Chap. II. Le mouvement et l’espace dans le récit

‘« Dans l’Athènes d’aujourd’hui, les transports en commun s’appellent metaphorai. Pour aller au travail ou rentrer à la maison, on prend une « métaphore » – un bus ou un train. Les récits pourraient également porter ce beau nom : chaque jour, ils traversent, ils organisent des lieux ; ils les sélectionnent et les relient ensemble ; ils en font des phrases et des itinéraires. Ce sont des parcours d’espaces.146 »’

La dialectique « discret-continu » nous a permis de considérer le récit, sa structure et son contenu. Une autre dialectique structurera ce chapitre et, à l’instar de la précédente, notre recherche : celle du « mouvement » et de l’« espace ».

Le phénomène de peopolisation est en train de se faire : il est un mouvement, ce qui empêche de le définir a priori et nous amène à l’observer au moment où les acteurs créent des associations, résolvent ou dénoncent l’hétérogénéité d’un tel objet et où ils « ‘ se frayent un chemin à travers les choses qu’ils ont dû ajouter aux compétences sociales de base afin de rendre plus durable des interactions constamment fluctuantes ’ »147. Par ailleurs, la définition a minima de ce phénomène en train de se faire contient l’hétérogénéité des êtres qui la construisent et la difficulté de qualifier leur cohabitation. Elle postule alors la pluralité des modes d’engagement que l’être de papier éprouve dans son existence narrative et la dynamique du rapport entre cet être et les différents environnements dans lesquels il circule.

‘« L’un des travers dont nous cherchons à nous garder dans ce livre consiste à rapporter à des lieux distincts les modes d’engagement que nous cherchons à différencier. C’est ainsi qu’est souvent conçu un rapport à deux termes entre public et privé, selon une topographie séparant les places ouvertes à la visibilité de celles qui resteraient soustraites au regard d’un public. La division spatiale des modes d’engagement nous intéresse, mais on ne peut l’aborder qu’en ayant pris soin au préalable de concevoir ces modes d’engagement autrement qu’en termes d’espaces. C’est pourquoi nous avons suivi une démarche attentive aux activités plutôt qu’aux frontières séparant des lieux.148 »’

Prendre le parti du mouvement plutôt que des espaces s’avère salvateur pour considérer un phénomène en train de se faire, lors d’un moment d’incertitude dans lequel les êtres sont manifestés précisément au prisme de leurs déplacements.

Le mouvement est multiple dans notre objet : il est celui du phénomène en cours et celui contenu dans le phénomène. Mais il est aussi celui du récit et du chercheur. L’investigation des récits qui ordonnent et organisent la peopolisation nécessite de mettre à jour les règles et le dispositif susceptibles d’engendrer des récits mettant en scène l’homme politique à la fois comme personne publique et personne privée. Mais par ailleurs, la confusion privé/public dans laquelle se meut le phénomène de peopolisation nous oblige à les définir et à les délimiter dans les déplacements et transformations opérés par l’énonciateur. La dialectique « mouvement – espace » se défait ainsi de l’impossible localisation d’un phénomène en train de se faire pour revenir à un processus produisant ses propres espaces pour s’y installer. En outre, plus qu’une simple investigation d’éléments théoriques opératoires pour notre objet de recherche, cette dialectique nous aidera à penser la méthode par les notions de paradigmes et de syntagmes.

Ce chapitre pose ainsi deux questions pour envisager un moyen de passer de l’incertitude du phénomène de la peopolisation à son élucidation :

‘En quoi la sociologie pragmatique nous permet de comprendre ce phénomène par la dialectique « mouvement » et « espace » et d’appréhender le récit dans son mouvement et dans sa construction ?
Pourquoi la tension privé/public ne suffit-elle pas pour saisir le traitement médiatique d’un sujet qui interroge justement la frontière et le mouvement ? ’
Notes
146.

DE CERTEAU, 1990, op. cit. p. 170.

147.

LATOUR, 2007, op. cit. p. 99.

148.

THEVENOT, 2006, op. cit. p. 25.