III. 2. 4. Présentation des titres de presse people

Ces variables constitutives du fonctionnement de la presse people peuvent être identifiées comme des modalités de distinction entre les différents titres français présents dans notre corpus. Elles servent à définir chaque titre de presse et à les regrouper en sous-catégories. Parce que notre travail porte sur la période de la campagne présidentielle de 2007, nous ne sélectionnons que les titres de presse people existants alors et ignorons les titres ‘ Oops ’, ‘ Psst ’ ‘ Célébrité Magazine ’ et Yep !, nés en 2008 pour le premier, en 2009 pour les suivants et en 2010 pour le dernier.

France Dimanche ’, ‘ Ici Paris ’ et ‘ Point de vue ’ naissent en 1945. Les deux premiers proposent « ‘ une information romancée ’[et]‘ trouvent ’[leurs]‘ sujets parmi les vedettes du spectacle et dans le monde du crime ’ »391. Ils offrent une vision du monde pessimiste qui accorde « ‘ une place non négligeable à la maladie, à la mort et à l’insécurité, en accord avec une cible plutôt âgée ’ »392. ‘ Point de Vue ’, de son coté, cultive « ‘ l’art de la révérence envers les familles aristocratiques, mais aussi à l’égard des artistes, vedettes et hommes d’affaires qui grossissent les rangs d’une nouvelle noblesse d’image. Il initie le lecteur aux rites du Gotha en même temps qu’à l’art ou au patrimoine ’ »393. Cette différence met en lumière la question de l’identité mixte des personnages people. ‘ Point de Vue ’ tend à les mettre en scène dans leur grandeur et leur caractère extraordinaire et cette logique amène ce journal à ne sélectionner que des personnages dont le caractère extraordinaire est construit dans un monde autre que celui du monde de l’opinion. A l’opposé, ‘ France Dimanche ’ et ‘ Ici Paris ’ médiatisent des personnages dans leurs malheurs et leurs souffrances. D’après l’analyse des Unes parues entre le 14 mai 2007 et le 30 avril 2010, 86% des titres principaux pour ‘ Ici Paris ’ et 87,8% pour ‘ France Dimanche ’ mettent en scènes des ruptures, des morts, des accidents, et plus généralement des drames. Cette vision pessimiste de l’actualité people invite le lecteur à considérer avant tout ce personnage médiatisé comme un individu ordinaire, qui pleure et qui souffre comme lui. Il y a donc ordinarisation des personnages people renforcée, par ailleurs, par des effets de fiction : le narrateur décrit les ressentis et les pensées du personnage. Ainsi, plus qu’une intrusion dans sa vie privée, ces titres nous proposent une intrusion dans son esprit ou son intimité.

En 1987, Prisma Presse lance ‘ Voici. ’Si, à son lancement, le magazine féminin peine à s’imposer, son repositionnement dans le créneau du scandale en 1992 bouleverse le marché de la presse magazine en imposant un nouveau genre dans l’espace public français : celui de la « ‘ presse de paparazzi  ’». Il introduit la question de la révélation agressive à l’aide de photographies volées et d’indiscrétions révélées sur les stars. C’est le passage de la mise au secret vers la révélation des secrets. En effet, ‘ France Dimanche ’, ‘ Ici Paris ’et‘ Point de vue

participent à une mise au secret d’informations par des effets de fiction ; ils révèlent peu d’informations cachées par les stars comme en témoignent les faibles pourcentages de Unes judiciaires : 0,6% pour ‘ France Dimanche ’, 3,2% pour ‘ Ici Paris ’ et 1,3% pour ‘ Point de Vue ’ contre 22,6% pour ‘ Voici ’. Le ton de ‘ Voici ’ est ironique394 ; le contrat de lecture relève de la dé-célébration et du voyeurisme. Un tel traitement de l’information se retrouve chez ‘ Closer ’, titre qui détient la seconde place pour les Unes judiciaires après ‘ Voici ’ avec 12%. Mais ‘ Closer ’ est né en 2005. Plus tôt, 1993 voit la création du magazine ‘ Gala ’ par le même groupe que ‘ Voici ’, Prisma Presse. Il porte le sous-titre « ‘ L’actualité des gens célèbres ’ ». Ce magazine poursuit la vocation initiatique de ‘ Point de Vue ’mais « ‘ indique, quant à lui, le chemin vers un Idéal confondu avec le corps sublimé de la star  ’»395, ce qui renvoie vers son auto-désignation, à la fois, comme magazine people et féminin. ‘ Public ’ naît en 2003 et adopte un « ‘ ton badin et exclamatif ’ »396. Il s’adresse à un public plus jeune, repérable avec son utilisation des « ‘ codes-couleurs, la plasticité des cadres et les rapports image-texte évoquent autant la bande- ’ ‘ dessinée que les magazines de fans pour adolescents ’ »397. ‘ Closer ’ émerge, quant à lui, dans l’espace public français en 2005. Il rejoint directement ‘ Voici ’ sur sa ligne éditoriale bien qu’il adopte un ton moins moqueur ; il le dépassera d’ailleurs en 2008 et continuera son ascension en 2009 avec une moyenne de diffusion de 505 967 exemplaires par semaine contre 443 132 pour ‘ Voici ; Closer ’devient alors‘ ’le second magazine people le plus diffusé après ‘ Paris Match ’.

[Tableau  : Diffusion de la presse people en 2008 et 2009]
[Tableau : Diffusion de la presse people en 2008 et 2009]

En 1938, ‘ Match ’, magazine sportif, est racheté à ‘ L’intransigeant ’ et transformé en magazine d’actualité, directement inspiré de ‘ Life ’. C’est en 1949 qu’il devient ‘ Paris-Match ’ et supplante tous les autres titres de la presse illustrée avec un lectorat massif, refusant ainsi un engagement trop affirmé. En 1968, face à la concurrence de la télévision, il lance une rubrique « people »398. En 2008, le slogan qui incarnait le magazine depuis 1976 « ‘ Le poids des mots, le choc des photos ’ » est transformé en « ‘ La vie est une histoire vraie ’ ». Ce nouveau slogan insiste donc sur une narration de tranche de vie ; l’ordinaire devenant le garant de vérité.

‘« Cette campagne est pour nous l’occasion d’expliquer notre regard sur la vie. Dans un monde qui est déshumanisé, qui parle en chiffres, ou l’information est très souvent une abstraction, Paris-Match veut être un repère. Nous voulons regarder le monde à travers l’être humain, sans avoir peur de nos émotions. Notre journalisme est fondamentalement du côté des gens.399 »’

La ligne éditoriale renouvelée s’affirme ainsi « ‘ du côté des gens  ’». Le parallèle avec la rubrique people du magazine, intitulée « ‘ les gens ’ », nous amène à penser une officialisation d’un traitement people généralisé. Pourtant, il est discutable que ce magazine soit classé dans une telle catégorie, tout comme ‘ VSD ’. ‘ VSD, ’ né en 1977, est le sigle de « ‘ vendredi-samedi-dimanche ’ » ; son slogan est « ‘ Le premier hebdo d’information du week-end ’ ». En 1995, les propriétaires du magazine déposent le bilan et ‘ VSD ’ cesse de paraître jusqu’à ce que Prisma Presse le rachète, un an plus tard, en mars 1996 ; ‘ VSD ’ reparait, dans les kiosques, en juin de la même année.

‘« Qu’est-ce que VSD ? Curieux, anticonformiste, sans tabou, moderne, défricheur de sujets, un fournisseur et un metteur en scène d’infos inédites. Plus d’infos, plus de photos, plus de rubriques, plus de coulisses et de décryptages, et plus d’émotions, VSD s’organise en deux grandes parties indissociables l’une de l’autre : “Les coulisses de l’actualité” et “Le meilleur des week-ends”. Depuis sa création en 1977, l’information et le plaisir sont dans les gênes du magazine. Ces valeurs clefs répondent aux nécessités d’aujourd’hui : être informés et s’évader ! VSD propose des enquêtes approfondies, un balayage pointu et sélectif de l’actualité agrémenté d’une partie culture et tendances. Les sujets sont classés par genre journalistique. La rubrique, “Les Indiscrets de VSD” regroupe toute l’actualité de la semaine.400 »’

Nous retrouvons certains éléments cités dans la définition de la presse people : le jeu de la révélation et du secret avec les mots « ‘ coulisses ’ », « ‘ tabous ’ » et ‘ « indiscrets ’ », l’expression « ‘ coulisses de l’actualité  ’» servant même à résumer la ligne éditoriale du traitement de l’information et la rubrique « ‘ les indiscrets de VSD ’ » celle de l’actualité. L’évocation du traitement par l’émotion et le contrat de lecture s’organisent explicitement autour de l’information et de l’évasion et semble remplir les critères de catégorisation de ce titre dans le genre « presse people ». Dakhlia refuse cependant de considérer ‘ Paris Match ’ et ‘ VSD ’ comme des titres people et parle de ‘ picture magazines401  ’; ces magazines sont classés, par ailleurs, dans la rubrique « Actualités générales » par l’OJD402. Jean François Dortier les catégorise, lui, comme relevant de la presse people403, tout comme Philippe Marion, dans un article daté de 2005404. Nous prenons également le parti de les considérer comme des titres de presse people, les résultats des différentes analyses éprouveront cette identification, comme les premiers éléments d’appartenance au genre qui ont émergé de leur présentation.

Notes
391.

FEYEL, 2001, op. cit. p. 43.

392.

DAKHLIA, 2005, op. cit. p. 82.

393.

DAKHLIA, 2009, op. cit. p. 69.

394.

Nous reviendrons sur ce procédé rhétorique lors de nos analyses.

395.

DAKHLIA, 2009, op. cit. p. 69.

396.

Ibid. p. 70.

397.

DAKHLIA, 2009, op. cit. p. 70.

398.

FEYEL, 2001, op. cit, p.37-38.

399.

Olivier Royant, rédacteur en chef de Paris-Match, dans un communiqué de presse du 22 janvier 2008, [en ligne : http://www.lagardere.com/centre-presse/communiques-de-presse/communiques-de-presse-122.html& idpress=3458]

400.

Présentation de VSD par son propriétaire Prisma Presse, [en ligne : http://www.prisma-presse.com/contenu_editorial/pages/magazines/mag/vsd.php]

401.

DAKHLIA, 2005, op. cit. p. 77.

402.

Marque déposée, à laquelle ne correspond plus aucune appellation officielle développée. Nous reprendrons donc la fonction que celui-ci se donne sur le site : Association pour le contrôle de la diffusion des médias.

403.

DORTIER, J-F., « La presse people de Closer au... Canard enchaîné », Sciences humaines, 204, 2009, p. 16.

404.

MARION, P., « De la presse people au populaire médiatique », Hermès, 42, 2005, p. 120.