III. 2. 1. Révélation et secrets.

Selon Dakhlia, « le propre de la presse people est d’être une presse du secret, dans le sens où elle est censée divulguer tous les aspects de la vie privée des gens célèbres y compris les plus cachés  ’»322. Les notions de divulgation et de révélation sous-tendent donc non seulement un jeu entre le caché et le montré mais plus loin, entre le vrai et le faux. En effet, à partir d’une rhétorique du secret et de la révélation, la presse people légitime son propos par la compétence de ‘ devoir-montrer ’. Cette dimension déictive s’organise autour du carré véridictoire proposé par Greimas. Celui-ci met en exergue non pas la problématique de la vérité qui obligerait le recours à un référent externe mais la question de la véridiction, c'est-à-dire la prétention à la vérité inscrite à l’intérieur même du discours323. Ce carré se compose de quatre modalités : le vrai (être + paraître), l’illusoire ou le mensonge (non-être + paraître), le faux (non-être + non-paraître) et le secret (être + non-paraître)324. Le discours de la presse people s’appuie sur un mouvement qui part du secret vers le vrai ; il fait apparaître l’être et nie le non-être de ses informations. Ainsi, le discours de cette presse se trouve crédibilisé et légitimé dans l’exercice même de son énonciation. Pourtant, la révélation de secret comme dynamique constitutive de ce type de presse nous invite à saisir la façon dont elle construit une connivence et un contrat de lecture entre l’énonciateur et l’énonciataire, à partir de ce que nous nommons « illusion de visualisation ». En effet, la presse people investit une temporalité plus longue que d’autres médias du fait de sa parution hebdomadaire. Le lecteur peut déjà connaître l’information lorsque les différents titres de presse people la saisissent. Cependant, les énonciateurs des récits créent l’illusion de visualisation, c'est-à-dire l’illusion de rendre visible à l’esprit du lecteur quelque chose qui était alors invisible. Cette technique investit la rhétorique du secret et de la révélation et transforme une information connue en nouveauté. Mais la rhétorique du secret peut être, par ailleurs, conjointe à une rhétorique du scoop avec le terme « ‘ exclusif  ’»325 et ses dérivés. La fonction révélatrice du discours de la presse people amène l’énonciateur des récits médiatiques à feindre de découvrir la réalité en même temps que le destinataire afin de créer une connivence avec son lecteur.

L’illusion de visualisation et la promesse de révélation d’un secret par l’énonciateur sont renforcées par les publications judiciaires en ‘ Une ’, autre outil de légitimation de leur propos.

‘« La presse people (…) affiche sur ses couvertures, contrainte mais pas si forcée que cela, les jugements la condamnant et qui lui servent d’étendard. (…) Les rapports avec l’institution judiciaire participent de son économie.326 »’

Ces publications judiciaires prouvent au lecteur que le journal a été condamné pour révélation et non pour diffamation327.

‘« L’action en justice porte moins sur l’idée d’une réalité tronquée, manipulée que sur le fait que la photo n’était pas autorisée : s’il est question de droit à l’image et de respect de la vie privée, c’est que la photo vole bel et bien des espaces-temps irréfutables.328 »’

Nous retrouvons la modalité positive de l’être dans le carré véridictoire, ce qui tend à souligner la dynamique des informations révélées dans leur rapport à la vérité. Ces ‘ Unes ’ judiciaires nous amènent à aborder un élément essentiel dans la définition de la presse people : son rapport avec les questions juridiques de droit à l’image et de protection de la vie privée.

Le droit à l’image est né au milieu du XIXème siècle.

‘« Avant la Révolution française, l’idée de personne et de sphère privée était difficilement compréhensible, seule la collectivité humaine dans son ensemble revêtait un sens. Les valeurs individualistes de la Révolution bourgeoise ont constitué le terreau qui a permis de révéler une autre facette de la personne.329 »’

L’affaire Rachel permet cette émergence330. Un journaliste détenait une photographie de la tragédienne Rachel, étendue sur son lit de mort et souhaitait alors la publier331. La famille de la tragédienne tenta d’empêcher ce qu’elle considérait comme une atteinte au droit de l’image et sa sœur saisit le Tribunal Civil de la Seine. Le jugement rendu le 16 juin 1858 définit un nouveau droit de la personne, celui de protéger son image et donc la possibilité de s’opposer à la publication et à la reproduction de son image. Jusqu’en 1970, la législation imposa cependant de prouver la faute et le préjudice causé332. La loi du 17 juillet 1970, tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens, introduit dans le Code Civil, article 9, l’idée suivante : « ‘ Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent sans préjudice de la réparation du dommage subi prescrire toutes mesures telles que séquestres, saisies et autres, propre à empêcher ou à faire cesser une atteinte à la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. ’ »333. Cette nouvelle loi fut votée peu de temps après l’accès au pouvoir de George Pompidou, récente victime de la presse à sensation. Celui-ci avait été affecté par des rumeurs dans l’affaire Marcovic, nom de l’ancien garde du corps d’Alain Delon, découvert mort dans une décharge publique, en octobre 1968. La rumeur avait alors relayé que celui-ci vendait des photographies compromettantes de personnalités prenant part à des soirées libertines. Le nom de Claude Pompidou avait été prononcé dans la presse et des photographies truquées circulèrent dans l’espace public334. Depuis 1970, la seule constatation de l’atteinte à l’image et à la vie privée d’une personne qui n’a pas donné son autorisation, ouvre droit à réparation mais aussi à des sanctions pénales mentionnées par l’article 226-1 du code pénal335.

Ainsi, en France, la protection de la vie privée est garantie par un texte législatif ; il fixe un droit de la personne à protéger sa vie privée. Cependant, il n'y aucune définition légale de ce qu’est la vie privée. C'est la jurisprudence qui est chargée de dire ce qui est protégé. En 1858, il y eut une séparation idéelle et juridique de la personne par rapport à la masse : on lui reconnut une dimension intime qu’elle pouvait protéger. L’isolement de cette dimension ne pouvait être réalisé que dans un second temps ; « ‘ il fallait que le concept de droit à la vie privée soit bien délimité et corresponde à une réalité sociologique, à une demande des individus ’ »336. La jurisprudence est venue augmenter cette considération : elle inclut ainsi le domicile, l'image, la voix, le fait d'être enceinte, l'état de santé, la vie sentimentale, la correspondance (y compris sur le lieu de travail). Un évènement public peut lui-même relever d’un évènement privé comme l’a affirmé le Tribunal de Grand Instance de Nanterre suite à la plainte de Mylène Farmer pour des photographies la représentant à l’enterrement de son frère337. Par ailleurs, le fait que la personne ait elle-même révélé des faits n'autorise pas la redivulgation de certains de ces faits (droit à l'oubli). La redivulgation est soumise à autorisation spéciale, sauf lorsque la publication des faits ne vise pas à nuire et obéit à un intérêt légitime. De là apparaît la tension inhérente entre droit à l’image et à la vie privée et liberté de l’information. Ces deux aspects sont interdépendants : chaque loi ou jurisprudence naît d’une affaire mettant en scène une personne célèbre et une publication dans la presse.

‘« De façon générale, le droit à l’image se trouve concurrencé par la liberté de l’information, en particulier quand il s’agit d’illustrer des articles de presse qui concernent des faits d’actualité. Aujourd’hui, il revient à la Cour de cassation de concilier ce droit avec le droit à l’image. 338 »’

« ‘ Le propre de la presse people est d’être une presse du secret, dans le sens où elle est censée divulguer tous les aspects de la vie privée des gens célèbres y compris les plus cachés  ’»339, disions-nous au début de ce propos. Pourtant, la notion de secret est complexe à définir. Cette activité de la presse people comme constitutive de l’énonciation du récit dévoile deux types de réponse : une divulgation du secret et une mise au secret de faits qui ne le sont pas permettant alors la révélation. Tout le fonctionnement de la presse people s’organise autour des logiques de révélation et secret ; un fonctionnement que cette presse expose pour légitimer son propos et son activité340. Que ce soit dans l’exploitation d’une rhétorique autour du caché et du montré, dans l’explicitation de sa mise en discours qui part du secret vers la révélation ou des enjeux juridiques de ce journalisme, le processus de révélation des secrets des gens célèbres tend à voiler le processus de manipulation de la réalité, ce qui tend à renforcer la crédibilité de cette presse : ‘ la machinerie fait oublier le machiniste ’.

Notes
322.

DAKHLIA, J., « Formes et secrets de la presse people : les faux reflets de l’authentique », WUILLEME, T. (dir.) Autour des secrets, Paris : L’Harmattan, 2004, p. 155.

323.

GREIMAS & COURTES, 1993, op. cit. p. 417.

324.

Ibid. ’ p. 419.

325.

Comme ce fut le cas en Une de ‘ France Dimanche ’3206, ‘ Ici Paris ’ 3266 et ‘ Closer ’139, lors de la médiatisation du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni‘ . ’ Closer insista doublement en se qualifiant de « ‘ Numéro inratable  ’», ‘ VSD ’ 1589 de la même façon désigna son édition comme « ‘ Un numéro exceptionnel ’ ». Nous reprendrons cette problématique de la mise en visibilité dans la presse people lors de l’analyse du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, Chap. VII.

326.

PIERRAT, E., « Les médias et le droit à l’image », Médiamorphoses, 8, 2003, p.94.

327.

Les Unes judiciaires mettent toujours en scène des condamnations pour atteinte à la vie privée et au droit à l’image et non pour calomnies, ce qui tend à renforcer l’aspect véridictoire des informations pouvant être trouvées dans cette presse.

328.

MARION, P., « Petite phénoménologie de la photo people », Communication, 27, 1, 2009, p. 164.

329.

MOULLA, M., « Vie privée et droit à l’image des personnes », [en ligne : http://www.avocats-publishing .com/Vie-privee-et-droit-a-l-image-des,142]

330.

BERTRAND, A.,  Droit à la vie privée et droit à l’image. Paris : Ed. Litec, 1999.

331.

Situation quasi analogue réitérée un siècle et demi plus tard par la publication de la photo de François Mitterrand sur son lit de mort.

332.

DU CREST, A., « Mon image est à moi et a un prix !», L’Histoire, 294, Janvier 2005, p.22.

333.

SENAT, Note de synthèse : la protection de la vie privée face aux médias, [en ligne : http://www.senat.fr/lc/lc33/lc330.html#toc2]

334.

DELPORTE, C., « Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? », Temps et Médias, 10, 2008, p. 42.

335.

Cette législation française amène les titres de presse people à concevoir les coûts de condamnation en fonction des bénéfices supposés d’un numéro. Ce calcul privilégie, en parallèle, une mise en visibilité plus importante de peoples et stars américaines, peu enclins à porter plainte contre un titre français, et conduit à l’émergence de personnages peu médiatisés dans d’autres presses comme les « starlettes » ou acteurs et actrices de séries télévisés peu ou pas encore diffusées en France.

336.

MOULLA, op. cit. [en ligne]

337.

TGI Nanterre - 14 mars 2000 – Légipresse, 2000, 141-1.

338.

DU CREST, 2005, op. cit. p.23.

339.

DAKHLIA, 2004, op. cit. p. 155.

340.

Nous reviendrons, plus tard, sur la prétention à la vérité comme élément révélateur des logiques du récit people.