V.2.2.2. Le soutien des proches.

La famille est l’une des figures modèles du monde domestique. L’influence de celle-ci dans la campagne préoccupe particulièrement la presse people, comme si le soutien des proches permettait l’accès à l’état de grandeur dans le monde civique. De nombreux récits mettent en scène des membres de la famille d’un candidat, tantôt aux côtés de l’homme politiques, tantôt comme sujet principal du récit. Ici, nous nous intéresserons aux récits focalisés sur les rapports au sein d’un couple ou au sein d’une filiation, que le traitement soit collectif ou tourné vers un candidat. Mais parce que notre propos se consacre aux « immortelles de campagne », nous excluons tout récit répondant à une actualité récente, à ce qui se passe lors de la campagne : nous ignorons les récits : « ‘ Ségolène Royal et François Hollande : Un couple dans la tempête ’ » et « Ségolène et François. Mais comment gèrent-ils leur couple ? »650 qui suivent l’affichage de « ‘ quelques divergences sur le terrain ’ »651 et la déclaration d’Arnaud de Montebourg sur le compagnon de Ségolène Royal et celui intitulé « ‘ Cécilia : un atout charme pour Sarkozy ’ » qui la met en scène lors de l’investiture de Nicolas Sarkozy652.

Paris-Match ’3014 « Quel couple à l’Elysée ? »
Paris-Match ’3016 « Babeth et François Bayrou : A deux tout est possible »‘
VSD
’ 1544 « Duel de premières dames »
Point de Vue ’3059 « Trois hommes et un destin »
Gala ’713« Nicolas et Cécilia Sarkozy : leur pacte intime. Cinq clefs pour comprendre leur couple »
Gala 716 « Fils et filles de politiques : ont-ils attrapés le virus ? »
Public 185 « Et si on votait pour son fils ? »

L’analyse de ces sept articles dégage des éléments heuristiques pour l’identité médiatique de chacun des candidats. Si les récits sur le passé ont permis, au travers de la figure du père et de l’enfance, d’appréhender comment se dévoilait un grand nombre d’attributs identitaires, la mise en scène des conjoints et des enfants découvre le lien familial comme investissement propice à l’accès au poste de président de la République. Les proches des candidats incarnent des adjuvants et des opposants pour l’obtention de compétences actualisantes à l’élection.

Les cinq premiers récits s’intéressent aux conjoints des candidats. La présentation du couple installe une compétence de l’épouse (ou du compagnon) à ‘ vouloir-être ’ première-dame653 et, par là même, débraye une certaine identité de l’homme politique dans son être dans le monde domestique. ‘ VSD ’ focalise son récit sur Elisabeth Bayrou et Cécilia Sarkozy comme les deux prétendantes au statut de première-dame bien que François Hollande soit évoqué dans un premier énoncé de l’article. Ce duel Sarkozy/Bayrou pose la question du ‘ pouvoir-être ’ de la première-dame.

Le ‘ pouvoir-être ’ dépend, sous un premier abord, de la présidentiabilité du conjoint, débrayant les premières dames dans une hiérarchie de grandeur du monde civique par l’intermédiaire de leur époux/compagne. Cependant, si la présidentiabilité révélait la hiérarchie entre les potentielles futures premières-dame, François Hollande devrait figurer dans ce duel ou du moins changer le duo en trio. Or le genre semble constituer un critère fondamental dans la compétence de ‘ pouvoir-être ’ « première-dame ». Le ‘ non-être-femme ’ de François Hollande semble compliquer l’identification de celui-ci dans ce rôle, un ‘ non-être-femme ’ évoqué dans ‘ Paris-Match ’, ‘ VSD ’ et ‘ Point de Vue ’, mais aussi dans ‘ Public ’ au travers de la voix de Thomas Hollande654. La sanction négative est franche pour ‘ Paris-Match ’.

‘« Peu probable, en cas d’élection de madame (53 ans) à la tête de l’Etat, que le premier secrétaire du PS (52 ans) se transforme en « premier-monsieur » à l’Elysée. Il a d’ailleurs annoncé qu’il n’y habiterait pas. »655

Point de Vue ’renvoie François Hollande au rôle de prince Consort dans un parcours polémique où Ségolène Royal « ‘ débat de l’avenir de la planète ’ »656.‘ ’Dans cette même logique,‘ VSD ’ installe trois énoncés dans le même article, un premier général sur les premières-dames potentielles et passées, un autre consacré à Cécilia Sarkozy et un dernier sur Elizabeth Bayrou. François Hollande apparaît dans le premier : « ‘ Dimanche 6 mai, les Français n’auront pas seulement élu un nouveau chef de l’état, ils permettront aussi à son épouse ou à son concubin, dans le cas de Ségolène Royal, de devenir ’ « première dame »‘ ’». Le titre de cet énoncé – « ‘ Une femme à l’Elysée ’ » – justifie la simple évocation de François Hollande et l’absence d’un énoncé qui lui serait consacré dans le reste de l’article. Le genre de ce dernier l’empêche d’accéder à la possibilité d’être « première-dame ». Cette évaluation de référence est souligné en conclusion lors de la justification d’un ‘ ne-pas-pouvoir-être-président ’ pour George Clémenceau dû à son veuvage : « ‘ Ses adversaire grincèrent : «  ’Il est veuf et, à l’Elysée, il faut une femme‘ . » Ce n’est pas François Hollande qui dira le contraire. ’ ».

Par ailleurs, la première-dame est investie du devoir de supporter son conjoint. Ce rôle contient une hiérarchie de grandeur du monde domestique dévoilant toute une série de stéréotypes genrés. Idéalement, la première-dame « ‘ joue son rôle d’épouse et de collaboratrice ’ », ‘ « dans l’ombre  ’», elle est « ‘ le premier soutien ’ », elle rend « ‘ son époux plus proche, plus sympathique, plus humain »657, ’ elle « ‘ adoucit l’image du candidat ’ »658, elle est « ‘ simple mais élégante » ’, ‘ « présente mais discrète ’ », « ‘ intelligente à condition de ne pas le montrer ’ »659. Le rôle de première-dame investit un compromis entre les trois mondes mais c’est un compromis qui reste confiné dans le monde domestique. Le devoir de la première-dame est un investissement fondé sur la serviabilité et « ‘ le rejet de tout égoïsme ’ »660 établissant un rapport de grandeur entre le candidat et la première-dame autour de la subordination et de l’honneur661. Boltanski et Thévenot définissent le monde domestique comme un monde établi sur les relations personnelles entre les êtres. La grandeur se fonde dans une ‘ « chaine de dépendances personnelles ’ »662, c'est-à-dire que les états de grandeurs se définissent toujours dans la comparaison de ‘ plus grand que ’… ou ‘ plus petit que ’… La première-dame, qui ne doit son statut qu’à son conjoint, figure donc comme ‘ plus petite que ’ le candidat auquel elle se dévoue663. Mais dans cette chaine de dépendance se construit, par ailleurs, la figure de l’être supérieur : le candidat.

De la même manière,‘ Gala ’ procède à une comparaison entre différents candidats à partir de leurs enfants. Ici, l’être-entouré est déplacé vers l’être-admiré et l’être-imité. La forme d’évidence du monde domestique tient de l’exemplarité : donner l’exemple et suivre l’exemple. Thomas Hollande, Marine Le Pen, Marine Ronzani664 et Agnès Bayrou sont présenté dans cette succession filiale d’engagement et de politisation, ils suivent l’exemple, « ‘ comblent les espérances des parents  ’» prennent « ‘ la relève ’ », partagent « ‘ le combat ’ » du père ou de la mère. C’est, d’ailleurs, le thème d’un combat partagé qui rapproche Ségolène Royal et Thomas Hollande dans ‘ Public ’. Finalement, si la performance met en scène les fils et filles de politiques qui suivent l’exemple, intrinsèquement le père ou la mère incarnent l’exemple.

‘« Etant donné l’importance primordiale accordée à la hiérarchie, l’harmonie naturelle du monde [domestique] se manifeste particulièrement dans les figures qui présentent un suite ordonnée d’êtres dans la diversité de leurs états de grandeur. C’est le cas de la succession des génération (les enfants sont le reflet de leurs parents). 665»’

Du conjoint aux enfants, les récits de soutien instituent le candidat à l’élection présidentielle dans une supériorité inhérente au monde domestique et à cette figure hiérarchique que constitue la famille. Le soutien devient la preuve de l’harmonie dans l’ordre établi entre les êtres.

‘« L’accomplissement de ces devoirs est ce qui fait l’agrément de la « vie en commun », ce qui « rend la vie agréable », ce qui permet aux relations individuelles d’être harmonieuses.666 »’

Les rumeurs sur l’absence de Cécilia Sarkozy lors de la campagne présidentielle répondent précisément à cette injonction à l’harmonie dans le monde domestique déplacée dans le monde civique, comme si la mésentente du couple niait le rôle de chef de famille de Nicolas Sarkozy, et donc, sa compétence à ‘ pouvoir-être ’ chef de l’Etat. De la même manière, la compétence de parentalité est déplacée, comme nous le verrons, vers le monde civique dans de nombreux récits. La transposition du rôle de père ou de mère dans le monde domestique définit la compétence à ‘ pouvoir-être ’ le père ou la mère des Français.

Quel que soit le parcours thématique investi par les « immortelles de campagne », celles-ci découvrent des éléments heuristiques pour saisir l’identité médiatique des candidats. Mais, par ailleurs, elles installent des hiérarchies de grandeurs et des compétences dans le monde domestique et le monde de l’opinion signifiées comme révélatrices de hiérarchies et de compétences dans le monde civique. Les différentes variables qui ont émergé de ce propos seront reprises, dans le chapitre suivant, dans une investigation focalisée sur chacun des candidats à l’élection présidentielle. Mais, avant de découvrir les identités médiatiques des candidats, considérons les différents porte-parole.

Notes
650.

VSD ’ 1535, Gala 711.

651.

VSD ’ 1535.

652.

VSD ’ 1534.

653.

Nous utiliserons l’expression « première-dame » autant pour les hommes que pour les femmes, sans nier la connotation forte de cette expression. L’attribution genrée de ce rôle dévoile précisément un de nos intérêts.

654.

Public ’ nie le rôle de chef de famille, voire la masculinité, de François Hollande et lui attribue celui de femme au foyer ; nous reviendrons sur ce récit au chap. VI-3-1-2

655.

Paris-Match 3014.

656.

Point de Vue 3059.

657.

Paris-Match ’3014 

658.

Gala 713.

659.

VSD ’ 1544 

660.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, ‘ op. cit. ’ p. 214.

661.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, ‘ op. cit. ’ p. 215.

662.

Ibid. ’ p. 206.

663.

Le cas de François Hollande sera investi en détail lors de l’investigation de l’identité médiatique de Ségolène Royal.

664.

Marine Ronzani est la fille de Dominique Voynet.

665.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p. 218-219.

666.

Ibid. p. 215.