La campagne présidentielle est un moment-clef dans la vie politique : elle consiste en une séquence privilégiée de construction de la réalité politique qui s’organise en termes de communication. Parallèlement, avec le développement des médias, un nouveau spectre de visibilité s’est constitué autour des hommes politiques et de leur communication. Les médias de masse rendent visibles des sphères d’actions auparavant dissimulées et créent un univers d’images et de flux d’informations difficiles à contrôler. Cette nouvelle visibilité amène les leaders politiques à être exposés de façon plus large. Cette visibilité médiatisée leur a permis de se présenter non plus seulement comme des dirigeants politiques mais aussi comme des humains et, ainsi, de révéler certains aspects de leur être ou de leur vie personnelle. Ils ont ainsi acquis « ‘ la capacité de se présenter eux-mêmes en tant qu’un des nôtres ’ » 313.
Notre propos porte sur une nouvelle forme de visibilité des hommes politiques : leur médiatisation dans la presse people. Notre inscription disciplinaire, le choix du sujet, de l’objet et du corpus situent notre propos dans une analyse de la communication et du monde de l’opinion. Pourtant, au sein de cet objet médiatique et dans l’investigation de ce phénomène médiatique, trois mondes figurent comme des univers signifiants au cœur des récits. Mais l’un d’eux contient, parallèlement, le support et l’acte d’énonciation de ces récits : c’est le monde de l’opinion. Il y a une mise en abîme de ce monde dans notre étude. En effet, le monde de l’opinion peut revêtir la forme d’un actant ou d’une action de narration, d’un espace énoncif ou énonciatif, etc. Le monde de l’opinion peut donc être un espace de signification au sein même d’un récit qui, par exemple, met en scène des fans, des stars, des journalistes, une scène, des photographes, des flashs. Parallèlement, le phénomène de peopolisation est un objet de discours dont le mode d’existence est discursif, ce phénomène est purement médiatique : en ce sens, l’énonciateur en tant qu’acteur, performe la peopolisation, elle n’existe que dans et par le discours médiatisé : ici, c’est l’incarnation du monde de l’opinion dans l’espace de la traduction. Mais, le monde de l’opinion est aussi repérable dans l’espace de la narrativité en tant qu’il est le fondement de la relation entre le destinateur et la destinataire du récit et organise ainsi les récits dans une logique de monstration, de révélation314. Enfin, le monde de l’opinion est ce qui définit notre étude, par le choix de l’objet, le choix du corpus et donc de ses supports, nos questionnements et notre prisme de lecture : l’espace de la recherche est défini, entre autres, à partir de ce monde. Ainsi, le monde de l’opinion est transversal aux différents niveaux de notre étude.
Cette mise en abîme du monde de l’opinion suppose de questionner le rapport au réel et à la notoriété des êtres qui peuplent notre recherche. En effet, le monde de l’opinion est omniprésent dans cette étude : les êtres de notre étude sont des sujets de ce monde. Or, dans le monde de l’opinion, nous avons affaire à trois types de sujets : les grands représentés par les personnes renommées, les petits que sont les fans ou les supporters et enfin, les « ‘ magistrats chargé de faire valoir la grandeur de renommée ’ »315. Parce que notre thèse s’intéresse aux récits dans une perspective immanente, les actants de narrations sont forcément les grands du monde de l’opinion, ils sont mis en scène parce que notoires et sont notoires parce que mis en scène316. Les fans et les magistrats chargés de faire valoir la grandeur de la renommée peuvent aussi être actants de narration, mais, nous le verrons, ils sont toujours mobilisés en relation avec le grand du monde de l’opinion qu’ils mettent en valeur et à qui ils octroient une grandeur par leur présence, soulignant alors « ‘ le caractère non essentialiste et purement relationnel de la grandeur de renom ’»317. Mais, les fans et les magistrats chargés de faire valoir la grandeur de renom incarnent, par ailleurs, et ce majoritairement, les actants de communication, destinateur et destinataire du récit. Le caractère relationnel de la grandeur de renom institue, en outre, la légitimité du journaliste à être le porte-parole des grands et des petits du monde de l’opinion. Le journaliste est dans le monde de l’opinion, ce qui fonde sa légitimité. Par là, il est chargé de déplacer des objets et des sujets du monde domestique et civique dans le monde de l’opinion et les représente ; il leur octroie une consistance et une dignité à figurer dans ce monde. Il est une entité particulière du monde de l’opinion car non pris dans les rapports de grandeur en tant qu’il les construit. Il est celui qui supporte la parole, qui condense la parole des grands et des petits du monde de l’opinion qu’il représente en un seul corps ; mais il est aussi celui qui porte la parole en tant qu’il la déplace, la mène dans le monde de l’opinion, où elle ne pourrait aller sans son intermédiaire : le monde de l’opinion figure comme le lieu de convergence des trois mondes pris dans notre étude. Il est le lieu de convergence des trois mondes, et non des deux autres mondes. Ici, se tient la mise en abîme. Le monde de l’opinion est soumis à différentes incarnations à différents niveaux de la recherche et du récit. Au niveau de surface, il dispose du même statut que les deux autres mondes, il est une alternative parmi les autres sur l’axe paradigmatique, un espace de signification comme les autres. Le journaliste détient sa légitimité de porte-parole par son être dans le monde de l’opinion ; sa légitimité à représenter des êtres et des objets du monde civique et domestique est contenue dans la mise en abîme du monde de l’opinion, dans la définition du support et de l’être médiatique des discours.
Le monde de l’opinion intervient dans cette recherche comme l’univers a priori de notre objet dont nous ne pouvons ignorer le caractère déterminant. Sa représentation et sa mobilisation révèlent une référence à la notoriété et à la référentialisation externe des êtres de papiers que nous investirons dans une troisième partie de ce chapitre, consacrée à l’identité médiatique. Cette double mobilisation du monde de l’opinion intervient, entre autres, dans le choix de notre corpus : un corpus double. Nous avons fait le choix de considérer les récits médiatiques issus de la presse écrite française. Pour cela, nous considérons plusieurs types de corpus. Un premier, principal, est constitué d’articles de la presse people ; les suivants constitueront une possibilité de relativisation de notre premier corpus en empêchant l’injonction people de guider la description des identités médiatiques. Pourtant, avant d’en expliquer la sélection et la transformation en un corpus opérant pour notre problématique et notre objet, un détour sur la définition de la presse people comme espace de production de notre corpus principal semble incontournable.
THOMPSON, 2005, op. cit. p. 72.
Nous reviendrons sur les logiques du récit people dans quelques pages.
BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p.224.
Nous apporterons une nuance à cette réflexion lors des prochaines pages sur la définition de la presse people.
BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p.223.