III.2.5.1. Personnage et évènement : la question de l’évènement-people.

Paris Match ’consacre sept Unes et ‘ VSD ’ trois406 à un évènement plutôt qu’à ses (ou son) personnages407. Ces Unes mettent en scène un fait social construit à partir du matériel des dépêches et transformé en évènement par les médias en étant dit, raconté, représenté et donc façonné408. Les Unes restantes sont consacrées à des personnages issus du monde du spectacle, médiatique ou politique. L’évènement comme objet de médiatisation et de narration est donc présent dans ces titres, contrairement aux autres journaux de notre corpus dont la mise en personnage semble constante. Ce constat nous amène à réfléchir la notion d’évènement et ses implications médiatiques intrinsèques mais, par ailleurs, à poser la question de l’évènement people. Les évènements repérés dans ces deux titres sont des évènements sociaux prenant place dans un magazine people. Dans quelle mesure existe-t-il un évènement people ? Peut-on considérer et sous quelles conditions qu’une information people puissent devenir évènement ?

Isabelle Garcin-Marrou rend compte du processus de transformation d’une information en évènement : la configuration de l’évènementialité d’une information passe par l’attribution d’un sens, d’une valeur ou d’une importance significative de cette information. L’évènementialisation d’une information se définit donc moins dans son intelligibilité que la charge symbolique que les médias instaurent en son sein409. L’évènement est constitué par un non-savoir radical ; le discours vrai est impossible, selon Jean-François Tétu : « ‘ Si l’évènement crée une fêlure, ouvre une faille de la représentation et, dans cette mesure, laisse interdit, il est aussi ce qui tout simplement va faire parler  ’»410 : une multitude de discours comble la brèche en installant des suspensions et des intelligibilités de l’évènement et en faisant « ‘ émerger des symboles qui (…) peuvent induire des lectures différentes de ce qui s’est produit. Ceci occasionne des « décalages » d’interprétation ’ »411. L’information-people peut-elle accéder au statut d’évènement par ses seules propriétés ? Dans la littérature scientifique, le concept d’évènement-people est formalisé par Dubied : l’évènement people est médiatisé ; il se focalise sur un ou des personnages, dont l’une, au moins, est une célébrité, traité(s) dans le cadre de sa (leurs) vie privée et mobilisé(s) « ‘ à partir d’un ou plusieurs attributs spécifiques au personnage-people  ’». Enfin l’évènement people doit mettre en scène « ‘ un fragment de la vie de la célébrité dans un fragment du monde-people spécifique ’ »412. Cécile Rais le définit comme « ‘ un évènement médiatique mettant en scène une ou des célébrités le plus souvent dans le cadre de leur vie privée, et qui possède des caractéristiques spécifiques dans le traitement journalistique (tels que la personnalisation de l’information ou le sensationnalisme, etc.) ’ »413. Les évènements people traités dans cette étude sont des évènements médiatisés, par ailleurs, dans la presse quotidienne nationale. De la même manière, dans « Une femme au gouvernement : un feuilleton électoral entre politique et people », les auteurs « ‘ relève ’[nt]‘ à ce propos un cas exemplaire d’enchevêtrement du politique et du people dû aux tensions entre un agenda politique, qui fournit une ’« pré-configuration ‘ » à l’intrigue médiatique, et un agenda médiatique, qui mélange des informations d’ordre politique avec des incursions dans la vie privée, ce qui s’apparente clairement à la définition de l’événement-people » 414. Une fois encore, nous sommes face au cas d’un évènement médiatisé à la fois dans la presse people et dans la presse dite sérieuse. Une réflexion est ici nécessaire. Un évènement-people ne peut se réaliser ou se construire dans le confinement du traitement journalistique people. Si la médiatisation, la personnalisation, la négociation de normes sociales et l’installation d’un décor sont autant de propriétés de l’évènement et de celles de l’information-people, la question du bouleversement de l’ordre et l’aporie du savoir semblent faire défaut à cette dernière.

‘« L’évènement est une rupture qui conduirait à ruiner l’ordre et l’équilibre sur lequel [la société] est fondée »415

Ainsi, pour qu’une information-people devienne évènement-people, elle nécessite une narration et un investissement hors de son lieu de déploiement typique, c'est-à-dire hors du monde-people. Les différents auteurs mobilisant la notion d’évènement-people traitent d’un évènement-people mais ces informations-people devenues évènements ont été projetés hors du monde-people et vers les mondes politique, juridique et social pour les affaires Stern et Sarkozy416 et Doris Leuthard417, signifié, entre autres, par une médiatisation dans la presse dite sérieuse et par la propriété particulière du traitement de ces évènements qui l’inscrive‘ « sur une mémoire sociale, politique et historique ’ »418.

L’évènement nait d’une médiatisation pas d’un fait : « ‘ Ce n’est pas la réalité du phénomène mais son apparence qui fait l’évènement  ’»419. Il se construit dans l’attribution médiatique de sa propre valeur évènementielle, dans la lecture des symboles liés à l’évènement et dans la mise en relation de ces symboles avec la mémoire historique420. Une information people peut devenir évènement sous certaines conditions, nous l’avons dit. Une information people déjà évenementialisée dans d’autres lieux fait-elle toujours évènement ? L’apparence de l’évènement interroge finalement ici sa permanence en tant qu’évènement. On voit ici qu’une comparaison entre presse dite sérieuse et presse people est incontournable pour penser l’évènementialisation d’une information-people, objet de l’analyse dans le chapitre VII de cet écrit. A ce stade et sans répondre à une telle réflexion, nous formulons deux hypothèses :

La spécificité de VSD et Paris-Match, et le refus de certains auteurs de les considérer comme relevant de la presse people, repose sur leur potentiel d’évènementialisation.
La presse people, focalisée sur des personnages qu’elle confine dans les mondes domestique et de l’opinion et légitimée par le caractère révélatoire de sa ligne éditoriale l’empêchant de réfléchir un « non-savoir radical », réduit au minimum le potentiel évènementiel de certaines informations-people.

Notes
406.

Paris Match 3047 du 11/10/07 sur la victoire de l’équipe de France de Rugby : « Que la force soit avec eux »

Paris Match 3051 du 08/11/07 : « La dérive de l’Arche de Zoé »

Paris Match 3091 du 14/08/08 : « JO : Une cérémonie à couper le souffle »

Paris Match 3133 du 04/06/09 : « Vol AF447. Rio-Paris. La douleur. »

Paris Match 3166 du 21/10/10 : « Haiti au cœur du malheur »

Paris Match 3172 du 04/03/10 : « Tempête meurtrière. La France ravagée »

Paris Match 3178 du 15/04/10 : « Après la tempête. La détresse des sinistrés : Leurs maisons seront rasées »

VSD 1658 du 04/06/09 : « Le crash a brisé leur vie »

VSD 1659 du 10/06/09 : « Nos avions sont-ils sûrs ? »

VSD 1678 du 21/10/09 : « Dans l’enfer de la mode. L’enquête qui dérange. Anorexie, chantage, harcèlement. »

407.

Cette dichotomie « évènement versus personnage » reste à nuancer, ces Unes sont souvent illustrées par les photos de victimes permettant l’identification du lecteur. Seules deux Unes de Paris-Match sont « sans visage » et montrent, pour le n°3172, une photo vue du ciel des dégâts de la tempête et, pour le n°3091, une photo de la cérémonie d’ouverture des JO.

408.

VERON, E., Construire l’évènement. L’évènement et l’accident de Three Mile Island. Paris : Ed. de Minuit. 1981.

409.

GARCIN-MARROU, I.,  « L’Événement dans l’information sur l’Irlande du Nord », Réseaux, 76,  1996. p. 47-60.

410.

TETU, J-F., « De l’événement aux affaires », Médias et culture, Hors-série n°2, 2008, p. 22.

411.

GARCIN-MARROU, 1996, op. cit.p. 55.

412.

DUBIED, A., « Les récits de faits divers et les récits people », Médias et culture, Hors-série n°2, 2008 (b), p. 38.

413.

RAIS, C., « Presse et évènement people, une subjectivité qui s’affiche », Recherches en communication, 26, 2007, p. 226.

414.

REVAZ, F., PAHUD, S. & BARONI, R., « Une femme au gouvernement : un feuilleton électoral entre politique et people », Communication, 27, 1, 2009. p. 159.

415.

TETU, 2008, op. cit. p. 22.

416.

DUBIED, A., « Le récit de l'affaire Stern dans la presse suisse-romande: fragmentation, cimentages narratifs et tissages intertextuels », Nos récits, 2008 (c). & DUBIED, 2008 (b), op. cit.

417.

REVAZ, PAHUD & BARONI, 2009, op. cit. p. 139-159.

418.

GARCIN-MARROU, 1996, op. cit. p. 49.

419.

TETU, 2008, op. cit. p. 16.

420.

GARCIN-MARROU, 1996, op. cit. p. 56.