III.2.3.2. La place de la photographie dans le récit.

Le récit people se construit donc dans la convergence d’informations et de divertissement. Sa prétention véridictoire est mise à mal par sa fictionnalisation et les effets de fiction que celle-ci sous-tend. Cette hybridité rejoint directement le fonctionnement du fait-divers. Cependant, la place de la photographie dans le récit investit une nouvelle particularité de ce type de presse et de récit mais cristallise, par ailleurs, le jeu sur l’ordinaire et l’extra-ordinaire comme son rapport à la révélation et au secret. La photographie people revêt différents rôles. Le premier est d’attester et fonctionne comme un « ‘ certificat de présence ’ »377 : elle a valeur de preuve de la réalité et authentifie le récit, ce qui est raconté : « ‘ «  ’cela a été‘  » est un ’« c’est ça‘  » ’ »378. La testimonialité entraine ainsi immédiatement la crédibilisation et l’authentification. Mais parallèlement, cette testimonialité s’accompagne d’une documentarité : « ‘ elle fait document  ’»379. Cette documentarité permettra alors, plus loin, la reconnaissance par intericonicité. En effet, si la photographie d’une personne publique nous amène à affirmer :  « ‘ Oui, c’est bien lui, je le reconnais » ’, nous ne pouvons ignorer que cette reconnaissance se réalise moins dans un rapport au réel que dans un rapport à une autre image médiatique de ce personnage qui nous a permis de l’identifier et donc de le reconnaître dans cette nouvelle photographie380. Ces rôles sont des enjeux de l’image que nous retrouvons dans toute problématique sur la photographie médiatique. Pourtant, elles sont exacerbées dans la presse people, l’image figurant comme un élément primordial. L’image détient, en effet, une fonction épiphanique qui permet d’annoncer la nouvelle avant le texte381 et, parallèlement, révèle son « ‘ surinvestissement ontologique ’ ».

‘« Vivant par et pour la célébrité, les personnalités doivent, dans le processus de construction de leur image – au sens lipmannien du terme – composer avec un récit people centré sur l’image en tant que représentation iconique, à travers de très nombreux clichés posés ou volés.382 »’

Nous trouvons deux types de photographies dans la presse people : la photo « volée » et la photo convenue. La première répond à l’injonction de révélation, dynamique de ce type de presse : elle se caractérise par son contenu et une rhétorique iconique du flagrant délit. Le contenu de la photo volée, c’est-à-dire ce qu’elle montre, utilise différents éléments signifiant le vol, tels que des visages hagards et non-maquillés, des personnages en plein action, ce qui suppose qu’ils n’ont pas conscience d’être pris en photo. Ici, l’effet « lunettes de soleil » rentre, parallèlement, en jeu et tend à donner l’illusion que le people se cache383. Enfin, la rhétorique iconique du flagrant délit384 est par le flou, les effets bougés, la vue en plongée qui renvoie à l’imaginaire de la caméra de surveillance, la présence d’obstacles, autant de preuves que cette photographie surprend le réel. Cette rhétorique est amplifiée par l’utilisation du cadre rond qui ‘ « évoque souvent la forme de la lentille d’un puissant téléobjectif (…) Associée à un montré flou, où le personnage a peine à se détacher d’une profondeur de champ écrasée, cette forme ronde renvoie (…) à l’imaginaire voyeuriste de la lorgnette et du trou de serrure ’ »385. Ces bruits visuels permettent d’attester que ce qui est montré était caché et soulignent, parallèlement, la performance du photographe et la difficulté d’atteindre ce caché. La presse people joue, ainsi, sur l’effet de scoop en insistant sur le facteur de transgression et d’interdit pour attiser la curiosité du lecteur et authentifier la véracité de ce qu’elle montre. Le personnage people est alors renvoyé à son statut de personne ordinaire dont la visibilité semble sincère, non-apprêtée et non-contrôlée. A l’opposé, nous trouvons la photographie convenue dont l’exemple parfait est la pose les yeux dans les yeux. Cette photographie est alors le fruit de négociation entre le photographe et le sujet photographié. Le personnage people est un être extraordinaire qui négocie ses apparitions. Une telle photographie est une invitation pour le spectateur à regarder et reconnaître le personnage. Elle a force de proximisation entre le spectateur et le personnage célèbre386. Enfin, que la photographie soit volée ou convenue, celle-ci peut servir à une dernière utilisation dans la presse people, ce que Marion nomme « l’effet bourrelet ». En effet, les photographies peuvent servir à une dé-célébration du personnage people en révélant « ‘ la célébrité dans ses tracas « petit-bourgeois » : grossir (…), se rider, vieillir ’ »387, etc. à l’aide, entre autres, de gros plans et effets zoom sur des détails physiques ou matériels que le spectateur n’aurait pas forcément remarqués.

‘« Les photos servent (…) à matérialiser dans l’empreinte photographique ces mouvements d’ascenseur dans les deux sens : elles peuvent cristalliser un parcours vers le haut de l’échelle des gratifications, ou vers le bas, ou quelque part entre les deux. 388 »’

La photographie, comme le récit, s’organisent donc sur le jeu de la révélation et du secret comme sur l’axe heuristique de l’ordinaire et de l’extraordinaire. Or, de la même manière que nous concluions notre propos sur la révélation et le secret, il nous semble important de souligner que le jeu entre le caché et le montré, tel qu’il est mobilisé dans la photographie people fait oublier la manipulation de la réalité par l’image. ‘ La machinerie fait oublier le machiniste ’, précisions-nous plus tôt. Cette dimension se retrouve dans la photographie people qui tend à crédibiliser le contenu de la photo dans les dichotomies « ordinaire – extraordinaire » et « caché – montré » par la performance révélatrice du photographe, la captation et monstration du réel étant signifiée comme exceptionnelles389. Ainsi, la photographie a moins une fonction d’illustration qu’elle n’est, elle-même, un moteur narratif : elle est le vecteur de déclenchement et le lieu de déploiement du récit390.

Notes
377.

BARTHES, R., La chambre claire, Paris : Le Seuil, 1980, p. 135.

378.

Ibid. p. 135.

379.

MARION, 2009, op. cit. p. 162.

380.

Ibid. p. 161.

381.

DAKHLIA, 2005, op. cit. p. 81.

382.

Ibid. p. 75.

383.

MARION, 2009, op. cit. p. 172-174.

384.

Ibid. p. 163-165 et 169-170.

385.

Ibid. p. 169-170.

386.

Ibid. p. 168.

387.

Ibid. p. 175.

388.

Ibid. MARION, 2009, op. cit. p. 176.

389.

MARION, 2009, op. cit. p. 165.

390.

Ibid. p. 161.