III.2.7.3. ‘ Public ’, une monstration contradictoire.

[Figure 16 : Exemples de Unes "contradictoires" dans
[Figure 16 : Exemples de Unes "contradictoires" dans Public.]

Public ’ est à la charnière de ces deux logiques de mise en visibilité en adoptant le « mode mimétique haut » dans son visuel et le « mode mimétique bas » dans le récit. Il rejoint la ligne éditoriale de ‘ France Dimanche ’ et ‘ Ici Paris ’ avec de très nombreux effets de fiction sur l’intériorité des personnages people dans leurs rapports à leurs corps, à la mode ou dans leurs relations amoureuses, des sujets plus futiles, justifié par un lectorat jeune. Mais, ces effets de fiction sont absents de la rhétorique iconique avec l’utilisation de photographies convenues. La particularité de ce titre va plus loin car elle relève d’une inadéquation très fréquente entre la photographie et le récit qui questionne alors le rapport entre le récit et l’image telle que nous l’avons définie plus haut. Les exemples ci-dessous dévoilent des photographies de couples enlacés pour illustrer leurs ruptures mais aussi, des visages souriant, sereins, apprêtés alors que les récits mettent en scène une agression et une tumeur au cerveau.

Dans « Rhétorique de l’image publicitaire », Barthes explique texte la fonction de complémentarité du texte, qui permet d’arrêter la chaine flottante du sens et/ou de compléter les carences expressives de l’image439. Laurence Bardin interroge cette complémentarité : « ‘ Qu’est-ce qui prouve, dans le rapport texte/image, que c’est toujours le texte qui joue le rôle de mode d’emploi ?  ’»440. Bardin dédouble alors les fonctions de relais et d’ancrage proposées par Barthes et postule que, dans certains cas, c’est l’image qui vient fixer le sens du texte et donc que le message iconique peut avoir fonction de relais et d’ancrage441. Sans nous attarder sur le débat, nous retenons la question de complémentarité. Un enjeu fondamental de l’image réside dans son rapport au texte. Comment penser alors son non-rapport ou sa contradiction ? De la fonction authentifiante à la fonction de documentarité de la « photo-preuve » ou la « photo-illustration » jusqu’à la « photo-source »442 comme lieu de déploiement du récit, il n’y a point de place à la contradiction du récit par l’image. Pourtant, par l’utilisation de ces photographies, ‘ Public ’ nie le « cela a été » et le « c’est ça ». Il y a frustration du désir de voir, mais aussi du récit et de l’action narrativisée. S’il est fréquent de trouver, dans la presse, des photographies uniquement illustratives, c'est-à-dire des photographies de personnages ou de lieux sans rapport direct avec la performance ou l’évènement raconté, la figuration ne nie pas l’évènement.

‘« Rares sont les utilisations de photo en contrepoint, en décalage avec le texte. Rares sont les échanges entre une construction particulière de l’image non redondante ou amplificatrice et l’écrit ou la parole adjacents (…) l’image est souvent pré-programmée. 443 »’
[Figure 17 :
[Figure 17 : Public 282 et Public 279.]

C’est la question de la photo-document qui nous semble apporter une première réponse. La photo a une fonction de documentarité en tant qu’elle fait document, disions-nous plus tôt. Ici, les photos ne semblent pas pouvoir faire document, mais sont déjà documents, c'est-à-dire qu’elles ne rendent pas compte de l’évènement mais lui préexistent. Dans cette logique, nous identifions deux fonctions d’une photographie ancienne pour illustrer un évènement présent. La première est qu’elle permet de garantir la célébrité, non pas dans la visibilité de l’évènement présent mais dans la preuve qu’il y a eu médiatisation antérieure : il y a constitution de la reconnaissance par intericonicité.

La seconde fonction de la photo-document nous amène à penser l’illustration comme un garant de vérité, non pas comme preuve de la réalité énoncée mais comme authentifiant une réalité passée. Ainsi, dans le n°282 mettant en scène la rupture de Matthias et Alice444, nous trouvons des photos mettant en scène le couple heureux ; les mêmes photos parues trois semaines plus tôt, dans le n°279, pour authentifier leur couple. Nous remarquons, dans le numéro mettant en scène leur rupture, deux éléments intéressants : le premier réside dans la légende : ‘ « Il y a trois semaines, Matthias et Alice roucoulaient en Afrique du Sud plus in love que jamais, nous assurant dur comme fer qu’ils formaient un vrai couple. Oui mais à leur retour Matthias décide de rompre. Vrai couple ou business couple ? Il faut croire que l’amour à la télé a du mal à survivre à la réalité  ’» et posant alors la question d’une possible manipulation. Le second est le titre chevauchant les quatre photos déjà parues trois semaines plus tôt : « ‘ Pourtant, on y avait cru autant qu’eux ’ ». On retrouve, par ailleurs, dans le numéro 328 sur la rupture de Jonathan et Sabrina445, le même type de titre sur une photo les mettant en scène heureux : « ‘ Et pourtant ils y avaient cru… ’ ». Ainsi, les photographies authentifient, non pas l’actualité mais un précédent discours pour finalement certifier la crédibilité du discours du magazine. La photo-document passe donc d’une preuve de « cela a été » à une authentification ou remise en cause du « cela avait été », confirmant la légitimité de l’énonciateur à énoncer mais faisant perdre, en même temps, la fonction épiphanique attribué à la photographie people.

Cependant, cette fonction de la photo-document se retrouve uniquement à propos de certains personnages. L’idéologie de la célébrité amène à rendre visible des personnes visibles et ainsi, un surinvestissement de la célébrité, c’est-à-dire un redoublement de l’intérêt « ‘ accordé à des individus n’ayant aucun talent professionnel particulier, avant tout célèbres… pour leur célébrité ’ »446. Ce surinvestissement de la célébrité amène une suspicion de manipulation, par ces peoples, de leurs actualités et donc de leur célébrité, comme le montre la polémique sur Léo, un ancien candidat de la télé-réalité, qui aurait organisé avec le magazine ‘ Voici447 ’une fausse tentative de suicide‘ , ’dénoncée par le paparazzi Jean Claude Elfassi. Ainsi, la photo-document, authentifiant un discours précédent, permet de désarmer une possible suspicion de la part des lecteurs et manipulation de la part des peoples et de maintenir une crédibilité d’énonciation. Cette réflexion n’explique pas, pour autant, toutes les photographies en contradiction avec le récit. Les sourires et les visages heureux d’une part, et l’utilisation de photos convenues d’autre part, restent dominants dans les Unes de ‘ Public ’. Cette vision dynamique et optimiste renvoie à son lectorat jeune et aux personnages rendus visibles dans ce magazine : les peoples issus de la télé-réalité, les peoples américains comme Paris Hilton et Nicole Richie, et les stars de séries télévisées américaines. Majoritairement, les personnages de Public sont jeunes et peu connus du grand public, mis en scène dans l’ordinaire de leurs vies privées en même temps que leur extraordinarisation se construit.

Une dernière piste d’interprétation relevée dans ‘ Le Journal Quotidien ’ nous semble pertinente.

‘« Avec la photographie, l’acteur de l’évènement devient son propre énonciateur et le lecteur a l’illusion merveilleuse de le voir. La mutation ne porte donc pas sur le contenu mais sur l’énonciation même du contenu. »448

Ainsi, que la photo-document contradictoire vienne authentifier un « cela avait été » ou prouver la notoriété du personnage, elle déplace l’instance d’énonciation du narrateur du journal au personnage people qui sourit au lecteur et qui s’apprête à partager une tranche de vie avec lui. Dans cette logique, Lucie, qui vient d’être opérée d’une tumeur du cerveau ou Rihanna qui vient de se faire agresser, ne souriraient pas par rapport à l’action mise en scène dans le récit, mais souriraient au lecteur devenu leur interlocuteur. La floraison de Unes souriantes et heureuses malgré des récits mettant en scène des drames se justifierait par un déplacement de ce qu’elles illustrent : moins l’action narrativisée que l’instance d’énonciation.

Les Unes immortelles renforcent la spécificité de ce magazine dans sa logique de mise en scène. ‘ Public ’ détient le plus fort pourcentage de Unes immortelles (45%). 47% de ces Unes relèvent du rapport au corps et au look.

‘« Spécial cuisses : régimes et chirurgies de star »
« Spécial sourires de stars »
« Spécial cellulite : les trucs des stars pour ne pas en avoir »
« Régime : toutes les astuces de star »
« Une peau de star cet été »
« Régimes de stars : tous leurs petits secrets »
« Spécial fesses : tous les trucs de stars »
« Spécial cellulites : les astuces de stars pour l’éviter »
« Spécial seins : les beaux, les petits, les refaits, les vilains… »
« Ce que font les stars : botox, collagène et autres injections… »
« Spécial poids : comment elles cachent leurs kilos ! »
« Spécial cellulite : comment lui faire la peau ? »449

Comme pour les autres titres, il y a distinction du groupe « les stars » de celui des lecteurs, mais ces récits ont la particularité de mettre en scène des conseils et finalement des possibilités d’imitations pour le lecteur. Public prescrit ainsi, sur la base de différenciation ordinaire-extraordinaire, une vision de la beauté à travers le corps et l’apparence des stars comme dans ‘ Gala ’ et ‘ Point de Vue ’. Il invite le lecteur à construire une idéalisation des personnages people tout en lui offrant la possibilité de croire qu’il peut devenir comme eux et donc les imiter. Ce contrat de lecture se poursuit dans la rubrique « Mode » et dans les sous-rubriques « tendances », « shopping » et « beauté » où le magazine décryptent les looks des personnages people et propose aux lecteurs des modèles à bas prix pour leur ressembler. Dans la sous-rubrique « beauté », ce sont des méthodes de maquillage ou de coiffure qui permettent l’imitation.

Public ’ se construit ainsi autant dans le mode mimétique haut que le mode mimétique bas : il place les personnages peoples sur un piédestal mais donne, parallèlement et paradoxalement, les clefs aux lecteurs pour que celui-ci se hisse au niveau du personnage people. Ce paradoxe se nuance dans l’identification de ces personnages : jeunes, célèbres parce que célèbres et, pour la plupart, éphémères450.

Dans ces pages, nous avons laissé de côté l’objet de notre étude – la peopolisation – et ses personnages – les hommes politiques – pour définir l’espace de production des récits de notre corpus principal. La définition du genre people, au travers de ces logiques et du fonctionnement de ses récits, et la présentation de chacun des neuf titres présents dans notre recherche nous ont permis de dévoiler l’identité de ce genre. Mais au travers de leurs divergences, ce sont différentes logiques de mises en visibilité, de rapports à leurs personnages et à leurs lecteurs qui sont apparus, découvrant de nombreuses hypothèses pour l’analyse de notre corpus principal. Ce corpus est composé de récits issus de ces neuf titres de presse people. La sélection de ces titres relève d’un choix simple : ils étaient les hebdomadaires relevant du genre people, existant lors de la période de la campagne présidentielle de 2007. Dans chacun de ces titres, nous avons sélectionné les récits mettant en scène au moins un candidat à l’élection présidentielle et défini la période d’investigation entre le 17 novembre 2006451 et le 13 mai 2007452. Ainsi, notre corpus principal est composé de 71 numéros différents et 96 articles, tous titres confondus453.

Notes
439.

BARTHES, R., Rhétorique de l’image, Communication, 4, 1964, p. 43-45.

440.

BARDIN, L., « Le texte et l’image », Communication et Langages, 26, 1975, p. 102.

441.

Martine Joly rejoint cette considération en parlant de réciprocité de ces fonctions (JOLY, M., Dictionnaire de l’image, Paris : Vuibert, 2008, art. « texte ».)

442.

GERVEREAU, L., « Une image ne parle pas », Image et Politique, Actes du colloque des Rencontres Internationales de la photographie - Arles 1977, Arles : Edition Actes Sud, 1978, p. 48.

443.

Ibid. p. 56-57.

444.

Couple formé lors de Secret Story n°2.

445.

Couple formé lors de Secret Story n°3.

446.

DAKHLIA, J. 2009, op. cit. p. 74.

447.

Voici 1171.

448.

MOUILLAUD, M. & TETU, J-F., Le journal quotidien, Lyon : PUL, 1989, p. 97.

449.

Public ’241‘ , Public ’244,‘ Public ’246,‘ Public ’249,‘ Public ’257,‘ Public ’278,‘ Public ’288,‘ Public ’300,‘ Public ’305,‘ Public ’326,‘ Public ’331,‘ Public ’354.

450.

Nous reviendrons sur la particularité de Public dans le chap. VII, montrant que celui-ci résiste à la politisation de ces récits.

451.

Cette date correspond au lendemain de l’investiture de Ségolène Royal à la candidature.

452.

Cette date nous permet de considérer les récits sur la victoire de Nicolas Sarkozy le 6 mai 2007, parus la semaine suivant le verdict du scrutin du second tour.

453.

La liste de ces articles et des numéros et titres dont ils sont issus figurent en Annexes. A.