III. 3. 3. Construction de l’identité médiatique.

Le récit people détient une logique de personnification dont le lien fort au nom propre nous a permis de penser la distinction entre identité et individuation dans les théories greimassiennes. Nous poursuivons notre parcours réflexif vers l’un des intérêts de nos analyses, l’identité médiatique, et retrouvons une interrogation abandonnée plus tôt : ‘ si le nom ne sert pas à signifier l’unicité et la persistance de l’être, qu’est-ce qui le permet ?

L’identité médiatique est la représentation médiatique de l’identité493 d’une personne réelle mise en scène dans les récits. L’identité est à la personne ce que l’identité médiatique est à l’être de papier. L’identité médiatique est donc à considérer comme le résultat d’une traduction produite par un ou des porte-parole, c’est-à-dire, dans une perspective immanente, comme le résultat d’une énonciation. L’identité, à laquelle nous nous référons, est donc exclusivement linguistique : elle est révélée par l’identification d’objets ou d’acteurs tout autant linguistiques mis en scène par des énonciateurs dans des énoncés.

Dans le second chapitre, nous avons évoqué rapidement la considération d’un individu porteur d’une identité plurielle pour présenter la théorie de l’homme nomade de Thévenot. A ce stade de notre argumentation, nous retenions la possibilité de saisir la pluralité d’un individu dans ses déplacements avant de considérer les espaces qu’il traverse. Il est temps de comprendre comment notre propos sur le mouvement et les espaces, fédère notre définition de l’identité médiatique ; une identité produite par et dans les récits médiatiques. Le mouvement dans le récit est de quatre ordres, avions-nous développé : le mouvement de la narrativité, le mouvement de la traduction, le mouvement du chercheur qui varie les échelles d’observation et le mouvement dans la narration. Ici, ce sont les mouvements de la narration et de la traduction qui vont plus particulièrement nous intéresser pour saisir l’identité médiatique. Parce que nous saisissons la re-présentation médiatique des candidats, et ce, à partir d’un support unique, les médias, nous ne pouvons prétendre saisir l’identité mais seulement une identité traduite et narrée.

[Figure 19 : Le mouvement de narration]
[Figure 19 : Le mouvement de narration]

Le mouvement de narration se situe au niveau des structures discursives lorsque les actants sont incarnés, que l’énoncé est figurativisé et que des références spatio-temporelles sont installées dans le récit par l’instance d’énonciation. C’est le mouvement de papier dont on peut distinguer deux types : la transposition (passage d’une position première à une position seconde) et la transformation (changement d’état). La transposition n’indique pas un changement de figures, contrairement à la transformation qui l’illustre. Ainsi, quand Ségolène Royal passe de la figure de la femme séduisante à celle de la combattante, deux actorialisations sont repérables dans le récit : le passage de l’une à l’autre constituant la transformation. L’actorialisation, comme la réunion d’un rôle actantiel et d’un rôle thématique, révèlent alors l’unicité de l’acteur. Si nous reprenons notre schéma illustrant les mouvements de narration, nous comprenons que chaque variation sur l’axe des ordonnées indique une nouvelle actorialisation de l’être de papier. Ces variations verticales signifient que l’acteur se voit attribuer au moins un nouveau rôle actantiel ou rôle thématique. Ainsi, ces variations n’ont pas d’influence sur le principe d’individuation : celui-ci consiste en la capacité de considérer un acteur comme unique sans pour autant stipuler d’une continuité ou d’une cohérence. Intervient alors l’identité comme ce qui permet de le reconnaitre tout au long du discours malgré les transformations actantielles et thématiques que celui-ci peut subir.

‘« C’est au concept d’identité que l’on se réfère  lorsqu’on fait état de la permanence d’un actant malgré les transformations de ses modes d’existences ou des rôles actantiels qu’il assume. 494 »’

« ‘ Le principe de permanence qui permet à l’individu de rester le ’« même‘  » et de ’« persister dans son être ‘ » tout au long de son existence narrative ’ »495 renvoie donc directement aux mouvements et aux espaces de narration. Le schéma ci-dessus peut donc être refiguré, cette fois-ci dans sa continuité, pour saisir l’identité médiatique. Attardons-nous sur le détail de ce nouveau schéma pour en comprendre sa construction.

[Figure 20 : L'identité médiatique.]
[Figure 20 : L'identité médiatique.]

L’axe des ordonnées correspond à l’ensemble des attributions identitaires qui sont potentiellement mobilisable, pour un même sujet, par une instance de production : il correspond finalement à différents modes d’existence d’un objet ou d’un sujet. Il est l’axe paradigmatique. L’axe des abscisses illustre l’existence narrative d’un objet ou d’un sujet. Il est l’axe syntagmatique. Nous retrouvons, par ailleurs, les segments horizontaux avec des variations verticales qui nous avaient permis d’illustrer notre propos sur la transposition et la transformation. Mais c’est dans la continuité et la discontinuité que l’identité médiatique se révèle. Greimas relève trois procédures qui nous permettent de reconnaître un acteur au fil de son existence narrative. La première est l’anaphorisation, c'est-à-dire la procédure par laquelle l’énonciateur peut établir et maintenir l’isotopie discursive, au sein même de l’énoncé496. L’anaphore est une relation sur l’axe syntagmatique, elle consiste à relier deux termes, deux phrases, deux paragraphes et de leur donner une cohérence.

‘« L’identité mise en œuvre par la reconnaissance ou l’identification est relation anaphorique formelle entre deux termes, dont l’un est présent ou actuel, et dont l’autre est absent, ailleurs ou passé. 497 »’

Dans notre schéma, l’anaphorisation met en relation deux segments horizontaux qui se succèdent bien que leurs positions sur l’axe vertical soient différentes. Elle est la procédure de référentialisation entre deux modes d’existence d’un même objet à l’intérieur d’un même énoncé et, donc, ce qui permet leur reconnaissance comme relevant du même objet ou acteur. L’anaphorisation rend compte de l’identité narrative d’un être de papier dans un énoncé. La seconde procédure de reconnaissance passe par l’emploi des déictiques qui permettent de se référer un objet du monde naturel et plus particulièrement, à l’instance d’énonciation qui va situer les êtres et les actions de papiers à partir de son espace énoncif. Pour le sémioticien, le déictique simule avant tout une référentialisation externe car, au final, c’est une référence qui doit se comprendre dans le rapport entre l’énoncé et l’énonciation qui le met en place. Enfin la dernière procédure est celle de l’intertextualité qui se déploie à partir d’un système de corrélations formelles entre différents énoncés498.

Pour résumer, l’anaphorisation permet la reconnaissance au sein d’un même énoncé, l’emploi de déictiques entre l’énoncé et l’énonciation et l’intertextualisation entre différents énoncés. Pourtant, l’énonciateur n’est pas simple narrateur dans notre étude, tout comme le récit n’est pas simple énoncé : un autre mouvement vient s’intercaler dans notre réflexion : celui de la traduction. L’énonciateur est aussi acteur. En tant que porte-parole, il supporte et porte les identités des êtres de papier. L’investigation de l’identité des êtres de papier au sein d’un même énoncé, telle qu’elle peut être débrayée par la procédure d’anaphorisation, ne suffit pas à saisir l’identité médiatique. Cette analyse doit être élargie non seulement à son rapport avec l’instance d’énonciation, mais aussi aux autres énoncés portant sur le même être. En considérant l’énonciateur comme un traducteur, l’identité devient le résultat d’une traduction dans laquelle cohabitent ce qui a été énoncé et ce qu’il ne l’a pas été mais qui aurait pu l’être. En tant qu’acteur, l’énonciateur opère un découpage de ce qui doit ou pas être signifié. Nous ne pouvons considérer ce découpage sans justement prendre conscience qu’il en est un : il donne une forme et une consistance à l’identité de l’être de papier. Le schéma ci-dessus sera mis en application dans le chapitre VI. Pour chaque candidat, nous illustrerons chaque identité dévoilée par les procédures d’anaphorisation au sein d’un énoncé, ce qui permettra, sur un graphique, de considérer, simultanément, toutes les identités dévoilées pour ce candidat dans notre corpus. En identifiant les rôles thématiques et les rôles figuratifs qu’il incarne dans chaque énoncé, et en les alignant sur l’axe paradigmatique – l’axe des ordonnées –, nous verrons apparaître les différentes traductions de cet être. Tandis que l’axe syntagmatique nous permettra de concevoir son existence au sein du récit, mais aussi, comment les différents rôles sont ordonnés entre eux. Ainsi, Ségolène Royal pourra être décrite, dans certains énoncés, comme une femme blessée et sensible, dans d’autres comme une femme autoritaire et indépendante. Ces quatre rôles participent à son identité médiatique, même s’ils ne sont pas toujours mis en scène. Parallèlement, les différentes existences narratives de Ségolène Royal en tant que femme indépendante pourront montrer que, dans un énoncé, elle passe du statut de femme blessée à celui de femme indépendante, tandis qu’un autre soulignera le mouvement inverse. Ainsi, nous concevrons son identité médiatique comme le résultat de l’ensemble des identités, mais aussi des identités entre elles (intertextualité) et dans leur rapport aux instances d’énonciation (déictiques). L’identité médiatique contient donc toutes les variations possibles, dans l’identification de l’être de papier, mises en scènes dans notre corpus.

Notes
493.

Nous faisons le choix de ne pas nous attarder sur la notion d’identité autrement que par les auteurs mobilisés dans cette recherche. Celle-ci étant très complexe, d’ailleurs souvent abordée comme une notion « boite-noire », elle mériterait une investigation théorique et pluridisciplinaire approfondie, tâche que nous ne considérons pas comme nécessaire pour notre propos et notre compréhension de l’identité médiatique.

494.

GREIMAS & COURTES, 1993, op. cit. p. 178.

495.

Ibid. p. 178.

496.

GREIMAS & COURTES, 1993, op. cit. p. 15.

497.

GREIMAS & COURTES, 1993, op. cit. p. 15.

498.

Ibid. p. 194.