IV. 2. 2. Quand les êtres de papier communiquent.

Dans le récit, deux types d’actants cohabitent, les actants de narration et les actants de communication. Pourtant, les premiers peuvent être, par là même, débrayés dans un faire de communication dont le récit rend compte. De nombreux termes relatifs au discours et à la communication, dans son sens large, sont présents. Or, ces termes apparaissent souvent comme pris dans un mélange des mondes révélant l’ambiguïté contenue par l’acte de porter la parole des mondes tout en faisant porter la parole de ces mondes par des êtres issus de ces mondes. La confusion de celui qui dit et qui fait dire révèle la confusion entre les espaces significatifs de notre recherche, soumise à une mise en abîme du monde de l’opinion.

Les verbes de citations ou de communication semblent a priori contraints par le monde de l’opinion ; celui-ci n’est plus seulement l’accès à la renommée des personnages, mais aussi celui d’objets ou d’idées.

‘« A la racine du réel, il y a – il ne peut y avoir – que le verbe (non pas des faits sous les mots, mais des mots sous les faits).555 »’

Si nous reviendrons plus précisément sur le jeu des citations et des objets de celles-ci dans le chapitre suivant, ici, nous nous intéressons à l’isotopie de la /communication/ comme révélatrice des espaces dans lesquels sont installés les discours rapportés ou le faire du discours. La plupart des termes fondés sur le principe de communication sont pris dans le monde de l’opinion. C’est le cas des verbes suivants :

Afficher, annoncer, clamer, commenter, communiquer, convaincre, déclarer, démontrer, dévoiler, diffuser, exhiber, exposer, influencer, manipuler, mentionner, montrer, persuader, proclamer, révéler, signaler

Pourtant, d’autres verbes de communication sont construits dans notre corpus sur plusieurs mondes. Les premiers sont révélateurs d’un compromis entre monde de l’opinion et monde civique tenue par l’ambiguïté du terme « public » inhérente à ces deux mondes556. Les verbes de communication, soumis à l’ambition de « toucher l’opinion publique », c’est-à-dire « ‘ l’enrôlement pour une cause dans le monde civique et la captation des regards dans le monde de l’opinion ’ »557, sont donc le fruit d’un compromis.

Alerter, Appeler, Défendre, Dénoncer, Haranguer, Préconiser, Prêcher

Des objets ou des outils de communication contiennent ce même compromis entre monde de l’opinion et monde civique.

Affiche, Appel, Meeting, Pamphlet, Polémique, Tract, Sondage, Pédagogie,

Mais le mélange de ces deux mondes peut être l’occasion, par ailleurs, d’une dénonciation, quand la captation des regards du monde de l’opinion n’est plus utilisée pour une juste cause.

Démagogie, Populisme, Propagande, Prosélytisme

Du côté du monde domestique, de nombreux termes pour signifier la communication n’atteignent pas le monde de l’opinion, du moment où cette communication est confinée dans une cercle restreint, limité et privé.

Anecdote, aparté, confidence, compliment, discussion (si restreinte), murmures, papoter, secret.

A l’inverse, lorsque ces paroles privées sont publicisées et donc découvertes par tous, font places des compromis établis sur la révélation consentie, et des dénonciations, fondées sur la révélation provoquée.

Compromis
Affleurer, Blog, officialiser, confession, percevoir, raconter, témoigner
Dénonciation du monde domestique par le monde de l’opinion
Caché, démasquer, décrypter, officieux, polichinelle
Dénonciation du monde de l’opinion par le monde domestique
Cajolerie, indiscret, rumeur

Enfin, ce sont les termes d’Affaire et de Scandale qui se révèlent particulièrement intéressants, au prisme de cette isotopie, dévoilant un mélange pris dans les trois mondes. Le scandale tient de la révélation de liens entre des personnes, des relations confondues tant dans le monde civique que le monde domestique. Le scandale consiste donc en la dénonciation par le monde de l’opinion d’une dénonciation du monde domestique par le monde civique : (3/1)/2. L’Affaire est sa continuité, elle prend forme au moment où les dénonciateur sont détachés de l’objet de dénonciation, au moment où l’opinion publique (ou ses porte-parole) devient elle-même la dénonciatrice. Nous comprenons que l’opinion publique, comme compromis entre monde de l’opinion et monde civique (1-2), dénonce la dénonciation du monde domestique par le monde civique (3/1). L’Affaire est donc formulable comme (3/1)/(2-1). Si nous nous arrêtons là quant à ces deux termes et leurs mouvements, l’analyse, dans le chapitre VII, des récits médiatiques à propos des rumeurs d’infidélités entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, survenues en avril 2010, reviendra sur ces concepts pour saisir l’itinéraire d’une rumeur devenue Affaire, découvrant alors les jeux entre ces différents médiats au creux des espaces de signification de notre objet d’étude.

Notes
555.

MOUILLAUD & TETU, 1989, op. cit. p. 130.

556.

Une ambiguïté à l’origine, par ailleurs, de notre déplacement de la dyade espace privé/espace public à la triade monde domestique/monde de l’opinion/monde civique.

557.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p. 386.