Dans sa logique du mode mimétique bas, Voici installe ses personnages au niveau des lecteurs et ce mouvement du haut vers le bas est ordonné à partir d’une rhétorique humoristique, dont l’implicite permet de discerner un positionnement politique.
L’humour consiste en une énonciation non-sérieuse mais polyphonique car il porte deux points de vue : l’humoristique explicite et le sérieux implicite.
‘« L’interprétation serait alors le produit d’un raisonnement du type : « Si X a cru bon de dire Y, (humoristiquement) c’est qu’il pensait (sérieusement) Z ».683»’L’humour relève d’un jeu « sur la polysémie des mots qui permet de construire deux ou plusieurs niveaux de lecture »684. L’ironie en est une des marques les plus présentes dans le magazine Voici, mais elle n’est pas la seule. On y retrouve, par ailleurs, l’humour par le jeu sémantique au travers d’énoncés insolites (définis par Charaudeau comme la mise en relation d’univers étrangers l’un à l’autre mais dont le récit établit un rapport685) et de nombreux jeux de mots.
‘« Comme Sophie de la Rochefoucauld (qui a joué dans Cordier, juge et flic et dans PJ), vous pensez que les rôles de Sharon Stone devraient être mieux partagés ? Votez Marie-George Buffet ! »De son côté, l’ironie est une figure de pensées et non de mots : elle mêle procédés linguistiques et procédés discursifs, elle consiste « ‘ à faire entendre le contraire de ce que l’on dit dans le moment même et par l’acte même où on le dit ’ »687. Robert Escarpit met le paradoxe ironique au cœur même de tout processus humoristique, « ‘ par la mise en contact soudaine du monde quotidien avec un monde délibérément réduit à l’absurde ’ »688. ‘ Voici ’ adopte très largement un ton ironique jouant sur la tension entre signifié et signifiant. L’omniprésence de ce mode rhétorique dévoile plusieurs formes d’ironie dans les récits de notre corpus principal, toutes ayant le même objectif : celui de moquer et de dénoncer. L’antiphrase ironique est la forme la plus typique ; elle sert à dire l’inverse de ce qui est signifié tout en amplifiant ce signifié par la ridiculisation de ce qui est dit : « ‘ L’énonciateur dit quelque chose de contraire à ce qu’il pense (c’est l’antiphrase), mais en même temps, il veut faire entendre ce qu’il pense. Il doit donc construire un destinataire idéal qui puisse comprendre que ce qui est donné à entendre est l’inverse de ce qui est dit. Pour ce faire, il fournit au destinataire des indices (ton, mimique, geste) lui permettant d’opérer ce renversement ou cette conversion ’ »689.
‘« La délicatesse de ses [Pascal Sevran] propos sur la sexualité des Africains lui a valu de soulever une polémique à l’échelle internationale »L’hyperbole ironique permet l’exagération et ridiculise l’euphorie rhétorique.
‘« L’avenir de l’immensePascal Sevran dépendra du résultat de l’élection »Il y a, ici, ironie et non sarcasme, au sens où Charaudeau définit ces notions : la première étant positive mais cachant une sanction négative, la seconde, au contraire est une « ‘ hyperbolisation du négatif ’ », un énoncé négatif pour exagérer une sanction négative.
Le ton ironique de ‘ Voici ’ peut être inscrit pertinemment dans notre recherche car il tient, en son creux, deux principes fondamentaux, objets de nos investigations. Le premier installe l’instance d’énonciation dans une position particulière. L’énonciation est une « ‘ instance proprement linguistique ou, plus largement, sémiotique, qui est présupposée par l’énoncé et dont les traces sont repérables dans les discours examinés ’»692. La rhétorique ironique est une trace de cette instance d’énonciation dans l’énoncé : elle débraye une sanction du narrateur sans pour autant débrayer le narrateur.
‘« L’ironie est avant tout une posture énonciative qui se traduit par un écart, un décalage. 693 » ’Ainsi, l’ironie permet de débrayer une posture sans débrayer le sujet de l’énonciation. Le « je », le « nous » ou « Voici » sont absents des récits au contraire d’un « vous » omniprésent. Il y a débrayage de l’énonciataire mais non de l’énonciateur. Pourtant, celui-ci est précisément maintenu par l’ironie et donc dans le débrayage de sa posture énonciative. Cette posture révèle le deuxième principe : celle de la mise à jour d’un écart, d’un décalage, et de sa dénonciation.
‘« Pour qu’il y ait de l’ironie, il faut qu’il y ait une désattente de l’horizon d’attente, ce qui normalement atteint la cohérence du texte; cette désattente n’est jamais gratuite, comme dans le comique, mais vise une dénonciation, notamment aux dépens d’une cible ; cette dénonciation demande une double mise à distance, à savoir d’un côté entre l’énonciateur et la cible de l’ironie, de l’autre entre l’énonciateur et son dit. Ce dernier aspect concerne le jeu polyphonique entre le sujet déictique (locuteur) et le sujet modal (énonciateur) qui critique la cible. 694 »’Il y a une mise à distance qui ne vise pas le rire pour rire mais plutôt une dénonciation par rapport à une cible qu’on veut critiquer et ridiculiser. Dans les extraits cités, nous retrouvons les deux types d’évaluation élaborées par Louis Hébert : évaluation d’assomption et de référence695. Dans le cas du récit « ‘ Sois pas jaloux, Sarko ! ’ » sur le couple Doc Gyneco et Christine Angot696, l’évaluation d’assomption consiste en une évidence : ‘ Ne-pas-pouvoir-ne-pas-être ’ ensemble, une évaluation dénoncée par le narrateur au travers d’hyperboles et d’antiphrases ironiques, dénonçant une manipulation de la part de ces deux peoples : « ‘ A Brives, puis à Paris, Christine et Bruno ont fièrement affiché leurs sentiments, s’embrassant, se serrant l’un contre l’autre. Un vrai miracle, à l’heure où le disque de l’un et le livre de ’ ‘ l’autre peinent à trouver leur public. ’ ». Cette dénonciation en permet une autre : celle de la manipulation médiatique de l’amitié Nicolas Sarkozy/Doc Gynéco.
‘« Oublié le président de l’UMP ? Oui : désormais le rappeur mou est accro à la romancière »‘ Voici ’ dénonce ainsi la mise en scène d’un couple et d’une amitié en niant le ‘ ne-pas-pouvoir-ne-pas-être ’ ensemble:
‘« Elle a peur de ne plus trouver la force d’avancer, il se demande s’il reste des bières dans le frigo. Eblouis par cette fascinante gémellité, ils ont décidé de ne plus se quitter. » 698 ’Dans cet exemple et dans tous les récits de notre corpus, la dénonciation et l’ironie portent sur les actants de narration et ne se font pas aux dépens du lecteur. Le destinataire, débrayé par le « vous », ne constitue donc pas la victime mais le complice, « ‘ appelé à partager la vision décalée du monde que propose l’énonciateur, ainsi que le jugement que celui-ci porte sur la cible. Il est comme un témoin de l’acte humoristique, un destinataire-témoin ’»699. L’utilisation de l’humour chez le magazine ‘ Voici ’ relève de stratégies de séduction, créant une situation de connivence avec le lecteur.
Sous le prisme du dédoublement de l’énonciateur comme narrateur et acteur, la particularité rhétorique de ‘ Voici ’ déploie, dès lors, un chemin vers l’action critique de ce magazine quant au phénomène de peopolisation700, dénonçant‘ « des visions normées du monde en procédant à des dédoublements, des disjonctions, des discordances, des dissociations dans l’ordre des choses ’ »701. A ce stade de notre propos, cependant, nous limiterons notre réflexion sur le ton ironique et humoristique, dans le confinement de l’énoncé, et donc dans la sanction des actions et êtres de papier.
Si chacun des candidats mis en scène subit le ton ironique de Voici, nous remarquons que les identités médiatiques diffèrent et révèlent un ancrage politique du magazine. Ségolène Royal est toujours mobilisée à partir d’un intermédiaire-médiatisant. Elle est mise en scène par ‘ Voici ’ dans deux récits sur Philippe Torreton, puis dans un récit sur le vote people à partir d’Emmanuelle Béart, et enfin une dernière fois, dans l’article « ‘ Le grand n’importe quoi ’ » au travers d’un récit sur Laurent Ruquier. Ségolène n’est donc jamais le sujet d’une performance. Mais deux récits permettent de considérer une certaine identité de Ségolène Royal, son ‘ être-de-gauche ’ et son ‘ être-femme ’ 702 ‘ . ’ Ce dernier est sanctionné positivement par le narrateur : « ‘ Femme au pouvoir, France plein d’espoir ’» ; une sanction renforcée par la comparaison à un autre people énoncé dans un ‘ ne-pas-vouloir-faire ’ pour les pauvres : « ‘ C’est pas Steevy qui aiderait les sans-papiers ! », ’ un people qui sert, à l’inverse, à médiatiser Nicolas Sarkozy : « ‘ Contrairement à Steevy, fan de Sarko ’ ».
Le candidat de l’UMP est mobilisé, dans ‘ Voici, ’ dans sept récits de notre corpus. Il est mis en scène à partir de récits à propos de Johnny Hallyday, Doc Gynéco, Marie Drucker et François Baroin, Pascal Sevran, Steevy, Estelle Denis et Marc-Olivier Fogiel. Toutes ces personnalités permettent au narrateur de construire une certaine image de Nicolas Sarkozy. Ici, nous regroupons les jonctions repérables dans ces discours à propos de Nicolas Sarkozy.
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Nicolas Sarkozy U petite taille
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« Nicolas ? Un gars comme ça. Enfin à peu près grand comme ça… » « A force de le voir avachi, on pensait qu’il n’était pas grand. Ce cliché prouve le contraire : le Doc est un géant » (en légende d’une photo de Doc Gyneco au coté de Nicolas Sarkozy) 704 Nicolas Sarkozy ∩ solidarité « Pas la France des assistés, non plus, mais l’autre qui turbine » « Bien sûr, il n’y aura plus ni hôpitaux, ni école gratuite, mais tout le monde pourra partir à Saint-Barth (en jet pour les millionnaires, en trottinette pour les ouvriers). » « Avec Jojo, fini l’impôt ! » « Pourquoi voter pour lui ? Parce que l’idole des jeunes, qui s’est exilée en Suisse, déteste les impôts. Avec lui, ils seraient donc supprimés ! Résultat, une France en mouvement où chacun peut profiter du bon argent qu’il a gagné » « Hallyday vote Sarko ! » « Pas toujours remis de l’exil (façon bras d’honneur) de Johnny Hallyday. Heureusement, des célébrités attachées au principe de solidarités nationales résistent encore et toujours » 705 Nicolas Sarkozy U manipulation/stratégie de séduction « Grâce à son bon copain de Neuilly, Pascal a évité le chômage » « A France 2, on raconte (…) que l’encombrant personnage ne devrait son maintien qu’à son soutien au candidat Nicolas Sarkozy (…) L’avenir de Pascal Sevran dépendra du résultat de l’élection présidentielle. Pour le meilleur ou pour le pire, c’est selon. » « Nico a accepté de ranger son habit de candidat pour revêtir celui d’homme comme les autres (dans les limites imposées par ses conseillers en communication), jouant le jeu de la politique-spectacle. » « Sois pas jaloux, Sarko ! » (À propos de la mise en visibilité de Doc Gyneco par Christine Angot) 706 |
La disjonction entre Nicolas Sarkozy et la solidarité comme la jonction entre la manipulation et ce même candidat sont sanctionnées négativement par le magazine ‘ Voici ’. Il y a donc une construction d’une image négative de Nicolas Sarkozy alors que Ségolène Royal est dotée d’un ‘ pouvoir-faire ’, tout comme François Bayrou, mobilisé à partir des personnalités : Patrick Sébastien et Alain Duhamel.
Ainsi, dans la comparaison entre les trois candidats à l’élection présidentielle mis en scène, nous remarquons une focalisation plus importante sur Nicolas Sarkozy, mais toujours dans des sanctions négatives du candidat. Une position politique du narrateur apparaît : celle qui est de ‘ ne pas soutenir ’ Nicolas Sarkozy et de produire une image négative du candidat de l’UMP. Sous couvert d’insolences et de moqueries, se révèle donc un sérieux implicite, attribuable à une ligne éditoriale engagée non pas dans la mise en avant ou le soutien d’un programme ou d’une personnalité mais dans la critique d’un candidat : Nicolas Sarkozy. Le seul autre candidat de droite mis en scène par Voici est Philippe De Villiers. Il subit une sanction franche par le narrateur des récits :
‘« Comme Patrice Rio (footballeur un peu connu en 1982), vous avez peur des barbus, votez Philippe De Villiers »707.’Si cette sanction corrobore un ancrage à gauche, l’énoncé est trop court pour généraliser et conclure sur une position politique à gauche. Mais la mise en scène de Nicolas Sarkozy dévoile, pourtant, un engagement personnifié, ou, ici, un engagement à l’encontre d’une personne. Intervient alors une hypothèse de recherche que nous investirons en conclusion :
‘Les lignes éditoriales repérées de gauche déploieraient une attitude critique face au phénomène de peopolisation. ’‘ Voici ’, au travers de récits anti-sarkozystes rejoint-il les lignes éditoriales dites « de gauche » dans sa construction de la peopolisation ?
CHABROL, C., « Humour et Médias. Définitions, genres et cultures », ‘ Questions de communication ’, 10, 2006, p. 10.
CHARAUDEAU, P., « Des catégories pour l’humour ? », ‘ Questions de communication ’, 10, 2006, p. 32.
Ibid. p.34.
Voici 1014 (x3), Voici 1009, Voici 1005, Voici 998
BERRENDONNER, A., Éléments de pragmatique linguistique, Paris : Éd. de Minuit, 1981, p. 216.
ESCARPIT, R., L’Humour, Paris : PUF, coll. Que sais-je, 1987, p. 115.
CHARAUDEAU, 2006, op. cit. p. 28.
Voici 1009, Voici 998, Voici 993.
Voici 1009, Voici 993, Voici 1001, Voici 1009.
COURTES, 1991, op. cit. p. 246.
JAUSS H.-R., Pour une esthétique de la réception, Paris : Gallimard, 1978, p.6.
RAUS, R., « L’ironie à l’épreuve des textes : vers une définition empirique de cette notion », ‘ Bouquets pour Hélène : Formes et représentations de l'ironie et de l'humour ’, 2007. [En ligne : http://publifarum.farum.it/ezine_articles.php?id=40]
HEBERT, 2006, op. cit. [En ligne] : La première révèle le classement des valeurs qui justifie le faire et ordonne l’être des actants de narration, la seconde permet au narrateur de sanctionner les actants de narration et d’infirmer ou confirmer l’évaluation d’assomption. Le narrateur, dans ce cas là, devient le juge de la conformité des actions par rapport à l’axiologie de référence engagée par le Destinateur du schéma narratif.
Voici 993.
Voici 993.
Voici 993.
CHARAUDEAU, 2006, op. cit.p. 23.
Le déplacement de notre considération du récit comme narration vers le récit comme action, en conclusion, reprendra cette spécificité de ce magazine people dans la performance de la peopolisation.
CHARAUDEAU, 2006, op. cit.p. 24.
Voici 1005, Voici 1014.
Notons que Voici est le seul titre people à évoquer ou mettre en scène la taille de Nicolas Sarkozy.
Voici 1014, Voici 1001.
Voici 1001, Voici 1014 (x3), Voici 1001.
Voici 1009 (x2), Voici 1008, ‘ Voici ’ 1001.
Voici 1014.