IV. 2. 5. Des néologismes à la croisée des mondes

Face à cette considération sémantique de notre corpus, un questionnement quant à des néologismes surgit à la fois dans l’épreuve de la méthode sémantique mais aussi autour de notre réflexion sur l’hétérogénéité des êtres et des objets en présence dans la quiddité de notre objet. Et si des néologismes politiques se révélaient à la croisée des mondes et dévoilaient une consistance de la peopolisation? Nous quittons pour un temps notre corpus de presse people et la période de la campagne présidentielle pour envisager un dépassement à partir de termes produits autour de cette période. S’intéresser aux néologismes qui ont émergé dans les médias est difficile car il est complexe de dresser une liste exhaustive de ces termes. Mais, pour rester aux confins de notre réflexion, nous choisissons de confronter cette question à des néologismes dits personnifiés, relatifs à une personne. Parce que ce corpus est secondaire, nous faisons le choix de nous concentrer exclusivement sur les néologismes concernant la personne qu’est Nicolas Sarkozy, pour tenter de comprendre à quel aspect de son identité ils renvoient. Ici, la période de la campagne présidentielle est dépassée; le personnage s’impose, donc, par son élection et sa forte visibilité.

Pour trouver ces néologismes, nous nous sommes aidés du travail de Jean Véronis564. Ce chercheur a pu élaborer, à partir d’un outil qu’il a créé et du moteur de recherche ‘ Exalead ’ et de sa fonction ‘ « recherche par expression régulière » ’, une liste de 560 termes qui apparaissent sur Internet avec le préfixe « Sarko ». Nous avons, ensuite, rentré chacun de ces termes dans la base de données ‘ Factiva565 afin de voir ceux qui étaient utilisés dans la presse écrite francophone. Nous avons sélectionné les néologismes qui apparaissaient au moins dans trois titres de presse différents. Par ailleurs, nous avons éliminés différents termes, soit parce que ceux-ci n’avaient pas de rapport direct avec Nicolas Sarkozy566, soit parce qu’ils n’apparaissaient que dans le cadre de citations, directes ou indirectes567, soit parce qu’ils relevaient d’appellation568. Enfin, nous avons fait le choix de ne pas retenir les termes « ‘ sarkozysme ’ » et « ‘ sarkozyste(s) ’ », néologismes importants mais dont l’analyse ne nous semblait pas pertinente dans le cadre de notre questionnement autour de l’hétérogénéité des êtres et des objets. A cela, nous avons rajouté les termes rencontrés dans nos autres corpus ou au travers de lectures diverses de la presse, dont tous concernent Nicolas Sarkozy mais dont certains ne sont pas construits sur le préfixe « sarko- » tels que ‘ « omniprésident » ’ ou ‘ « président bling-bling » ’.

Au final, nous trouvons vingt néologismes et leurs dérivés (pluriel, adjectif, adverbe, etc.). Nous allons désormais nous attacher à définir chacun de ces néologismes en fonction des utilisations que les narrateurs de la presse écrite francophones en font569. Par ailleurs, en les définissant, nous catégoriserons les signifiés de ces termes selon les isotopies sémantiques révélatrices de la quiddité du phénomène de peopolisation. La plupart de ces néologismes sont polysémiques et révèlent un mélange de plusieurs isotopies sémantiques. Tous les néologismes de ce corpus sont construits sur l’identité du président de la République (ou du candidat à l’élection présidentielle ou du ministre de l’Intérieur selon la période de mobilisation). Sans reprendre notre propos sur la place du nom comme qualification de l’incarnation, nous partons du postulat que le préfixe « sarko- » peut être soit issu du monde de l’opinion, soit une représentation du corps politique, sans rapport au corps naturel du personnage, renvoyant alors à la base classématique /monde civique/, comme il peut être l’image du corps naturel, sans rapport au corps politique que ce corps naturel incarne.

[Tableau 6 : Catégorisation des néologismes]
[Tableau 6 : Catégorisation des néologismes]

La différence entre néologismes repose alors sur le mélange ou non des mondes entre eux570.

La première catégorie dévoile les néologismes pris exclusivement dans le monde civique, elle révèle des termes qui restent en accord avec la cohérence et la grandeur de ce monde. Ces néologismes manifestent alors Nicolas Sarkozy comme « à son affaire ». Nous y retrouvons le terme d’‘ « hyperprésident ’ » qui se dit d’un président qui agit sur tous les fronts. C’est la version adulte et politique de l’enfant hyperactif. Parce que la référence principale de ce terme est centrée sur l’action et parce que nous le différencions des termes d’« ‘ égoprésident  ’» et d’« ‘ omniprésident ’ », nous plaçons ce néologisme dans cette première catégorie qui concerne uniquement le /monde civique/. Le terme d’‘ « égoprésident » ’ est une réponse au « je » omniprésent dans les discours du président ; le  « je » comme judicateur subjectif renvoie alors ce néologisme à la catégorie /monde civique/ + /monde domestique/ et se construit sur la dénonciation du particularisme par le monde civique. Le néologisme ‘ « omniprésident ’ » se dit d’un président dont la visibilité est exacerbée. En communication politique, si l’on distingue communication gouvernementale et présidentielle, ce n’est plus le cas pour un ‘ « omniprésident ». ’Cette définition nous oblige alors à la comprendre comme une dénonciation du /monde civique/ vers le /monde de l’opinion/. Chacun de ces trois termes nous permet déjà d’appréhender trois des catégories signifiantes pour l’étude des néologismes. A cela, nous verrons qu’une quatrième viendra se juxtaposer : celle qui mélange non plus deux des trois mondes mais les trois. C’est le cas du néologisme « ‘ sarkocratie ’ » qui fut particulièrement mobilisé dans la presse en 2007 après l’élection de Nicolas Sarkozy et en 2009 lors de la polémique Jean Sarkozy/EPAD. Ce terme revient à caractériser le gouvernement de l’ « ‘ omniprésident ’ », un accaparement de la quasi-totalité des médias, la manipulation de l'information et une conception clanique et élitiste de la politique. C’est donc dans son rapport direct avec les médias et la visibilité que nous plaçons ce terme dans l’isotopie /monde de l’opinion/. Mais la conception clanique renvoie à une autorité traditionnelle et une légitimité subjective, ce qui le place aussi dans celle du /monde domestique/. La figure est complexe. La relation entre monde domestique et monde de l’opinion est équivoque, elle n’est pas le résultat d’un compromis ou d’une dénonciation mais d’une cohabitation ambiguë. Ce terme se déploie donc dans la dénonciation par le monde civique de chacun des deux autres mondes mais aussi de leur cohabitation.

Le terme de « ‘ sarkoland  ’» se révèle plus complexe car il est soumis à une utilisation polysémique dans la presse francophone. En effet, il peut désigner trois types d’espace. La première définition trouvée dans la presse renvoie ce terme à un espace géographique clos et défini institutionnellement : les Hauts de Seine.

‘« Le « Sarkoland » est un pays où il fait bon vivre politiquement. Autrefois plus connu des explorateurs, assez audacieux pour franchir le périphérique extérieur, sous le nom de « Pasqualand », cet Ouest du haut d'en bas tire l'essentiel de ses richesses de l'exploitation à ciel ouvert de millions de mètres carrés de bureaux. Et il fait l'envie des conquérants du suffrage universel. Une légende, la trébuchante légende des chiffres, attribuait à ce département un PIB comparable à celui de la Belgique (…) Et voilà qu'en  Sarkoland (…) le premier ministre et le premier de ses ministres tenaient meeting. Un bon petit meeting des familles UMP, sur l'air enchanteur de la réforme, des réformes, de la défense et illustration des réformes et sauvetages divers entrepris par une majorité d'autant plus héroïque que plus nombreuse. Normal ! Si eux ne défendaient pas la réforme, qui le ferait ? »571

Mais ce néologisme désigne, par là même, l’espace où Nicolas Sarkozy exerce son omniprésence dans les médias et un système clanique et élitiste. Nous ne sommes plus face à un espace géographique défini mais à un espace idéel.

‘« On a connu l'Etat-RPR, l'Etat-UMP, nous voilà aux portes du Sarkoland. Car ce ne sont pas les beaux projets électoraux qui détermineront le pouvoir. C'est le système que met en place le leader de la droite: un réseau d'amis, de notables, de relais connectés entre eux, basés sur les coups de main croisés. Ainsi, le Sarkoland domestique déjà les médias. » ’ ‘« "Les "Ch'tis", l'anti-Sarkoland, l'anti-bling-bling" »572

Pour ces deux définitions qui désignent finalement un espace géographique ou idéel où se pratique la « ‘ sarkocratie ’ », nous comprenons que ce terme doit être placé dans le mélange des trois isotopies sémantiques. Pourtant, la dernière définition investit ce terme comme l’espace où Nicolas Sarkozy est populaire573, d’où sa présence aussi dans la catégorie /monde civique/ et uniquement celle-ci. Le « ‘ sarkoland ’ » est donc le lieu d’exercice de la « ‘ sarkocratie ’ ». Le « sarkoland » retrouve donc la même figure complexe.

A ces deux termes, vient s’ajouter un troisième qui rejoint leurs logiques définitionnelles : la « ‘ sarkozie ’ » révèle le réseau relationnel construit autour de Nicolas Sarkozy. Ce réseau médiatique et politique est manifesté comme clanique par la presse francophone, et rejoint donc la catégorisation des deux autres néologismes dans le mélange des trois isotopies /monde domestique/, /monde civique/ et /monde de l’opinion/ mais investit une nouvelle figure. La situation de compromis entre monde de l’opinion et monde civique représentant ce réseau politique et médiatique dénonce le monde domestique par la conception clanique du réseau.

‘« Hortefeux est resté dans son sillage : il en est le plus fidèle conseiller, messager, confident et, surtout, le principal organisateur de ses réseaux, le maître d'œuvre de la sarkozie. »
« L'usage du prénom se répand (…) Voilà qui prouve combien on est «cool», «copain», et combien on s'affranchit aisément des marques de la hiérarchie et des différences de classe. En tout cas, ce nouveau code est, pour le moment, réservé à la sarkozie. »
« Avant que la Sarkozie, président en tête, ne s'entiche de ce ministre qui connaît l'éducation nationale comme sa poche. Deux galaxies situées à des années-lumière ont donc fusionné. Erudition contre bling-bling, province tranquille contre Neuilly, politique à la papa contre manières de bandit. »574

Notre corpus comprend également vers les néologismes « ‘ sarkophobie  ’» et « ‘ sarkophilie ’ »575. Le premier désigne plus la crainte ou le rejet que la peur de Nicolas Sarkozy tandis que le second désigne l’amour pour le président de la République.

‘« Le tabloïd allemand Bild, un brin sarkophobe »
« Christian Jacob, chiraquien peu suspect de sarkophilie aiguë »
« La communauté juive de France est-elle sarkophile ? »576

Ces termes ne semblent pas renvoyer à d’autres mondes que celui du monde civique, catégories dans laquelle nous les plaçons donc, contrairement aux néologismes «‘  sarkomania ’ » et « ‘ sarkolatrie ’ ». Le premier est construit sur le suffixe ‘ manie ’, du grec ‘ mania ’ : folie. C’est donc la folie qui règne autour de Nicolas Sarkozy. En 2002, uniquement utilisé par ‘ Le Monde ’, ce néologisme désigne alors la folie de Sarkozy à vouloir devenir la coqueluche des médias ; il est alors un premier symptôme de l’ « ‘ omniprésidence ’ ». Mais c’est en 2004 que le terme est repris par plusieurs titres francophones pour désigner la folie non plus de Nicolas Sarkozy mais des citoyens ou des médias à son sujet. Ce néologisme dévoile un phénomène collectif révélateur de la domination charismatique qui repose sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne selon Weber577. On voit que le corps politique est effacé pour ne laisser place qu’au monde de l’opinion et à la révélation du charisme d’une personne.

‘« La " sarkomania " enflamme les collectionneurs sur eBay. Des préservatifs et tongs estampillés " UMP Nicolas Sarkozy " (de 3€ à 7€), des aquarelles et gouaches à l'effigie du nouveau président (dont une peinture de Kiki Picasso adjugée 310 €), des autographes certifiés " authentiques (…), etc. Des centaines d'objets spéculant sur la popularité du nouveau président sont proposées sur le site d'enchères eBay. »
« La sarkomania commence: celui qui menait jusque-là un parcours somme toute traditionnel réussit à quitter la classe politique pour s'installer dans l'opinion publique. Les élus sont honnis, lui devient un people, bientôt une star. »
« La France est certainement la seule démocratie à connaître une telle omniprésence médiatique de son chef d’Etat. Impossible d’échapper à cette Sarkomania qui tourne au Sarkogavage des oies télé-hypnotisées. »
« Les Français vont chercher sur TV5 Monde de quoi échapper à la « sarkomania» qui a envahi leur petit écran. »
« Sursauté en découvrant le mannequin illustrant une série de mode pour hommes dans le Madame Figaro du 13 octobre. Le fameux « cheveux longs, idées courtes » n'a manifestement plus cours dans la bonne bourgeoisie puisque le modèle arbore une chevelure longue et dorée, tel un sosie de... Pierre et Jean, les fils aînés de qui vous savez ! Où va donc se nicher la Sarkomania... »578

Le second néologisme « sarkolatrie » construit sur le suffixe du latin latria, lui-même du grec ancien λατρεία, latreia ’, révèle l’adoration pour Nicolas Sarkozy. Mais si la « ‘ sarkomania  ’» est le fait du public et des médias, la «‘  sarkolatrie ’ » est celle de personnalités politiques ou médiatiques. Elle concerne un particulier contrairement à la « ‘ sarkomania  ’», phénomène collectif. L’idolâtrie consiste à diviniser ce qui n’est pas Dieu. C’est l’opinion du petit, du fan, qui fait la grandeur de l’idole, de la vedette. Une fois encore, ce néologisme tient dans le monde de l’opinion.

‘« Bernard Laporte est un « ministre sarkolâtre » »
« Pascal Sevran est un « chiraquien devenu sarkolâtre »
« Nadine Morano est « sarkolâtre ou sarko-barge » »579

Dans la même acception, « ‘ sarkoverdose ’ » désigne une dose excessive de médiatisation de ce personnage. Aux côtés de ces trois termes révélés dans la pureté du monde de l’opinion, se trouvent les termes « ‘ sarkoshow ’ », et « ‘ président bling bling  ’» qui dévoilent un mélange du /monde civique/ et du /monde de l’opinion/. Le premier désigne la spectacularisation de la communication de Nicolas Sarkozy et tient d’un compromis entre monde civique et monde de l’opinion mis à jour par Boltanski et Thévenot : « ‘ cette visée de compromis depuis le monde civique se remarque particulièrement dans le cas des campagnes (dispositif commun au monde de l’opinion –campagne de presse – et au monde civique – campagne électorale) où, pour créer un climat favorable à l’adhésion, il est fait appel à des instruments étrangers au civisme, à des thèmes mobilisateurs évalués au degré auquel ils sont accrocheurs et attirent l’attention ’ »580.

‘« Au bord de la Sarkoverdose ? Hier soir encore, le chef de l'Etat s'est invité en prime time dans les JT des deux principales chaînes de télévision »581

Enfin, « président bling-bling » est à différencier de ‘ « gauche caviar ’ ». L’expression « ‘ Bling bling ’ », habituellement utilisée pour désigner l’attirail de bijoux brillants et bruyants des rappeurs américains, concerne, depuis 2007, le président de la République et est largement mobilisée dans la presse francophone avec les symboles de la Rolex, des lunettes Ray Ban, soirées au Fouquet’s, vacances sur un yacht et photos dans les magazines people. Le néologisme sert donc aux narrateurs des récits médiatiques à dévoiler Nicolas Sarkozy et son entourage comme le reflet d’une France riche, assumée et « tape à l’œil ». Le corps spectacle devient l’incarnation du politique et dévoile une figure de dénonciation.

Dans notre tour d’horizon des néologismes construit à partir de l’identité médiatique de Nicolas Sarkozy, nous trouvons ensuite « ‘ sarkozette ’ », « ‘ sarkoboy  ’» et « ‘ sarkocompatible ’ » pour qualifier des personnes dans leurs rapports au président de la République. Le premier trouve sa place dans la première catégorie, c’est-à-dire uniquement dans le monde civique, quand il désigne une mesure politique de Nicolas Sarkozy comme le déblocage de l’épargne salariale en 2004 ou la prime à la casse en 2008. Mais, il sert aussi largement à signifier les femmes politiques qui gravitent dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, néologisme qui fait alors référence à la beauté et au personnage de Cosette, dans ‘ Les Misérables ’, des références autant aux /monde civique/, /monde de l’opinion/ et /monde domestique/

‘« Toutes sont fines, intelligentes et - pour ne rien gâcher - des plus photogéniques. Les journalistes de l'Hexagone, qui savent combien leur président aime s'entourer de splendides créatures, les ont surnommées "les sarkozettes". »
« Si elle est plus sarkozette que Cosette, si elle possède la grâce de ceux qui ont eu une enfance heureuse, Rama Yade vit encore comme une blessure le fait d'être passée «de la condition d'expatriée à celle d'immigrée »
« Fadela Amara, l'ancienne élue socialiste, la liberté guidant les cités, tombée de Cosette en Sarkozette. Fadela Amara, l'anti-communautariste, la franc-tireuse, partie jouer les triplettes de Belleville avec Rachida Dati et Rama Yade. »582

Le néologisme « ‘ sarkoboy ’ », quant à lui, désigne un membre de l’équipe de Nicolas Sarkozy. « ‘ Boy ’ » désigne un jeune garçon en anglais mais en français désigne aussi un serviteur ou un domestique. Dans tous les cas que la référence soit celle de l’enfant ou du serviteur, ces références sont en lien avec l’autorité traditionnelle du monde domestique, que l’on retrouve dans la composition de ce groupe fait d’amis, de frères ou de fidèles.

‘« Parce que c'était lui, parce que c'était eux, les sarkoboys ne ressemblent pas aux scouts habituels de l'UMP »
« À 43 ans, l'ex-conseiller parlementaire de Nicolas Sarkozy entre à l'Assemblée. Frédéric Lefebvre est l'un des plus anciens de la bande des « Sarkoboys » : il a lié son destin à celui du maire de Neuilly en 1993, en intégrant sous son autorité le ministère délégué au Budget. »
«Les sarkoboys (…) Tous formaient une équipe hétéroclite dans laquelle se mêlaient amis, copains, « frères », fidèles de la première heure, pour qui la loyauté à l'égard de Nicolas Sarkozy tenait lieu de pensée politique. »583

Enfin, l’adjectif « ‘ sarkocompatible ’ » sert à qualifier une personne ou une idée qui partage des principes moraux et politiques avec Nicolas Sarkozy, comme Carla Bruni qui est « ‘ sarkocompatible » ’ selon ‘ Le Matin ’ du 14 juin 2008 car pragmatique et calculatrice. C’est le cas aussi de l’explication proposée par Antoine Flahault, directeur de l’École des hautes études en santé publique, au sujet du rejet du vaccin par les Français : « syndrome d’enfants gâtéseffet de mai 68 » ; explication « ‘ sarkocompatible ’ », selon l’Humanité du 16 janvier 2010. Plus loin, le néologisme « ‘ sarkophrénie ’ », jeu de mot avec la schizophrénie qui désigne l’esprit coupé, nous inviterait à comprendre que le président est lui-même gouverné par un esprit instable. ‘ Libération ’, le 2 novembre 2009, le définit comme le « ‘ désir éperdu de transparence qui entre en collision avec une aversion viscérale à l’égard de tous les contre-pouvoirs (justice, Parlement, presse) ’ ». C’est donc un lien très fort au subjectif qui est sous-tendu d’où sa catégorisation comme une dénonciation entre monde civique et monde domestique.

Le terme de « ‘ sarkoïsation ’ » est cité dans la presse écrite francophone, entre autres, pour reprendre l’expression « ‘ sarkoïsation des esprits ’ » de Lilian Thuram en 2005 et l’expression « ‘ sarkoïsation de la société ’ » de Jack Lang en 2006. Mais nous sommes alors toujours dans le cas de citations. Pourtant, ce terme est repris par ailleurs, par différents narrateurs à leur compte pour désigner une omniprésence de Nicolas Sarkozy ou pour traiter d’une personnalisation du pouvoir au travers des expressions : « ‘ Sarkoïsation de la presse ’ » (‘ L’Express ’27/10/06), « ‘ Sarkoïsation de l’UMP ’ » (‘ Le Figaro ’ 16/09/06) pour désigner le fait qu’il n’y a plus de place pour d’autres personnalités dans ce parti, « ‘ Sarkoïsation du PS ’ » pour dire finalement que « ‘ le chef prend le pas sur le collectif ’ » (‘ Les Echos ’ 29/08/08) mais nous trouvons aussi « ‘ processus de sarkoïsation ’ » défini comme « ‘ personnalisation du pouvoir  ’» dans ‘ Libération ’, le 13 août 2005. Enfin, les trois derniers néologismes trouvés dans la presse écrite francophone révèlent un univers signifiant uniquement civique. La « ‘ sarkologie ’ » ou en d’autres termes l’expertise dans la politique sarkozyste, est un terme neutre, neutralité difficilement repérable avec les termes « ‘ sarkonnerie ’ » ou « ‘ sarkommence  ’», ce dernier étant un titre de ‘ Libération ’, le 3 juin 2005 après le remaniement du gouvernement par Jacques Chirac, et repris pendant la campagne pour désigner le début de l’ère de Nicolas Sarkozy.

On ne peut ignorer la prédestination purement phonétique du nom de Sarkozy. La troncation est caractéristique de la langue parlée et populaire. Or, le langage populaire a créé une série d’apocopes en ‘ -o ’, un diminutif en -o étant alors favorable au néologisme. Pourtant, ce fut le cas pour Ségolène Royal dont le diminutif « Ségo » répond à la même prédestination phonétique. Or, seulement 250 termes (contre 560 pour Nicolas Sarkozy) ont été trouvés par Véronis sur Internet dont un nombre important correspond à des pseudonymes issus de la blogosphère584. Il y a donc une prédestination phonétique que nous ne pouvons nier mais aussi l’identité médiatique de Nicolas Sarkozy.

La plupart des termes que nous venons de présenter sont des mots-valises, c’est-à-dire des néologismes formés par la fusion d'au moins deux autres mots existants dans la langue. Le mot-valise implique une troncation et un amalgame des éléments qui restent. « Les mots valises sont surmotivés : ils concentrent sur un seul signifiant plusieurs signifiés présentés comme amalgamés »585. C’est justement la question de l’amalgame qui est importante ici et qui rejoint précisément notre considération. Les termes dans les trois dernières colonnes du tableau (Tableau n°6) sont construits sur un amalgame d’au moins deux des mondes, deux isotopies sémantiques, et constituent une réunion d’univers signifiants conflictuels. Pris dans la dialectique homogénéisation et hétérogénéisation, ils révèlent alors un mouvement en leur sein. Pourtant, force est de constater que ces termes sont souvent pris dans un mouvement de dénonciation  qui pose alors la question de la consistance de la peopolisation. Nous reviendrons sur la question des néologismes, en conclusion, pour les penser comme un durcissement de l’existence sémantique du phénomène, nous permettant alors de concevoir sa définition et l’état actuel du processus.

Notes
564.

VERONIS, J., ‘ « ’Lexique : Sarkosyl et autres sarkotrucs », 2007,[en ligne : http://aixtal.blogspot.com/2007/ 09/ ’ ‘ lexique-sarkosyl-et-autres-sarkotrucs.html]

565.

Base de presse nationale et internationale proposant l'accès aux articles de près de 10 000 sources (dépêches d'agence de presse, journaux, magazines, transcriptions de chaînes de télévision) dans 22 langues en provenance de 118 pays : ‘ http://global.factiva.com

566.

Tels que ‘ « Sarkoth ’ », personnage de science fiction ou ‘ « Sarkoïdose » ’, terme allemand pour désigner la maladie ‘ « sarcoïdose »

567.

Nous avons, par exemple, exclu le terme ‘ « sarkofan » ’ car il n’apparaissait, dans la presse écrite, que dans le cadre de citation directe de personnes se déclarant ‘ « sarkofan » ’ ou le terme « s‘ arkome » ’ défini par ‘ le Progrès, ’le 20 mars 2009, comme « ‘ la tumeur politique qui se développe aux dépens du tissu social » ’ mais qui n’était mobilisé dans la presse que dans des citations de slogans.

568.

Nous avons éliminé, entre autres, les termes « ‘ Sarkophage » ’, nom d’un journal et d’un blogueur et « ‘ sarkostique » ’, nom d’un blog influent dans la blogosphère antisarkozyste.

569.

Nous citerons alors certains exemples de la mobilisation de ces néologismes de la presse francophone. Ces citations sont représentatives mais non exhaustives.

570.

Un répertoire des néologismes avec l’identification des espaces et des mouvements producteurs de ces termes se trouvent à en Annexes. B. 2. « Répertoire des néologismes ».

571.

Le Monde ’du 12/06/03.

572.

L’Hebdo ’du 26/04/07, ‘ Libération ’du 31/12/08.

573.

Par exemple, ‘ Le Parisien ’ désigne, le 24 avril 2007, l’ensemble des régions où Sarkozy est arrivé en tête comme « ‘ Sarkoland  ’».

574.

Le Monde ’ du 02/10/2004, ‘ Le Figaro ’ du‘ ’02/12/2004, ‘ Le Monde ’ du‘ ’04/09/2008.

575.

Comme pour la plupart des termes qui suivront, notre recherche sur‘ Factiva ’ comprend aussi leurs dérivés: ici, ‘ sarkophobes, sarkophobe, sarkophiles, sarkophile ’.

576.

Le Monde ’du 08/11/2008, ‘ Le Figaro ’du‘ ’20/09/2007, ‘ Libération ’du 10/04/2007.

577.

WEBER, 1995, op. cit. p. 289.

578.

Le Monde ’du 31/05/07, ‘ L’Express ’ du 23/08/07, ‘ La tribune de Genève ’ du 21/09/07‘ , Le Matin ’ du 07/10/07,‘ Stratégies ’ du 18/10/07

579.

Libération ’ du 23/01/08, ‘ Aujourd’hui en France ’ du 10/05/08‘ , Aujourd’hui en France ’ du 21/12/08.

580.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p. 391.

581.

Libération ’ du 21/09/07

582.

Courrier International ’ du‘ ’17/04/08, ‘ Le Point ’ du 21/06/07, ‘ Libération ’du 23/08/07.

583.

Le Nouvel Observateur ’ du 12/04/07, ‘ Le Figaro ’ du 25/07/0‘ , Le Point ’ du 25/10/07

584.

VERONIS, J., « Lexique: Ségobidules », 2007,[en ligne : http://aixtal.blogspot.com/2007/09/lexique-sarkosyl-et-autres-sarkotrucs.html]

585.

SABLAYROLLES, J-F.,‘ ’« La double motivation de certains néologismes. »,‘ Faits de langues, ’1, 1993, p. 224.