitions sans distinction.

89.

LATOUR, 2007, ‘ op. cit. ’ p. 76-84.

90.

MONDADA, L., « La construction discursive des objets de savoir dans l’écriture de la science. », ‘ Réseaux ’, 71 1995, p. 57.