V. 1. 1. Les personnages des récits.

Nous repérons différents types de personnages dans les récits de notre corpus : leur place et leur importance permet de saisir, dans un premier temps, différentes postures dans la couverture de la campagne présidentielle par la presse people. Déployons ces catégories, évoquées dans le chapitre précédent à partir de l’isotopie de l’/incarnation/, pour considérer leur croisement et la possibilité d’un personnage d’appartenir à plusieurs d’entre elles.

Il y a les peoples, personnages typique de la presse qui nous préoccupe. A ce stade, nous considérons ces personnages comme distincts des hommes politiques. Nous verrons, cependant, que ces derniers peuvent cependant accéder au statut de people. Ici, les peoples sont des personnages issus du monde de l’opinion et restent dans son confinement, « ‘ en ce qu’ils se distinguent, sont visibles, célèbres, reconnus, réputés  ’»590. Dans la presse people, les grands sont des personnages jugés « dignes d’intérêt » en fonction de leur notoriété et de leur potentiel narratif. Virginie Spies identifie trois types de personnages peoples :

‘« Ce sont les animateurs d’émissions et les personnes dont la notoriété nait à la télévision par des programmes spécifiques (…). Ces personnes au succès nouveau constituent une bonne partie du « fond de commerce » du magazine people Public dont le lectorat est jeune et féminin. Enfin, la troisième catégorie est constituée des acteurs et chanteurs qui occupent une grande place dans les médias. 591 »’

Le people n’est donc pas le plus grand du monde de l’opinion, il est grand dans la presse people car il répond aux injonctions de celle-ci : les critères de grandeur peuvent osciller entre les différents titres du genre. Par ailleurs, dans le monde de l’opinion, à côté des grands, se tiennent « ‘ les magistrats chargés de faire valoir la grandeur de renommée  ’». Ici, ce sont les médias, énonciateurs qui peuvent eux-mêmes se débrayer dans les récits. Mais cela correspond aussi à leurs concurrents, installés dans le récit, auxquels le narrateur peut se solidariser ou desquels il peut s’affranchir. L’énonciation-énoncée592 installe, par là même, les petits du monde de l’opinion, les lecteurs – les destinateurs du récit –. Le narrateur peut leur octroyer un faire pour l’état de grandeur en les désignant comme « ‘ l’opinion ’ », « ‘ l’audience ’ » ou le « ‘ public ’ ».

Dans les récits de notre corpus, nous trouvons, par ailleurs, des personnages issus du monde domestique : ils sont les membres de la famille, les amis, et les proches de manière générale, dont la visibilité n’est investie qu’au prisme de leurs relations personnelles avec un candidat. A l’inverse, ce sont les relations professionnelles, dans le confinement du monde civique, qui permettent d’identifier un autre type de personnages : les acteurs politiques. Ils sont les militants, les membres d’un parti, les acteurs institutionnels, les gouvernants593, etc.

Certains personnages appartiennent à plusieurs de ces catégories, le narrateur peut choisir de les mettre en scène dans cette multitude comme dans un seul monde.

Exemples de personnages à multiples catégories.
Domestique – Civique : Thomas Hollande, François Hollande, Cécilia Sarkozy, Marine Le Pen, Brice Hortefeux, Pierre Charon, etc.
Civique – Opinion : Nicolas Hulot, David Douillet, etc.
Domestique – Opinion: Christian Clavier, Johnny Hallyday, Doc Gyneco, etc.

Enfin, il y a les candidats à l’élection présidentielle. La présence d’au moins l’un d’eux dans le récit constitue un des critères de sélection de ce corpus. Si leur identification dans le monde civique justifie notre investigation, celle-ci n’est pas obligatoirement signifiée par les narrateurs des récits. Ces personnages peuvent être mobilisés exclusivement dans un monde, comme déplacés d’un monde à l’autre au sein d’un même récit594. Leur identité narrative relève de leur identification par le narrateur et du mouvement par lesquelles cette identification peut fluctuer. Si, la prédominance de certains de leurs rôles et des espaces que le narrateur leur fait produire et consommer se révèle pertinente pour comparer les titres de presse people, leur place dans le récit confronte deux types de presse people. Parce que la présence d’au moins un des candidats justifie la construction de notre corpus, leur omniprésence n’en fait pas toujours les personnages principaux.

En effet, lors de la campagne présidentielle entre le 17 novembre 2006 et le 14 mai 2007, certains titres ne leur accordent pas un état de grandeur suffisamment légitime pour être visibles sans intermédiaire. Le politique n’est pas people. La médiatisation des candidats est opérée dans ce cas à partir d’un personnage595 que nous désignerons comme « un intermédiaire médiatisant ». L’intermédiaire médiatisant, ici, peut être incarné à la fois par un être humain identifiable comme unique, mais aussi par un collectif ou un objet. Aucun récit ne met en scène un candidat, dans ‘ Voici ’et‘ Public, ’ sans la présence conjointe d’un people ou du collectif « les peoples ». L’homme politique n’est pas signifié comme assez « digne d’intérêt » pour être mobilisé seul dans ces deux hebdomadaires.

L’identité de ces intermédiaires médiatisants se comprend à partir de l’état de grandeur de celui-ci dans le titre sélectionné, mais aussi de l’existence d’un lien mobilisable entre le people et le politique et, enfin, de l’existence d’un élément ou d’une thématique actuels permettant justement de soumettre ce rapport à l’actualité. Ainsi, les personnages people incarnant le plus fréquemment ce rôle d’intermédiaire connaissent une actualité people et une relation avec l’homme politique offrant la possibilité de servir de point de passage pour la mise en scène du politique. C’est le cas, par exemple, de Philippe Torreton qui, lors de la médiatisation de sa rupture avec Claire Chazal, devient l’intermédiaire pour la mise en scène de Ségolène Royal. La présence de cet intermédiaire médiatisant, son identification comme celles de tous les autres personnages, en fonction du rôle attribué et des mondes que le narrateur leur fait traverser et consommer, ouvre ainsi des pistes pour notre considération de la presse people comme porte-parole. Mais la campagne présidentielle, comme espace producteur de discours, intervient, par ailleurs, comme un axe heuristique pour cette même investigation et dévoile d’autre intermédiaires-médiatisant servant la visibilité des hommes politiques dans cette presse.

Notes
590.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991‘ , op. cit ’. p. 224.

591.

SPIES, V., Télévision, Presse People : les marchands de bonheur, Bruxelles : De Boeck, 2008, p. 131.

592.

Rappelons que pour Courtès, l’énoncé englobe l’énoncé-énoncé (qui correspond au narré) et l’énonciation-énoncée (qui est la façon de présenter ce narré)

593.

Ici, nous retrouvons les « descriptions définies » en rapport au collectif, typiques du monde civique.

594.

Nous soulignons qu’un changement d’espace de mise en scène du candidat n’oblige pas un changement de rôle : ici réside notre distinction entre deux types de mouvement de narration : la transformation et la transposition. Voir chapitre II.1.3.2.

595.

Si nous utilisons le terme de personnage, nous n’oublions pas la limite posée par Greimas à ce terme qui institue une confusion autour d’un actant humain et unique, notre utilisation du terme de personnage reprend la définition de l’acteur de Greimas, c'est-à-dire un actant incarné au niveau discursif, comme désignant non seulement un être humain mais aussi les animaux, les choses et les concepts ou un collectif.