III. 4. Construction d’un corpus people.

L’identité médiatique dans les récits médiatiques dévoile différents éléments ou enjeux de notre recherche à l’origine de la sélection et de la transformation de notre objet en ce corpus opérant. Cette recherche existe dans la convergence et la confrontation de trois lieux d’émergence des récits : la campagne présidentielle de 2007, la presse people et la presse quotidienne nationale. Le croisement de ces trois espaces produit des corpus multiples pensés dans la tension du dédoublement de l’énonciateur comme narrateur et énonciateur, la personnification des récits, de la notoriété et du potentiel people des personnages politiques. Mais à ces critères s’ajoutent encore l’inévitable compréhension d’une période et d’un phénomène dans leur clôture et donc par ce qu’ils ne sont pas ou plus, ce qui nécessite la prise en compte de l’évènement-people, de la quiddité du phénomène de peopolisation à partir des trois mondes et, enfin, de la construction de l’identité médiatique des candidats et l’exploration des lignes éditoriales. Le mouvement de la recherche est là : il est la variation des échelles d’analyse, la sélection des focales empiriques, le découpage dans le choix des récits et la tension entre épistémologie, théorie, méthodologie et empirie.

Notre corpus principal s’intéresse, nous l’avons dit, à la médiatisation des candidats à l’élection présidentielle de 2007, dans la presse people. Notre hypothèse principale guide le mouvement de la recherche en son sein :

La campagne présidentielle de 2007, moment fort de l’agenda politique, signe l’installation du processus de peopolisation, mettant fin alors aux questionnements par rapport à sa légitimité ou sa validité, ce qui permet donc de le définir et de l’inscrire dans l’espace public français.

Cette hypothèse investit trois fils directeurs : la construction de l’identité médiatique des candidats, l’identification des lignes éditoriales par rapport aux hommes politiques et à leur médiatisation et la définition du phénomène de peopolisation durant cette période et au travers de cette presse. Deux types d’analyse explorent ce corpus : une analyse sémantique et une analyse narrative. La première, réalisée au travers du logiciel ‘ Lexico499, ’ isole tous les termes présents dans les récits people pour identifier les répertoires des trois mondes relevant de la quiddité du phénomène de la peopolisation et relever les isotopies sémantiques et sémiologiques. Dans un second temps, l’investigation des termes ou expressions complexes, significatives de la confusion des mondes, réfléchit les éléments à la croisée des mondes ; éléments révélateurs des tensions (incarnation – relations – communication et actualité) qui se découvrent dans l’analyse narrative. Cette analyse ne pourra combler nos ambitions explicatives du phénomène de peopolisation mais rendra compte de son hétérogénéité dans les récits et dressera finalement un portrait sémantique de notre corpus (Chapitre IV). La seconde analyse, dite narrative, portera sur les récits dans leur génération, autant dans leurs composantes syntaxique que morphologique. Notre logique qui suit le mouvement plutôt (plus tôt) que les espaces investit les mouvements de narration pour dégager ses espaces et ainsi distinguer les différentes identités médiatiques des personnages (Chapitre VI) et les différentes lignes éditoriales dans la médiatisation des hommes politiques (Chapitre V). Mais dans ce même chapitre, l’observation d’un type particulier de récits – les « immortelles » de campagne – revient sur nos questionnements sur l’actualité et l’évènement.

Ce corpus est élargi à d’autres récits, soit issus de la presse quotidienne nationale, soit pris dans une autre période, afin de dépasser l’injonction people de cette presse mais aussi, afin de penser le phénomène de peopolisation dans sa continuité comme dans sa clôture. Quatre corpus secondaires viennent étendre nos observations et nos analyses. La sélection des récits dans la presse quotidienne nationale suit cette volonté de neutraliser l’injonction people du corpus principal en restant fidèle à notre objet et notre problématique, pour comprendre comment le people prend place dans cette presse. Cette attitude contradictoire, née dans la recherche de complétude, répond à une difficulté empirique : trouver l’information-people sans la forcer en n’observant que le genre people. Parallèlement, la presse quotidienne nationale ne figurant que comme une extension de nos intérêts, c'est-à-dire comme le dépassement et la clôture de la presse people, oblige à relativiser la volonté d’exhaustivité par une sélection réduite de récits. Procéder à un découpage de deux types de corpus dans la presse quotidienne nationale est apparu comme la seule solution viable pour notre étude : un corpus qui ne postule pas du traitement people et un corpus qui le postule pour voir justement comment et si celui-ci est réalisé.

Pour le premier, l’exercice de sélection s’est avéré complexe : pour procéder d’une comparaison, il fallait précisément trouver des points communs, mais en évitant de forcer le caractère people du traitement. Parallèlement, nous souhaitions conserver l’exhaustivité apportée par la campagne présidentielle avec douze candidats à potentiel médiatique et people variable. Nous nous sommes alors tournés vers les portraits réalisés par les journaux ‘ Le Monde ’, ‘ Libération ’, ‘ La Croix ’ et ‘ Le Figaro500. ’L’observation de ces portraits nous permet de confronter l’identité médiatique de chacun des candidats telle qu’elle est construite dans le genre people à ces récits personnifiés, fondé sur une logique d’ ‘ « unification du moi »501, logique qui permet la comparaison (Chapitre VI)‘ .

Pour le second découpage, celui qui postule du traitement people pour voir justement comment et si celui-ci est réalisé, nous sélectionnons des récits sur des informations-people identifiées au préalable : le mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni en février 2008, l’accouchement de Rachida Dati, le 2 janvier 2009 et enfin, les rumeurs d’infidélités de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, en mars-avril 2010502. L’objectif de l’étude de ce corpus est d’identifier les différences de traitement entre presse people et presse quotidienne nationale503, mais aussi, parallèlement et en sélectionnant des informations post-campagne, d’observer une possible évolution de la médiatisation des hommes politiques par rapport à notre corpus principal. Ces informations-people sont, par ailleurs, considérées dans leur évènementialisation ou leur potentiel événementiel dans les deux types de presse504 (Chapitre VII).

Un troisième corpus secondaire opère, un autre changement de focale. Ce corpus envisage les Unes parues entre le 14 mai 2007505 et le 30 avril 2010506 des neuf titres de presse people figurant dans notre corpus principal. Il comptabilise 155 Unes par titre507 et donc un total de 1395 Unes. Il a été conçu à partir de plusieurs variables : la visibilité des personnages politiques dans la presse people, la catégorisation des personnages politiques dans leur médiatisation par la presse people, la distinction de différents titres de presse people dans leur mobilisation des personnages politiques et la politisation des Unes de presse people508. Les observations de ces Unes ont été transformées en données quantitatives compilées grâce au logiciel Modalisa 509 et interviennent à la fin de ce travail (Chapitre VII). Enfin, un dernier corpus vient questionner l’installation du phénomène de peopolisation dans l’espace public français et retrouve nos intérêts sémantiques pour les répertoires significatifs des trois mondes et leurs confusions : il est constitué des néologismes qui ont émergés dans la presse écrite française (Chapitre IV).

Ces corpus sont saisis dans une perspective immanente, comme des énoncés et permettent de considérer les mouvements et les espaces de narration et de narrativité pour appréhender les différentes identités médiatiques des candidats et les différentes lignes éditoriales – dans leur continuité, en identifiant deux genres : presse people et presse quotidienne nationale, et dans leur discontinuité, en dévoilant les différences de traitement au sein d’un même genre ou les évolutions. Plus loin, le dédoublement du narrateur comme énonciateur et acteur nous amène à considérer la manière dont les énonciateurs devenus acteurs font et questionnent la peopolisation. C’est vers un dernier cadre d’analyse, à peine introduit jusqu’alors, que nous nous tournons alors, celui développé par Boltanski dans son dernier ouvrage : ‘ De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation510. Dans cet ouvrage, Boltanski revient sur sa pensée et son évolution, avec le projet d’articuler sociologie critique bourdieusienne et sociologie pragmatique. Partant, il renouvelle la boite à outil de la sociologie en distinguant ‘ réalité ’ et ‘ monde ’et en réinstallant la question de l’institution. Il propose alors une typologie de registres pratiques et réflexifs résolvant l’incertitude dans la critique et l’accord. Ainsi, en conclusion, nous retournons vers l’incertitude radicale, avancée au début de notre propos, mais élargie à nos analyses et nous procéderons à une dernière analyse pour penser l’installation et la construction du phénomène de peopolisation pour, enfin, contourner « ‘ l’horizon indépassable du texte ’ », tout en ne considérant que lui (Conclusion).

Notes
499.

Lexico 3 : outil de statistiques textuelles ’ a été réalisé par l’équipe universitaire SYLED-CLA2T, Université Paris 3 Sorbonne nouvelle.

500.

Voir la liste des articles retenus en Annexes. A.

501.

BOURDIEU, 1986, op. cit. p. 70.

502.

Voir la liste des articles retenus en Annexes. A.

503.

Nous focalisons notre attention sur les journaux : Le Monde, Libération, La Croix, L’Humanité et Le Figaro.

504.

Voir la liste des articles retenus en Annexes. A.

505.

Cette date correspond au lendemain de la clôture de notre corpus principal.

506.

Date où il nous a fallu le clore pour des questions de faisabilité.

507.

Ce qui correspond aux 155 semaines de la période envisagée.

508.

Ce corpus nous a permis, par ailleurs, de dégager des éléments fondateurs pour la définition du genre people et leurs divergences, présentés plus tôt dans ce chapitre.

509.

Modalisa, développé par P. Chappot est diffusé par la société Kynos et sert aux enquêtes de tous types par la création, la codification et l’analyse de questionnaires et d’entretiens.

510.

BOLTANSKI, L., De la critique : précis de sociologie de l’émancipation, Paris : Gallimard, 2009.