Louis Hébert différencie nom spécialisé et nom à notoriété. Les noms spécialisés « ‘ contiennent en inhérence seulement des sèmes macrogénériques : /humain/ et /sexe masculin/ pour « Guy ». Les noms à notoriété possèdent en inhérence, à l’instar de bien des noms communs, les quatre types de sèmes : « Achille », lorsqu’il désigne le héros, contient des sèmes 1) macrogénériques (/humain/, /sexe masculin/), 2) mésogénérique (/mythologie/), 3) microgénérique (/héros grec/) et 4) spécifiques (/le plus brave/, etc.) ’ » 485. Sans nous attarder sur la définition du sème et la typologie mise à jour par Hébert, nous retiendrons que le nom à notoriété détient un plus grand nombre de référents486. Or, du fait de notre corpus constitué uniquement de récits médiatiques, ne sommes-nous pas face à des acteurs dont les noms sont à notoriété ? Comment considérer et interpréter les noms propres à notoriété dans notre recherche ?
Le nom propre à notoriété sert à la reconnaissance plus qu’à l’établissement d’une identité ou individualité dans les récits : reconnaissance de la réalité dans le discours, reconnaissance de l’être dans sa notoriété. « ‘ Il est peu discutable que les présidents Bush ou Sarkozy existent et ont une vie dans la réalité ’ »487 : énoncer leur nom propre dans un récit médiatique invite le lecteur à saisir le récit dans son rapport à la réalité et à investir le récit d’une fonction de témoignage ou de compte-rendu. Le carré véridictoire nous permet de saisir cet effet de sens de réalité : l’être de Sarkozy dans la réalité ne peut être nié, son être dans le discours devient alors vrai et se positionne sur l’axe de la vérité (paraître + être). Le nom propre sert la simulation d’un ancrage dans la réalité et la prétention de véridiction des récits médiatiques.
Pourtant, la notoriété des noms propres de notre corpus sert, par ailleurs, à la reconnaissance de la célébrité. « ‘ Il est peu discutable que les présidents Bush ou Sarkozy existent et ont une vie dans la réalité ’ »488 : cela est peu discutable parce que, justement, ces personnages sont célèbres. La reconnaissance de l’être dans sa notoriété retrouve le lien étroit entre visibilité et célébrité. Le nom propre à notoriété tel qu’il peut être énoncé dans les récits médiatiques se construit dans un double rapport à la visibilité. Est visible celui dont on parle et dont le nom propre produit un effet de « réalité » mais, est aussi visible le nom propre en tant qu’il prend place dans un récit médiatique. Il y a donc à la fois confirmation de la notoriété de l’individu porteur du nom propre et construction de cette notoriété en rendant son nom visible. « ‘ L’individuation d’un acteur est souvent marquée par l’attribution d’un nom propre ’ »489 ; ce marqueur devient marque quand il s’agit du nom propre à notoriété. Ici, nous retrouvons le répertoire des objets issus du monde de l’opinion.
‘« Il est recommandé pour se faire connaître de posséder un nom.490 »’La grandeur de ce monde consiste en la réputation, la notoriété et la renommée. Ce dernier terme nous semble particulièrement intéressant, en tant qu’il est construit, étymologiquement, sur l’idée d’être nommé une nouvelle fois, le « re-» indiquant la répétition. Le nom et son utilisation multiple font la re-nommée ou le re-nom. Le nom propre intervient donc comme un objet du monde de l’opinion491.
Cependant, l’idéologie de la célébrité dans la presse people retourne la fonction du nom propre. En raison de la grandeur autopoïétique des êtres de papier de la presse people – la célébrité est construite sur la célébrité –, la mention du nom propre comme lieu de confirmation et d’investissement de la re-nommée devient inutile. La logique autopoïétique est étendue au contrat de lecture, ordonné sur un accord tacite entre le lecteur et le narrateur : ‘ on vous parle de personnes connues, vous les connaissez, point besoin de vous les présenter ’. Ainsi, l’évidence de la célébrité peut, à son paroxysme, effacer le nom propre. Par exemple, ‘ Ici-Paris ’ 3279 titrait, en Une, « ‘ Cécilia : la nouvelle vie ’». Le nom « ‘ Cécilia ’ » ne nous renseigne que sur deux sèmes macrogénériques ‘ /humain/ et /sexe féminin ’/492, mais ne nous dit pas a priori de quelle « ‘ Cécilia ’» nous parlons.‘ ’L’absence de nom de famille et de photographie démontre que la célébrité de Cécilia Sarkozy est telle que tous les lecteurs savent qu’il s’agit d’elle. Le nom propre dans son absence devient preuve de célébrité. Cette particularité de la presse people renforce, par ailleurs, notre prise en compte du nom propre ; il est un marqueur d’une individuation tendant à devenir marque, objet du monde de l’opinion, mais ne constitue pas une condition obligatoire de l’existence narrative.
HÉBERT, L., « Fondements théoriques de la sémantique du nom propre. », LÉONARD, M. & NARDOUT-LAFARGE, É. (éd.), Le texte et le nom, Montréal : XYZ, 1996, p. 42.
Nous reviendrons, plus tard dans cet écrit, sur la terminologie morphologique avec, entre autres, le terme « sème ».
LITS, 2008, op. cit. p. 144.
LITS, 2008, op. cit. p. 144.
GREIMAS & COURTES, 1993, op. cit. p. 7.
BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p. 225.
Pourtant, nous nuancerons ce propos dans le prochain chapitre à partir de l’analyse des termes révélateurs de l’incarnation des êtres de papier dans les récits de notre corpus, et ce, au travers des réflexions proposées par Kantorowicz (1989) et Marin (1981).
HÉBERT, 1996, op. cit. p. 42.