II.1.3.1. Quelle place pour le mouvement dans la narration greimassienne ?

Pour Greimas, le mouvement est absent de la narration. En effet, celui-ci oppose « énoncés d’état » et « énoncés de faire », les premiers étant statiques et dévoilant des positions, les seconds des passages allant de l’un à l’autre. Le mouvement constituerait179 le passage avec une directionnalité, ce qui n’est pas le cas des énoncés de faire dans la sémiotique greimassienne. Cette question réinstalle parallèlement la question du temps dans le récit, car en privilégiant la structure à l’histoire, la sémiotique du discontinu dégage des contraintes achroniques qui rendent difficile l’appréhension du mouvement, débat que Ricœur avait lancé dans les années 80 et que nous avons rapidement évoqué. En effet, la conception de la mimesis II réalise une opération de configuration, médiatrice par trois aspects. L’intrigue «‘ fait médiation entre des événements ou des incidents individuels et une histoire ’», elle installe une succession de la configuration : l’un est suivi par l’autre, l’un est la cause de l’autre180. Puis, elle « ‘ compose l’ensemble des facteurs aussi hétérogènes que les circonstances, les caractères avec leurs projets et leurs motifs, des interactions impliquant coopération ou hostilité, aide ou empêchement enfin des hasards ’»181. Enfin, elle effectue une synthèse de l’hétérogène, c’est-à-dire qu’elle forme une synthèse dans un continu intelligible. La consécution donne la directionnalité nécessaire au mouvement. Pourtant, nous avons vu que, pour Greimas, la logique organisationnelle du récit fonctionne à rebours et à partir de présuppositions. Peut-on alors interroger un mouvement, c'est-à-dire un déplacement avec une directionnalité, dans la narration telle qu’elle est entendue par Greimas ? C’est au niveau des structures discursives et plus précisément de la syntaxe discursive que nous résolvons cette question.

Retrouvons les notions de « temporalisation », de « spatialisation » et d’ « actorialisation », sous-composantes de la discursivisation, qui apparaissent dans le schéma du parcours génératif. La temporalisation « ‘ consiste, comme son nom l’indique, à produire l’effet de sens « temporalité » et à transformer ainsi une organisation narrative en histoire ’ », elle est composée par trois éléments182. La programmation temporelle convertit la logique des présuppositions en une logique de consécutions, c'est-à-dire qu’elle est un effet de la mise-en-discours donnant ainsi un « ‘ ordre temporel et pseudo-causal des évènements ’ »183. La localisation temporelle construit un système de références qui permet de situer les différents programmes narratifs les uns par rapport aux autres184. Enfin, l’aspectualisation convertit les fonctions narratives, achroniques au niveau sémio-narratif, en procès. Dans la même logique, la spatialisation inclut deux éléments. Les procédures de localisation spatiale permettent d’installer dans l’énoncé « ‘ une organisation spatiale (…) qui sert de cadre pour l’inscription des programmes et de leurs enchainements ’ »185. La spatialisalisation comporte, par ailleurs, des procédures de programmation spatiale qui permettent « ‘ une disposition linéaire des espaces partiels (…) conforme à la programmation temporelles des programmes narratifs ’ »186. L’actorialisation permet quant à elle, par la réunion des éléments des composantes sémantiques et syntaxiques, d’instituer les acteurs du discours par la réunion d’un rôle actantiel et d’un rôle thématique. Ces trois sous-composantes sont liées les unes aux autres et nous permettent de comprendre que, pour le sémioticien, la consécution n’est pas la logique organisatrice mais un effet illusoire de l’énoncé, elle est créée par une procédure de projection, appelée ‘ débrayage ’, d’un système de références qui permettra de « ‘ localiser les différents programmes narratifs les uns par rapport aux autres ’ »187. Ainsi, le mouvement n’est appréhendable que dans les structures discursives lorsque les actants sont incarnés, que l’énoncé est figurativisé et que des références spatio-temporelles sont installées dans le récit par l’instance d’énonciation. C’est donc uniquement au niveau discursif que nous saisirons le mouvement dans la narration. L’articulation et les relations entre les différentes figures instituent plus loin le parcours figuratif du récit

Notes
179.

L’utilisation du conditionnel est motivé par la propre utilisation de ce temps par Greimas quand celui-ci parle du mouvement, un temps conditionné par le fait que cela reste au statut de piste de réflexion : « ‘ Ce n’est qu’une possibilité d’analyse : rares sont les recherches effectuées dans cette perspective ’ » (GREIMAS & COURTES, 1993, op. cit. p. 215)

180.

RICŒUR, 1983, op. cit. p. 102.

181.

RICŒUR, 1986, op. cit. p. 21-22.

182.

GREIMAS & COURTES, 1993, ‘ op. cit. ’ p. 388.

183.

Ibid. p. 388.

184.

Ibid. p. 216.

185.

Ibid. p. 358.

186.

Ibid. p. 358.

187.

GREIMAS & COURTES, 1993, ‘ op. cit. ’ p. 81.