V.3.1.2. Ici-Paris et Public : l’énonciation par intermédiaire.

Ici-Paris ’, met en scène les candidats à l’élection présidentielle dans deux articles parus entre le 17 novembre 2006 et le 14 mai 2007. Ces deux articles sont des « immortelles de campagnes » :

Ici-Paris ’ 3221 : « Pour qui votent les people ? »
Ici-Paris ’ 3226 : « Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy : ce que révèlent leur écriture »

La campagne présidentielle peut être divisée en deux sous-périodes. Dans la première sous-période, il y a douze candidats, dans la seconde deux. Le verdict du scrutin du premier tour constitue une rupture, réduit le nombre des personnages et opère une transformation de ce qu’il en est. Ici-Paris rend compte du collectif des candidats dans sa complétude à l’aide d’une immortelle de campagne pour chacune de ces sous-périodes de campagne. Ce collectif consiste en l’intermédiaire médiatisant, comme si en dehors de son groupe d’appartenance, l’homme politique ne pouvait avoir d’existence dans cet hebdomadaire. Mais plus encore, Ici-Paris transfère le rôle de faire-savoir à un tiers : aux peoples, dans le premier article, à une graphologue, dans le second. La mobilisation des candidats à l’élection présidentielle se dessine dans un vouloir-ne-pas-faire, un refus de focaliser son récit sur un candidat plutôt qu’un autre, un refus de mettre en scène les candidats comme sujet de faire et un refus de dire qui s’installe dans le compromis de faire-dire. Le silence d’Ici-Paris intervient donc dans une tension entre dire et ne-pas-dire : il dit en tant qu’il met en scène les candidats mais ne dit pas en tant qu’il délègue le rôle de destinateur aux peoples ou à la graphologue.

Dans le premier récit, les sanctions à propos des candidats sont débrayées dans des citations des peoples et dans une prise de distance du narrateur.

‘« De son côté, Massimo Gargia a déclaré au nouvel observateur: « dans mon milieu, c’est à Sarko qu’on fait confiance » tout en ajoutant « Sarko, pour nous, est people. Quand Cécilia est partie, on a beaucoup aimé. Sarkozy est un grand playboy, et ça, c’est très positif, nous, on adore »
« Le troisième homme a lui aussi ses partisans. Patrick Sébastien, notamment, a déclaré dans le parisien: « lors de nos discussions, j’ai senti un homme qui partage mes valeurs ». « J’aime ce mec », a confié, de son côté, Vincent Lindon dans Paris-Match. »
« Philippe Torreton a déclaré au sujet de la candidate de gauche : « je suis environnementaliste. Elle est la seule à prendre en compte les bouleversements de la société à venir. En plus, elle est en de justice quête et de solidarité ». » 670

L’objet du discours d’Ici-Paris est le discours du people : l’hebdomadaire s’installe comme énonciateur du discours rapporté, suspendant le contenu du discours du personnage people. Le narrateur s’attribue le rôle d’énumérer la liste des soutiens pour chaque candidat.

‘« Ils sont nombreux à le rejoindre ! Doc Gyneco, David Douillet, Arthur, Steevy Boulay, Didier Barbelivien, Claude Brasseur, Pascal Sevran, Jean-Marie Bigard, Alain Prost, Philippe Candeloro, David Hallyday, Jean d’Ormesson, Henri Leconte, Alain Delon, Michel Sardou, Pierre Palmade, Johnny et Laëticia Hallyday, Cathy et David Guetta, Faudel, Jean Reno, Christian Clavier, Enrico Macias, Yves Rénier…. » 
« Ségolène Royal est également soutenue par Jamel Debbouze, André Dussollier, Cali, Juliette Binoche, Lambert Wilson, Diam’s, Geneviève de Fontenay, Yvan Le Bolloch, Arielle Dombasle, Bernard-Henri Levy, Guy Bedos, Carole Bouquet, Jacques Audiard, Michel Piccoli, Pierre Arditi, Mazarine Pingeot, Daniel Prévost, Sylvie Testud, Samuel Benchétrit, Patrice Chereau, Christine Angot, Elsa Zylberstein, Juliette Gréco, Agnès B, Nicolas Rey, Erika Orsenna… »
« Le candidat est également soutenu par Jean-Christophe Rufin, Titouan Lamazou, Jean-Marie Cavada, Jean-François Kahn, François Berléand et Richard Bohringer. » 671

Dans ce récit, le réel est l’engagement des peoples qui sont sujets de faire et de dire. « ‘ Le flux parolier conserve son statut ’ »672 d’extériorité par rapport au discours du narrateur.

Dans le second récit, si la titraille installe un expert comme énonciateur du récit, l’absence de guillemets ou de signature empêche de déceler l’identité du narrateur, installant une confusion entre l’énonciation d’Ici-Paris et celle de l’expert. Seule la titraille est identifiable, comme celle étant de l’hebdomadaire, par le débrayage de l’expert comme un tiers.

‘« Quelle est la véritable personnalité de celui ou celle qui va bientôt diriger la France ? Qui sont vraiment Nicolas Sarkozy et Ségolène royal, les deux prétendants à la présidence de la république ? Grâce à la graphologue, Josiane Borgazzi, découvrez avant le deuxième tour de la présidentielle leurs principaux traits de caractère, leur tempérament et leur personnalité. Après, ce sera à vous de juger »673
[Figure 33 : Mise en forme des citations dans Public.]
[Figure 33 : Mise en forme des citations dans Public.]

La sanction est, ici, explicitement déplacée vers l’expert comme vers le lecteur au travers d’un programme narratif visé. Le narrateur du récit incarne celui qui pose les questions sans y répondre. La posture silencieuse d’‘ Ici-Paris ’se réalise au travers d’une délégation du savoir-dire et du vouloir-dire, que l’on retrouve dans la couverture de la campagne par le magazine ‘ Public ’.

Trois articles de ‘ Public ’ se consacrent à un candidat à l’élection présidentielle. Mais la consécration n’est pas celle des hommes politiques, leur traitement est toujours opéré par intermédiaire, par l’intermédiaire du collectif des peoples dans : « ‘ Pour qui votent les pipoles ? ’ »674, par l’intermédiaire de Doc Gyneco dans « ‘ Chez Sarko, je dîne, je bois mais je ne fume pas ! ’ »675 et par l’intermédiaire de Thomas Hollande dans « ‘ Et si on votait pour son fils ? ’ »676. Si les candidats apparaissent dans cet hebdomadaire, c’est toujours dans une mise en scène à partir d’un personnage677 plus légitime à être médiatisé. Ces personnages sont à la fois Destinateurs, destinateurs et sujets de performances. Ils sont destinateurs des récits et figurent comme les experts ou les témoins habilités par un savoir-dire. La médiatisation par intermédiaire déplace le savoir-faire et le faire-savoir du narrateur de ‘ Public ’ au narrateur-people à qui est consacré le récit. Cette posture est repérable par la mise en forme mosaïque des énoncés où le dire des peoples est mis en avant par une focalisation sur des citations isolées de l’énoncé. La structure dynamique et éclatée de cet hebdomadaire mélange ainsi énoncé du narrateur et citations des peoples avec de multiples illustrations, présentant soit le people-énonciateur, soit l’objet de la citation. La textualisation intervient ici comme une manifestation expressive de l’énoncé678. Si la présence des peoples semble évidente dans ce titre, la mise en scène de Thomas Hollande l’est moins du fait d’une célébrité et une visibilité moindre. Pourtant, ‘ Public ’ légitime sa médiatisation par un portrait qui l’installe, à la fois, dans un être comme les autres et le renvoie à son ordinarité tout en le dévoilant différents des autres, justifiant la médiatisation par son extraordinarité.

‘« Il a 21 ans, écoute 50 cent et Shakira, et habite toujours chez ses parents. Thomas est un garçon comme les autres ou presque. »
« Pourtant au départ, Thomas n’avais rien d’un militant. « Au lycée, j’étais juste un mec normal qui allait au judo, avait des copines et regardait le foot à la télé. ». Le 6 mai 2007, en tous cas, il deviendra peut-être le fils de la première présidente de la république française. Trop cool ! »679

Ce portrait permet l’identification du lecteur au fils de Ségolène Royal, devenant un facteur d’attrait pour les lecteurs à cette candidate : « ‘ Thomas Hollande, 21 ans, est l’atout charme de sa mère… Ségolène ’ ». La renommée ne constitue pas le seul critère d’accès à ‘ Public ’. Thomas Hollande est moins connu et visible que sa mère : il est plus petit que Ségolène Royal dans le monde de l’opinion. Pourtant, c’est à travers lui que la médiatisation de la candidate est opérée bien que la visibilité du fils dépende de celle de la mère, comme si l’âge et l’activité de la candidate n’en faisait pas une personne « ‘ digne d’intérêt  ’» pour les lecteurs de ce magazine.

‘« Pour les magazines Closer et Public, la jeunesse est un critère essentiel. Rares sont les peoples qui dépassent 35-40 ans.680 »’

Le monde de l’opinion subit donc une réorganisation qui favorise, de manière dominante, les candidats de la téléréalité : « ‘ Ce sont des personnages attachants autour desquels les rédacteurs se comportent comme des artisans qui tricotent des vies de jeunes, dans un univers jeune, à destination d’un lectorat jeune ’ »681. La jeunesse de Thomas Hollande contient ainsi un critère justifiant sa médiatisation et permettant l’identification des lecteurs. Le monde civique est donc déplacée dans le monde domestique et de l’opinion.

Ce déplacement est renforcé par les sanctions du narrateur de ‘ Public ’ autour des citations qui interrogent la crédibilité des propos.

‘« Le doc n’a pas mâché ses mots pour expliquer son engagement politique (…) Il n’a pas hésité à tailler un costard à la gauche et aux peoples qui la soutiennent »
« Le rappeur a avancé qu’il obtiendrait sans doute un poste au gouvernement si le candidat de l’UMP venait à être élu! Le doc au pouvoir, on attend de le voir pour y croire... »
« Quant à Roger Hanin, il a expliqué à Marc-Olivier Fogiel sur le plateau de T’empêches tout le monde de dormir: « je voterai Nicolas Sarkozy au second tour parce que je pense qu’il aura une politique de gauche ». Chacun ses raisons. »682

C’est moins la sanction porté sur le candidat qui est remise en cause, ici, que le destinateur-manipulateur du propos : la logique de l’identification politique de Nicolas Sarkozy, par Roger Hanin, ou l’objet visé, jugé peu crédible, pour Doc Gyneco. L’objet du discours est le discours du personnage people, la sanction porte alors sur le savoir-dire plus que sur le contenu même de la citation.

Le silence de cette presse faiblement médiatisante n’est donc pas absolu mais passe par un jeu avec des intermédiaires. Ceux-ci sont, au niveau sémio-narratif, les personnages typiques de chacun de ces titres au travers desquels la présence d’un homme politique trouve sa légitimité. Mais l’intermédiaire peut, par là même, investir le collectif des candidats au travers d’une mise en scène de la campagne quant à ce qu’il en est. Enfin, ces intermédiaires sont aussi des intermédiaires au niveau de l’énonciation ; le narrateur-journaliste délègue le discours à ses actants de narration ou à un autre énonciateur. Voici, procède, lui aussi, à une médiatisation par intermédiaire, pourtant, contrairement aux quatre titres investigués ici, il conserve un savoir-dire et un vouloir-dire quant aux candidats mis en scène.

Notes
670.

Ici-Paris 3221.

671.

Ici-Paris 3221.

672.

MOUILLAUD & TETU, 1989, ‘ op. cit ’. p. 131.

673.

Ici-Paris 3226.

674.

Public ’ 196.

675.

Public ’ ‘ 193.

676.

Public ’ ‘ 185.

677.

Collectif ou particulier.

678.

Cf. Note de bas de page n°144, Chap. II. 1. 1.

679.

Public ’ ‘ 185.

680.

SPIES, 2008, op. cit. p. 141.

681.

SPIES, 2008, op. cit. ’p. 141.

682.

Public ’ ‘ 193 (x2), ’ ‘ Public ’ ‘ 196.