III.2.5.2. Les informations « immortelles ».

Dans notre observation des Unes non consacrées à un ou des personnages, nous repérons une deuxième dichotomie heuristique « personne versus collectif ». Trois Unes sont consacrées à un évènement dans ‘ VSD ’, onze autres ne focalisent le récit ni autour d’un ou plusieurs personnages identifiables ni autour d’un évènement mais autour d’un collectif. Cette observation nous conduit à vérifier si un tel traitement se retrouve dans les autres titres.

Tableau 4 : Les Unes collectives
Tableau 4 : Les Unes collectives

Ces Unes se définissent par le traitement collectif d’une thématique. Deux types de collectifs sont traités : le collectif global (les stars ou les gens célèbres) et les collectifs restreints (les héritiers/enfants de stars, les hommes politiques, les candidats d’une émission TV, les sportifs, etc.). ‘ Public ’ consacre plus de 45% de ces Unes à un collectif alors que ‘ Closer ’ arrive en seconde position avec 23%, ‘ Paris-Match ’ et ‘ France-Dimanche ’ n’ont aucune Une collective. Ces Unes ne relèvent pas d’évènement mais dressent une liste de célébrités concernées par la thématique abordée. Ces thématiques peuvent être regroupées en quatre catégories. La première relève du rapport au corps et à l’apparence. Nous trouvons alors des Unes consacrées à la question du poids, à la chirurgie esthétique, aux complexes physiques, etc. La seconde se consacre à la vie quotidienne des stars et leurs vies professionnelles (à travers la question, pour cette dernière, de leurs salaires et, plus généralement de leurs rapports à la célébrité). La troisième est consacrée à la question de la sexualité et de la vie amoureuse des stars. Enfin, la dernière, consacrée à une émission télévisée, ‘ Secret Story ’ majoritairement, sans être focalisée sur un des personnages, met en scène l’ensemble des candidats. Ces Unes sont particulièrement intéressantes car elles relèvent de la logique de mise en scène et situent le lecteur par rapport aux stars. Par le traitement collectif d’une thématique, elles posent des éléments constitutifs et relatifs à la célébrité, instaurant alors une distinction entre la personne célèbre et le lecteur. Pourtant, plus qu’une distinction, elles imposent une relation entre ces deux sujets du monde de l’opinion, révélatrice de leur ligne éditoriale.

Ces Unes questionnent la pratique journalistique dans sa répétition et son innovation, imposée par les logiques marchandes421.

‘« Cela engendre l’imitation, la copie et la recopie comme principe d’action et comme autre figure de l’actualité. Il faut se dépêcher de recopier, comme un élève pris par le temps ou son incurie à la fin d’une épreuve. Faute de possibilité d’invention, parce que le temps manque toujours, et que, du fait de la concurrence, le scoop est improbable, il n’y a que deux solutions : la fabrique du scoop ou du faux scoop (PPDA interviewant F. Castro), procédé hautement méprisé, comme si la fabrique persistante d’événements (sports en particulier) ne relevait pas de la même logique de construction ; ou la copie, le mimétisme…422 »’

Benoit Grevisse et Denis Ruellan proposent, dans l’article « Pratiques journalistiques et commémoration  », une typologie des traitements journalistiques423. Ils différencient scoop, routine, prévision et marronnier424. Le scoop désigne une « ‘ information exclusive qu’un journaliste est seul à médiatiser ’ », la reprise par les autres médias se faisant dans un second temps. La routine concerne les informations dites « chaudes » reprises dans différents médias en fonction de l’actualité. La prévision dévoile des informations dites « froides », c'est-à-dire un traitement prévu mais qui attend un moment indéterminé pour prendre la valeur d’une information « chaude ». Enfin, le marronnier est le traitement d’un évènement à date régulière. Les Unes collectives relèvent d’informations « froides », publiées sans avoir attendu qu’elles deviennent d’actualité ou du moins de saison. Leurs caractéristiques conviennent à la définition du marronnier mais leurs publications irrégulières et anachroniques empêchent de les catégoriser comme tel. Ainsi, les régimes, habituellement traités comme des marronniers dans la presse, à la fin du printemps et au début de l’été, sont mobilisés de façon aléatoire par ces magazines. Par ailleurs, les personnages de ces titres sont autant français qu’américains ; des articles comme « Au soleil, les stars s’éclatent »425 peuvent alors paraître lors de période de froid en France, comme cet exemple publié dans la semaine du 18 au 24 février 2008. L’irrégularité et l’anachronisme de ces informations, augmentées de leur non-pertinence face à l’actualité people et de leur traitement collectif, dévoilent des informations « froides » qui ne sont pas conservées au « frigo »426 parce que précisément leur actualité est atemporelle. Nous empruntons ici le terme d’ « immortelles » à Pierre Veilletet427, pour désigner ces informations qui sont hors de l’actualité tout en l’étant continuellement428. Avant, de revenir en détail sur le rapport star/lecteur construites dans les informations immortelles, nous proposons une analyse des structures et rhétorique iconique des Unes Peoples, pour enfin, conclure notre présentation de la presse people par la présentation de trois logiques de mise en scène opérées par cette presse.

Notes
421.

BOURDIEU, P., « L'emprise du journalisme », Actes de la recherche en sciences sociales, 101-102, mars 1994, p. 5.

422.

TETU, J-F., « Les médias et le temps», VITALIS, A., TETU, J.-F. & al. (dir.), Médias, temporalités et démocratie, Rennes : Editions Apogée, 2000, p. 104.

423.

GREVISSE, B. & RUELLAN, D., « Pratiques journalistiques et commémoration : Éléments de lecture du récit des festivités d’anniversaire du débarquement de Normandie », Recherches en Communication, 3, 1995, p. 89.

424.

Une cinquième catégorie figure dans cet article : la commémoration. Pourtant, nous ne l’envisagerons pas, en tant qu’elle n’est pas pertinente face à notre corpus.

425.

Public 293.

426.

Jargon journalistique pour désigner le lieu où sont gardées les informations « froides » dans l’attente qu’elles prennent la prennent la valeur d’informations « chaudes ».

427.

VEILLETET, P., « Silence, on bronze… Marronniers et immortelles », Médias, 5, juin 2005.

428.

Nous reprendrons en détail cette atemporalité de l’immortelle dans le chapitre 4, en mobilisant les « immortelles » de campagne, un oxymore qui nous permettra alors de penser le rapport particulier de la presse people à l’actualité.