III. 2. 3. Le récit people.

III.2.3.1. Les logiques du récit people

Au-delà de la révélation des secrets et du jeu entre ordinaire et extraordinaire, la presse people se comprend et se définit dans son genre discursif particulier : le récit. Nous partons de la recherche d’Annik Dubied sur l’information-people pour élargir la définition de ce type de presse au fonctionnement de son discours et donc aux logiques du récit people.

« ‘ Comme son cousin le fait-divers ’ »361, le récit people est un récit hybride, partagé entre information et divertissement. Il joue alors sur deux prétentions : celle de la vérité et de l’hédonisme362. La première modalité constitutive de cette hybridité rejoint ce que nous avons dit plus tôt : elle est la focalisation sur un personnage363. Si Greimas définit le récit comme tout « ‘ discours narratif de caractère figuratif comportant des personnages qui accomplissent des actions ’ »364, le récit people insiste sur l’individualisation de l’action. Il se focalise sur ce qui caractérise le personnage dans son intériorité et dans son intimité. Il se concentre sur les intérêts, les désirs et les attributs psychologiques du personnage dans son action ou à la suite de son action. Et pourtant, Annik Dubied remarque que ces récits sont rarement des récits sur soi mais des récits construits de l’extérieur365 dont l’enjeu réside dans l’attribution des « bons » attributs psychologiques366 par rapport à l’action narrativisée. Il y a ici une construction narratogénique du personnage : il est rendu photogénique pour le récit367, afin de maintenir l’identification et la projection du lecteur et de renforcer la consistance dynamique de l’identité médiatique des personnages de la presse people.

‘« Le people est (…) une excellente « pâte à récit », parce qu’il se concentre par nature sur des intérêts humains incarnés dans d’extraordinaires personnages ordinaires. La dynamique de ces histoires est quasi-assurée.368 »’

Cette attribution de l’extérieur de considérations intérieures relève précisément d’une particularité de ce type de presse et renforce son intrusion dans le champ du divertissement, en s’éloignant ainsi de la prétention à la vérité.

‘« Les personnages se voient souvent attribuer des traits psychologiques, voire des pensées ; et même si le récit journalistique ou les sources s’appuient sur des actes ou des témoignages pour ce faire, les figures ainsi dessinées fonctionnent sur un mode imaginaire fictionnel.369 »’

Cette narration d’éléments difficilement accessibles au narrateur invite alors à repenser la problématique de la révélation et du secret. Cette divulgation de l’intériorité des personnages consiste moins en une révélation, l’être de ce qui est révélé étant fictionnel et s’approchant plus dangereusement du non-être que d’une fictionnalisation d’un imaginaire. Pourtant, l’effet de fiction joue le rôle de révélateur, il décrit ce qui est caché et semble renforcer, paradoxalement, l’axe véridictoire du récit. Ici réside la deuxième modalité de l’hybridité du récit people : la « ‘ propension à la transgression ’ »370. La transgression est double : elle est à la fois la monstration d’une transgression du personnage, comme « ‘ une rupture dans le cours normal des choses ’ », mais aussi la monstration même dans sa nature, en tant que ce sont « ‘ des fragments d’intimité arrachés (…) ou des fragments dont on mime le vol ’ »371. La première investit l’action narrativisée et donc l’objet de l’énonciation ; la seconde consiste en l’activité d’énonciation. Pourtant, pour cette seconde monstration, nous choisissons de garder le terme de « révélation » plutôt que de « transgression » pour nuancer l’aspect négatif de ce dernier terme. Enfin, la dernière modalité dévoilant les logiques du récit people investit la configuration temporelle de ce récit. Si le récit cherche à mettre en scène un évènement réel, le temps du récit diffère du temps référentiel par sa feuilletonnisation et sa configuration en termes de construction du suspens, révélant sa progression « ‘ sous la conduite d’une attente qui est aussi une attente du rebondissement ’ »372. « ‘ Ce thème projectif correspond idéalement à l’hédonisme du présent ’ » et « ‘ dissout (…) passé et futur dans le présent d’intensité heureuse ’ »373. Cette précision demande de revenir sur notre distinction entre Greimas et Ricœur374. Pour Ricœur, le temps est l’élément catalyseur de toute réflexion sur le récit. Celui-ci s’appréhende à partir de la pré-compréhension du monde qu’il s’apprête à configurer dans le temps du récit. A ces deux temps (ou mimésis, dans le vocabulaire ricoeurien) vient s’ajouter un troisième, celui qui « ‘ marque l’intersection du monde du texte et du monde de l’auditeur ou du lecteur ’»375. Cette remarque relève de « la mise en intrigue » opérée dans le récit, une mise en intrigue éloignée des perspectives greimassiennes que nous soutenons dans cette recherche, car la préoccupation de la sémiotique du discontinu est plutôt de considérer « la mise en discours », c’est-à-dire de dégager la structure du récit, les relations internes de la signification. Ainsi, la modalité de configuration temporelle pour caractériser le récit people demande de penser ce dernier dans sa référentialisation externe, soit au travers de la référence au monde qu’il décrit, une injonction qui ne convient pas à notre problématique et notre approche théorique376. Pour cette raison, sans pour autant ignorer cette dernière modalité des logiques du récit people, nous faisons le choix de ne pas la considérer dans le cadre de notre analyse.

Notes
361.

DUBIED, 2009, op. cit. p. 62.

362.

MORIN, 1962, op. cit. p. 147.

363.

DUBIED, A. « Quand le fait divers rencontre la politique-people », Temps et Médias, 10, printemps 2008 (a), p. 149-150.

364.

GREIMAS & COURTES, 1993. op. cit. p. 307.

365.

DUBIED, 2009, op. cit. p. 59.

366.

DUBIED, 2008 (a), op. cit. p. 149.

367.

Ibid.p. 150.

368.

DUBIED, 2009, op. cit. p. 61.

369.

DUBIED, 2008 (a), op. cit. p. 149.

370.

DUBIED, 2008 (a), op. cit, p. 147-149.

371.

Ibid.p. 148.

372.

Ibid.p. 151.

373.

MORIN, 1962, op. cit. p. 147.

374.

Cf. Chap. I-3-2 et I-3-3.

375.

RICŒUR, 1983, op. cit. p. 109.

376.

Cette distinction et l’approche que nous soutenons ont été investies en profondeur lors de notre premier chapitre.