III. 1. 1. La campagne présidentielle comme temps fort de l’actualité politique

Une campagne présidentielle est un moment fort dans l’actualité politique d’un pays et mérite que nous nous y arrêtions292. Elle est une séquence privilégiée de construction de la réalité politique à laquelle les acteurs contribuent selon leurs ressources et leurs intérêts. L’enjeu de ce moment consiste à contrôler symboliquement la définition collective de la situation politique. Les candidats, leurs équipes, leurs militants et, finalement, tous les individus participant à un débat politique et soutenant un candidat ou un parti, cherchent à imposer leurs définitions et leurs points de vue grâce à des symboles qui sont autant des mots que des images, des arguments, des discours, des petites phrases, des affiches, des clips, etc. Une campagne présidentielle s’analyse donc, aussi, en termes de communication.

‘« Le métier de politique consiste à utiliser et à agencer en un ensemble relativement cohérent une multitude de processus relevant de l’ordre de la communication : diffusion massive d'images et de slogans, rituels et gestes spectaculaires (dont on fournira l'interprétation au moment où on les réalise), entretien de réseaux où circulent des appréciations et des jugements, publication opportune de sondages favorables. En ce sens, la communication politique ne cesse jamais, emprunte des voies détournées ... La connaissance pratique de ce phénomène — qui n'exclut pas la connaissance théorique par une partie des acteurs eux-mêmes — est une composante fondamentale du "métier politique".293»’

Nous pouvons distinguer deux types de communication politique. Le premier constitue la communication en contexte d’exercice du pouvoir et rassemble la communication gouvernementale, la communication présidentielle et la communication locale. Le second relève essentiellement de la communication électorale, c’est-à-dire de la communication de conquête du pouvoir. Il faut, par ailleurs, différencier deux types de communications au sein de ces types de communication politique : la communication directe lors de meeting, visites, etc., et la communication indirecte par la médiatisation des actions et discours. Dans notre recherche, nous nous intéressons donc à une communication indirecte en contexte de conquête du pouvoir. Parallèlement, la visibilité dépend de deux facteurs : l’agenda et le situationnel. L’agenda du candidat influence la visibilité des hommes politiques car il est enjeu de mise en visibilité pour les médias ; celui-ci oriente l’actualité, voire la fait. Mais la visibilité peut être, par ailleurs, contextuelle : le candidat intervient, communique en réponse à une crise, un évènement médiatique particulier. Ainsi, en contexte de conquête du pouvoir, les candidats interprètent les demandes et attentes des citoyens, l’offre électorale de leurs concurrents et les intègrent pour donner un contenu cohérent à leur communication stratégique. Les médias, quant à eux, interprètent le traitement de l’information à la fois l’ensemble des offres, l’ensemble des demandes et les conditions des ajustements opérés. Du côté du public, les électeurs interprètent les messages électoraux qui leur sont directement adressés par les candidats mais aussi les interprétations secondaires fournis par les médias. Cette communication électorale doit donc se penser comme l’interaction d’interprétations stratégiquement orientées de la situation politique. L’enjeu relève du contrôle symbolique de la construction de la réalité et de la définition de la situation politique en fonction desquelles les conduites électives s’orienteront.

Les campagnes électorales se sont modernisées sous l’influence de la médiatisation de la vie politique et des techniques de communication. Les facteurs politiques restent primordiaux dans les choix stratégiques ; mais les médias ont apporté de nouvelles techniques et possibilités telles que les sondages, le marketing téléphonique ou par courrier, la campagne télévisée et sur internet, et ce particulièrement depuis le référendum pour la Constitution Européenne où ce dernier est devenu un support important de communication politique des candidats et du public. La campagne électorale est devenue un temps de technicisation et de rationalisation des techniques de communication qui s’accompagne de la professionnalisation des conseillers en communication. Ces nouvelles techniques et possibilités apportées ont, par ailleurs, fait évoluer la campagne électorale, désormais régie par une « ‘ théâtralisation du pouvoir ’ »294. Elle est devenue un exercice de transfiguration mystique mobilisant mythes, symboles et rites295. Face aux sollicitations des médias audiovisuels, et sous l’impulsion des conseillers en image, les hommes politiques ont peu à peu adapté leurs discours, leur apparence, leur physique aux exigences audiovisuelles. Ils acceptent de se prêter à des mises en image qui relèvent plus du « coup médiatique » et de la séduction publicitaire, que de la solennité historiquement associée au pouvoir. Le jeu politique dans son ensemble a été modifié par la montée en puissance des médias de masse audiovisuels. Jean-Marie Cotteret montre que la vie politique française a désormais deux légitimités : la légitimité élective qui règle, juridiquement et constitutionnellement, la vie politique française, confère aux élus l’autorité et impose l’obéissance aux électeurs et la légitimité cathodique qui confère aux plus visibles, ceux qui accèdent aux médias, une autorité réelle, ce qui modifie le rapport autorité – obéissance296.

La sélection d’une telle période pour nos analyses implique différentes variables. La première revient à ce que nous venons d’énoncer : elle est un moment fort dans l’actualité politique, un temps de la communication politique où les enjeux sont évidents et la sanction inéluctable. La seconde tient à sa temporalité délimitable et à une mobilisation réduite de personnages. En 2007, il y avait douze candidats à l’élection présidentielle : cet état de fait permet non seulement de définir qui seront les êtres peuplant cette étude et donc de restreindre leur nombre, mais, parallèlement, cela permet de pouvoir considérer des candidats aux visibilités variables et de ne pas se laisser enfermer dans une sélection de personnages hautement médiatiques. De la même façon, la temporalité d’une campagne présidentielle invite à clôturer le temps d’analyse mais permet par là même d’éviter la construction d’une temporalité d’analyse qui ‘ conviendrait ’ à l’objet ou à la problématique. Ces variables sont indétachables de la question de la visibilité. Les médias de masse constituent, en ce sens, des outils pour une campagne présidentielle car ils permettent de répondre à l’injonction de visibilité désormais inéluctable dans notre société, c'est-à-dire à « l’encouragement, la valorisation de l’exhibition d’activités et de productions multiples, entraînent d’une part l’interdiction ou la mise à l’écart de l’opacité et de l’épaisseur pour le plus grand nombre, d’autre part, à terme, un appauvrissement de l’imaginaire »297.

Notes
292.

Le sujet est cependant large et complexe, nous ne l’abordons, ici, que de manière succincte.

293.

WEBER, M., Le métier et la vocation d'homme politique, Paris : UGE, 1963, p. 128.

294.

BALANDIER, G., Le pouvoir sur scène, Paris : Balland, 1980, p. 14-20.

295.

COULOMB-GULLY, M., La démocratie mise en scène : Télévision et élection, Paris : CNRS Éditions, 2001. p. 39-67.

296.

COTTERET, J-M., Gouverner c’est paraître [1ère éd. 1991], Paris : PUF, 2002, p. 18.

297.

Extrait de l’appel à communication du colloque « Voir et être vu, l’injonction à la visibilité dans les sociétés contemporaines », Paris, 29-31 mai 2008, organisé par l’Association Internationale de Sociologie, de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française, du réseau thématique « Sociologie clinique » et de l’Association Française de Sociologie.