II.1.3.2. Le mouvement dans la narration en schéma

[Figure  : Le mouvement de narration]
[Figure : Le mouvement de narration]

Avant de nous attarder plus en détail sur l’espace et la façon dont nous l’appréhenderons dans cette étude, nous allons suivre une schématisation188 du mouvement qui nous permettra plus loin de définir la peopolisation par ses tenants et aboutissants. Ces schémas investissent le mouvement dans la narration comme des passages entre deux états, deux espaces, deux intervalles temporels et représentent donc des énoncés de faire189. Le Figure n°7 est une vue d’ensemble du mouvement tel que nous l’appréhenderons dans la narration190. Nous allons le décomposer pour ensuite saisir dans sa totalité et ses enjeux méthodologiques.

Dans le mouvement, nous distinguons deux éléments : la transposition (changement de position) et la transformation (changement de forme).

La transposition désigne le passage d’une position première à une position seconde. Ce déplacement peut être spatial (passer d’un lieu à un autre), temporel (passer d’un âge à un autre), idéel (passer d’une opinion à une autre), actoriel (passer d’un rôle à un autre), institutionnel (passer d’un statut à un autre), etc.

La transposition est le mouvement/déplacement qui prend place entre une position première (point de départ) et position seconde (point d’arrivée).

[Figure 8 : La transposition]
[Figure 8 : La transposition]

Par exemple, nous pouvons considérer la campagne électorale comme le passage d’un statut de candidat à un statut d’élu. La position première serait la déclaration de candidature, la position seconde serait l’élection : la transposition interviendrait comme le chemin que le candidat effectue jusqu’à l’élection, soit la campagne. Si la position première lui impose une direction a priori (candidature donc campagne), la position seconde n’a aucune influence sur ce chemin, si ce n’est qu’elle y met fin. Mais que le candidat soit élu ou pas ne conditionne pas la campagne. Cependant, le fait de ne pas connaître la position seconde lors de la transposition n’est pas un élément commun à toutes les transpositions, certaines peuvent se faire en connaissant à l’avance le résultat de la position seconde, tel que la préparation d’un mariage. La position première est la demande en mariage : on accède au statut de fiancé. La position seconde est le mariage : on accède au statut de marié. L’individu connaît à l’avance la position à laquelle il va accéder et agit en conséquence lors de la transposition (enterrement de vie de garçon par exemple). Cependant ces deux exemples témoignent d’une transposition dont la fin est programmée (on connaît le lieu temporel où la transposition prendra fin). Ainsi, pour résumer, nous sommes face à deux types de transposition : une transposition avec fin programmée dont on connaît à l’avance la fin, c’est à dire quand la position seconde interviendra (même si le l’état de la position seconde est incertain) et une transposition dite « a posteriori », c'est-à-dire qu’elle n’a pas de fin programmée ; il est donc difficile de pouvoir la saisir quand elle est en cours. Cette dernière est donc saisie a posteriori quand la position seconde a été éprouvée et qu’il est donc possible de reconstituer la transposition. Par ailleurs, nous sommes face à deux types de transposition avec fin programmée : la transposition spéculative avec laquelle on se dirige vers une position incertaine (le cas d’une campagne électorale, d’une scolarité, etc.) et une transposition déterminée, c'est-à-dire qu’on se dirige vers une position connue (le cas de la préparation d’un mariage).

De son côté, la transformation est la phase qui comprend à la fois la nouvelle position, la forme précédant cette nouvelle position et la forme suivant la nouvelle position.

[Figure 9 : La transformation]
[Figure 9 : La transformation]

Il faut nécessairement un changement de position significatif pour qu’il y ait transformation. L’élection peut être considérée comme une transformation en tant qu’elle prend en considération la nouvelle position « élection », le statut précédent « candidat » et le statut suivant « élu ». Cela nous permet de rendre compte de la transformation, c'est-à-dire du changement de rôle et/ou de costume du candidat en élu et donc de la variation de son identité consécutive de ce changement de forme/rôle. Pour résumer et rapporter cela de façon plus proche à nos considérations, la transposition figure comme le passage d’un espace à un autre, alors que la transformation intervient comme le changement d’état d’un sujet. Cette distinction rejoint celle formulée par Latour quand il établit un point de divergence entre transport et traduction. Le transport véhicule ‘ « une force qui resterait tout du long semblable à elle-même ’ »191. Sa forme ne change pas : nous sommes dans le cas d’une transposition. De son coté, la traduction révèle une connexion qui met en scène des transformations.

Saisir le mouvement dans la narration à partir de cette dichotomie « transformation » et « transposition » interroge par ailleurs les deuxième et troisième mouvements que nous avons évoqués plus haut. En effet, le mouvement dans la narration est un mouvement de papier, signifié par le narrateur et par le chercheur : cette conception schématique du mouvement reste soumise aux variations d’échelles de contextes du chercheur et donc à sa subjectivité, mais aussi de celle du narrateur : c’est un découpage d’un découpage. Le fait de choisir, en position première, la déclaration de candidature intervient comme un angle de vue, une position qui tend alors à définir la construction de l’objet. La position première aurait pu être l’entrée en politique ou la décision personnelle de l’homme politique d’être candidat, etc. Le narrateur dans son récit choisit un point de départ comme le chercheur en sélectionnant tel ou tel récit. L’intérêt de mobilisation de la notion d’échelle est donc double ici. Elle permet de considérer notre propre travail et notre propre pouvoir sur l’objet de recherche mais elle est surtout l’un des objets de notre recherche. Nous cherchons, en effet, à « ‘ mesurer (…) le travail de mesure lui-même  ’»192 en étudiant finalement l’activité de qualification et de définition du narrateur devenant ainsi un acteur et plus loin, en restituant les changements d’échelles qu’il opère.

Notes
188.

Tous les schémas sont les nôtres. Ils sont élaborés avec la volonté d’être le plus clair possible.

189.

GREIMAS & COURTES, 1993. ‘ op. cit. ’ p. 214.

190.

Ce schéma sera réinvesti théoriquement lors de notre prochain chapitre et mis en application lors du chapitre VI.

191.

LATOUR, 2007, op. cit. p. 155.

192.

LATOUR, 2007, op. cit. p. 271.