V. 1. 2. La campagne présidentielle : une période et un contexte.

La campagne présidentielle est un temps fort de l’actualité politique : c’est un espace d’émergence des récits de notre corpus. Cette considération est double et ordonne, par ailleurs, une nouvelle distinction entre les magazines peoples.

La campagne présidentielle est un espace extérieur aux médias596, dans lequel s’organisent des pratiques et des discours politiques stratégiquement orientées vers la clôture de cette période : le verdict du scrutin. Face à cet espace, la presse produit et rend compte de ces pratiques et de ces discours : elle traite, à la fois, de l’ensemble des offres, de l’ensemble des demandes et des conditions d’ajustements opérés. Les narrateurs des récits relayent et produisent une information quant à un fait, un évènement, un discours survenu lors de la campagne. Ici, la campagne présidentielle est un contexte d’émergence de pratiques ou de discours ; elle relève de la procédure de débrayage et est inscrite dans les programmes narratifs à partir d’unités spatiales et temporelles récentes – des localisations spatio-temporelles597 – créant l’illusion aux destinateurs et destinataires du récit de partager l’évènement ensemble, de partager le présent.

La campagne présidentielle est, par là même, un espace producteur de récit : elle crée l’occasion pour un narrateur de se saisir d’un évènement, d’un concept, d’un objet ou d’un personnage. Bien que le discours ne soit jamais totalement détaché des pratiques et des discours des hommes politiques survenus lors de la campagne, ceux-ci, dans ce cas particulier, ne tiennent pas le propos. Le présent est installé dans les déictiques entre l’énonciateur et l’énonciataire. L’actualité est la campagne présidentielle comme période, peu importe que le récit soit produit au début ou à la fin de cette période : l’ensemble de la période fait l’actualité du récit. Les localisations spatio-temporelles, inhérentes à la campagne présidentielle comme contexte d’émergence d’actions et de discours, ne sont plus inévitables. Cette actualité est donc moins celle d’un présent que d’une configuration dicible dans le présent.

Cette double considération de la campagne présidentielle comme espace se construit autour de la notion d’actualité. Le concept d’immortelle dévoile une information en dehors de l’actualité tout en l’étant continuellement598. La période de la campagne présidentielle nie ce concept en niant la continuité de l’actualité d’une information. Il ne peut exister d’« immortelle de campagne », oxymore qui serait pris, à la fois, dans un détachement de l’actualité tout en étant contraint par une période actuelle. Et pourtant, dans notre corpus, de multiples récits résultant de cette période qu’est la campagne présidentielle visent moins à définir ce qui s’y passe que ce qu’il en est. C’est le cas, entre autres, des récits de l’enfance et du passé des candidats. Ces récits ne se construisent sur aucun évènement, aucune rupture dans le cours de la campagne, ils sont construits sur elle et par elle, pris dans l’actualité de sa période mais détachée de l’actualité de ses évènements. Par exemple, trois récits consacrés à l’enfance de Ségolène Royal paraissent, dans le magazine ‘ VSD ’, le 22 novembre 2006, le 21 mars 2007 et le 25 avril 2007599. Ces dates de parution importent peu tant qu’elles se tiennent dans la période de la campagne présidentielle pour conserver leur légitimité.

Finalement, dans l’« immortelle de campagne », nous retrouvons différents critères des catégories de traitements journalistiques : Il y a la prévisibilité des informations dites froides maintenues au « frigo », mais ces informations, selon Ruellan et Grevisse, « ‘ prendront, à un moment indéterminé, la valeur d’informations chaudes  ’»600. Or, dans le cas des récits qui nous intéressent, ils n’atteindront que la tiédeur d’une période et non la chaleur d’un évènement. Plus loin, le lien aux personnages de la campagne semble renvoyer au portrait journalistique, mais si tous permettent de conjoindre des attributs psychologiques aux personnages, certains sont très éloignés du type descriptif, passéiste et biographique du portrait. Il y a aussi la périodicité du marronnier, mais à la différence de celui-ci, ces informations ne traitent pas de l’évènement qui revient mais des personnages qui le peuplent et qui, eux, sont changeants. Enfin, le début et la fin de leur légitimité empêchent de les considérer comme des immortelles, malgré une actualité constante dans une période de plusieurs mois601. Les critères de prévisibilité, individualisation, périodicité et limitation dans le temps répondent chacun à un type de traitement journalistique, mais s’arrêtent trop tôt pour que l’un soit considéré comme pertinent. Dans cette impossibilité de définition, nous choisissons de garder l’oxymore « immortelle de campagne » tout en insistant sur le caractère limité de l’immortalité de ces informations.

A ce propos, deux analyses doivent s’articuler. La première, qui sera investie dans les prochaines pages, s’attardera sur le fonctionnement de ces « immortelles de campagne » pour comprendre ce qu’elles nous disent sur les identités médiatiques des candidats et finalement, comment, dans leurs énonciations, le narrateur porte la parole des êtres de papier. La seconde nous renverra vers un traitement de la campagne distinct au sein de la presse people. Certains titres se servent des « immortelles de campagne » comme d’un « intermédiaire médiatisant ». Si celles-ci ne procèdent pas toujours d’un traitement collectif des candidats, c’est généralement le cas, et toujours dans ‘ Ici-Paris ’, ‘ Voici ’, ‘ Public ’ et ‘ Point de Vue ’. Ces quatre titres ne mettent jamais en scène un candidat comme personnage principal d’un récit, celui-ci est mobilisé soit au travers d’un personnage people, soit au travers d’une « immortelle de campagne » soumise à un traitement collectif des candidats : l’ « intermédiaire médiatisant » devenant alors le collectif des candidats602. Enfin, c’est la mobilisation de la campagne comme espace qui pose une dernière distinction puisque seuls ‘ VSD ’, ‘ Paris-Match ’, ‘ Gala ’et ‘ Closer ’, se saisissent de la campagne comme contexte d’émergence de pratiques et de discours des hommes politiques, survenus lors de la campagne ; tous les autres ignorant ce qui s’y passe pour ne mettre en scène que ce qu’il en est.

Notes
596.

Du moins, elle a une réalité autre que celle médiatique bien qu’une des fins soit aussi la médiatisation.

597.

GREIMAS & COURTES, 1993, ‘ op. cit. ’ p. 214.

598.

Cf. Chap. III-2-5-2.

599.

VSD ’1526, ‘ VSD ’ 1543, ‘ VSD ’ 1548.

600.

GREVISSE, B. & RUELLAN, D., « Pratiques journalistiques et commémoration : Éléments de lecture du récit des festivités d’anniversaire du débarquement de Normandie », Recherches en Communication, 3, 1995. p. 89.

601.

Soulignons que cette période de la campagne présidentielle, peut être divisée en deux périodes ; le scrutin du premier tour consiste en une rupture qui opère une réduction dans le nombre des personnages.

602.

Seul ‘ Closer ’ met en scène Ségolène Royal dans une « immortelle » hors campagne. L’ « intermédiaire médiatisant » est le collectif des stars, dans lequel Ségolène Royal est classée. Nous reviendrons sur cet article lors de l’analyse de Closer comme porte-parole.