V. 3. 3. Gala : la glorification de la simplicité et de l’élégance.

Si‘ Closer ’est le seul titre du mode mimétique bas à se saisir de la campagne comme contexte d’émergence de pratiques et de discours des hommes politiques dont il rend compte et qui lui servent pour médiatiser un candidat sans le recours d’un « intermédiaire médiatisant », c’est aussi le cas, dans le mode mimétique haut, de ‘ Gala ’, ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’. Pourtant, ‘ Closer ’ et ‘ Gala ’ se différencient de ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’ par la place accordée au monde civique dans leurs récits.

Lors de la campagne présidentielle, ‘ Gala ’ met en scène les candidats avec un intérêt porté, à la fois, à l’intimité de l’homme politique et à son apparence. Parmi les douze articles figurant dans notre corpus, deux sont consacrés à l’apparence, six sont des « immortelles de campagne », deux focalisent leur attention sur un candidat, un à un couple et le dernier à Nicolas Sarkozy élu. ‘ Gala ’ est le seul à consacrer un article à un des petits candidats : José Bové. Bien que les quatre candidats les plus importants tiennent une large part dans ces articles, la place accordée aux petits reste proportionnellement importante.

Liste des candidats mobilisés dans les récits de Gala.
Gala ’703 ‘ «  ’Nuit Glamour à l’Elysée ‘ » : ’Nicolas Sarkozy‘
Gala ’ 711‘ «  ’Qui est le plus riche ? Les candidats révèlent leur patrimoine‘  »  ’: Tous sauf Olivier Besancenot, Gérard Schivardi et Frédéric Nihous
Gala 711 « Ségolène et François » : Ségolène Royal
Gala ’713‘ «  ’Cécilia et Nicolas Sarkozy - leur pacte intime : cinq clés pour comprendre leur couple‘  » : ’Nicolas Sarkozy
Gala ’714‘ «  ’Royal look‘  » : ’Ségolène Royal‘
Gala
’716‘ «  ’Fils et filles de politiques : Ont-ils attrapés le virus ?‘  » : ’Dominique Voynet, François Bayrou, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, Jean-Marie Le Pen‘
Gala
’717‘ «  ’José Bové : son nid dans le Larzac‘  »  ’: José Bové‘
’ ‘ Gala ’718‘ «  ’Salon de l’agriculture : à chacun sa campagne ! ‘ » : ’Jean-Marie Le Pen, François Bayrou, Marie-George Buffet, Philippe de Villiers, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy
Gala ’720‘ «  ’François Bayrou. Mais pourquoi plait-il tant aux français ?‘  » : ’François Bayrou
Gala ’722‘ «  ’Mon père, mon drame… ‘ » : ’Jean-Marie Le Pen, François Bayrou, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, José Bové
Gala ’723‘ «  ’Ce que révèle leur visage ‘ »  ’: Tous.‘
Gala
’725‘ «  ’Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal démasqués par leur écriture‘  » : ’Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal‘
Gala
’726‘ «  ’Nicolas Sarkozy Président‘  » : ’Nicolas Sarkozy

Cette présence des petits candidats s’explique en partie par le crédit accordé aux personnages politiques ; leur grandeur suffit à leur reconnaissance par Gala qui n’a pas besoin d’intermédiaire médiatisant. Ils sont les personnages principaux des récits. Cependant, ce n’est pas l’acteur politique qui est mobilisé mais l’être issu du monde domestique et du monde de l’opinion. Le seul récit consacré à une activité politique s’étend sur la visite des candidats au salon de l’agriculture719. Le narrateur se saisit de l’évènement pour différencier deux types de compétences : le savoir-être et le vouloir-faire. La première est l’apanage des personnages conjoints de sincérité ; c’est le cas, dans ce récit, de François Bayrou et Jacques Chirac. La seconde est celle du parcours thématique de la manipulation.

‘« C’est l’histoire d’une bête des médias et d’un petit chevreau. Venu aux aurores – pour copier son rival François Bayrou – Nicolas Sarkozy a également assisté à la traite des vaches. »720

Les récits de Gala contiennent presque toujours un parcours polémique pris entre manipulation, sincérité et humilité. La simplicité dans le monde domestique et la sincérité comme l’humilité dans le monde de l’opinion figurent, dans cet hebdomadaire, comme le ferment du caractère extraordinaire. Ainsi, les récits sur François Bayrou et José Bové insistent sur le ‘ savoir-être ’ de ces deux candidats.

‘« Bayrou (prononcer « baillerou »), c’est l’homme qui prend son temps et qui a de la terre à ses souliers »
« Le couple, dont les six enfants ont quitté le nid familial, apprécie le calme de son tête-à-tête du week-end. ici, les repas se déroulent toujours  à la bonne franquette »
« Sans doute le côté agrégé de lettres (…) et la simplicité apparente de sa vie familiale sont aussi de nature à rassurer. »
« Sa femme (…) reste discrète (…) et quand madame ne veille pas sur sa tribu de onze petits-enfants, elle s’adonne à la méditation ou plonge avec délice dans la prose de Rabelais. »
« C’est une maison au sommet de la colline, on y parvient à pied, au bout d’un sentier caillouteux, et celui qui habite là s’appelle José. Campé bien droit dans de vieilles charentaises, pipe au bec, l’homme arbore un large sourire. »
« Tandis que le poêle à granulés de bois diffuse une bonne chaleur, que Ghislaine mitonne un petit gratin à la tome de brebis, José se triture les neurones pour sauver le monde. »721

La sanction positive se tient dans une adéquation entre un être simple du monde domestique qui devient un être sincère et humble dans le monde de l’opinion, trois attributs psychologiques débrayés comme relatifs à l’être. Pour l’humilité et la sincérité, seul l’être est de rigueur : si le candidat était le sujet de faire pour sa propre conjonction avec de tels attributs, ceux-ci serait alors démentis comme relevant de l’ordre de la manipulation : On ne fait pas l’humble ou le sincère, on l’est.

‘« Mais c’est ici et maintenant, dans son humble quotidien que notre guerrier moustachu puise sa force »
« Et si la force tranquille de cet éleveur de pur sang était, finalement, le ticket gagnant ? »
« Alors, Bayrou, candidat idéal ? (…) jusqu’au bout, il en restera persuadé : « Dans cette campagne, les française cherche l’autre. Et je suis l’autre. » (Fin de l’article)722

Cette glorification de la simplicité et de la sincérité se retrouve, par ailleurs, dans une référence à Astérix, dans les deux portraits.

‘« Les français raffolent de ces Astérix qui défient les légions romaines » (A propos de François Bayrou)
« Et pour cela, l’Astérix des Causses n’hésite pas à retrousser ces manches » (A propos de José Bové) 723

Le ‘ savoir-être ’ dans le monde domestique et dans le monde de l’opinion s’oppose donc au ‘ vouloir-faire ’ du monde de l’opinion, à la manipulation.

‘« Entre Nicolas et Cécilia d’une part, Ségolène et François d’autre part, François et Babet offrent au pays l’image d’un couple apaisé »
« Ce n’est pas lui qui irait confesser aux médias ses déboires conjugaux. » 724

Ce parcours polémique entre ces candidats sincères et les autres est aussi présent dans le récit sur le couple Sarkozy mais ce de manière originale : le couple Sarkozy incarne successivement les manipulateurs et les êtres sincères. Il est le manipulateur dans un premier parcours narratif mais leur conjonction avec la manipulation agit comme un programme narratif d’usage pour la disjonction entre les deux personnages dans le monde domestique. La rupture du couple sanctionne négativement ce premier parcours et, en même temps, constitue la rupture du récit :

‘« Le Président de l’UMP consacre désormais plus de temps et d’attention à sa famille » 
« Fini la langue de bois, Place à l’humilité des mots ! »
« Le couple Sarkozy s’expose différemment »725

Cette rupture dans le cours du récit permet alors un second parcours où cette fois, le couple est disjoint des médias et de l’ambition et conjoint dans le monde domestique, comme si, finalement, le couple ne pouvait être réuni si chacun de ses membres l’étaient avec la manipulation726.

La simplicité dans le monde domestique est garante de la sincérité et de l’humilité dans le monde de l’opinion. Ce déplacement légitime la focalisation de cet hebdomadaire sur la vie privée et l’intimité des candidats à l’élection présidentielle et paradoxalement, insiste sur le caractère extraordinaire des personnages.

‘« Le comble de la grandeur est l’exquise simplicité.727 »’

L’extraordinarité des personnages de ‘ Gala ’ atteint son paroxysme quand celle-ci est construite sur l’humilité et la discrétion. Le piédestal se construit donc sur un mouvement. La simplicité dans le monde domestique est déplacée vers une double figure dans le monde de l’opinion : celle de la sincérité et l’humilité. L’investigation dans le monde domestique permet la vérification de l’adéquation entre ce qui est dit et ce qui est fait, entre ce qui est et ce qui parait.

‘« « Et dans la tempête et le bruit, la clarté reparaît grandie. » Le temps n’a décidément aucune prise sur le génie de Victor Hugo »728

Cependant, il est un faire dans le monde de l’opinion qui trouve grâce dans Gala, celui de la beauté :

‘« Les adorateurs exigent d’elle [la star] simultanément la simplicité et la magnificence. L’une ne va pas sans l’autre.729 »’

Deux récits se concentrent sur la question de la beauté ou plutôt de la beauté fabriquée, comme celle qui relève plus de l’apparat que du corps naturel.

Gala ’ 703 « Nuit Glamour à l’Elysée » 
Gala ’ 714 « Royal look »

Fidèle à sa ligne éditoriale, ‘ Gala ’ emprunte des principes de la presse féminine à partir de la sublimation du corps et d’un intérêt porté à la mode. Dans le premier article, l’hebdomadaire décrit la soirée de l’Elysée pour le roi du Cambodge et s’intéresse tout particulièrement aux tenues de Cécilia Sarkozy et Bernadette Chirac. L’élégance de Cécilia Sarkozy devient un critère de compétence à ‘ pouvoir-être ’ première-dame. Cette élégance devient celui de la compétence de ‘ pouvoir-être ’ présidente pour Ségolène Royal dans le second récit.

‘« L’épouse du ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, faisait très  première dame  dans sa robe bleu nuit griffée Prada »
«  La Royal, comme la surnomment les Italiens, reste l’indétrônable souveraine en matière d’élégance. Et contre cela, les costumes Ralph Lauren et les chemises Eden Park de Nicolas Sarkozy ne peuvent rien. Pour l’instant… »730

Dans ce dernier récit, le narrateur devient l’adjuvant à la conjonction de Ségolène Royal et de l’élégance puisque le récit est installé comme s’il s’adressait directement à la candidate pour lui prodiguer « ‘ nos conseils fashion et nos accessoires pour qu’elle reste au top ’ ».

‘« Ségolène assure en manteau beige Gérard Darel. Mais pour une silhouette urbaine printanière, pourquoi ne pas oser le trench ceinturé sur des leggings ? »
« En tailleur Paule Ka, Ségolène rassemble les foules. Mais si elle devient présidente, une robe manteau griffée et quelques accessoires graphiques s’imposent. »731

Mais, de l’adjuvant pour la conjonction entre Ségolène Royal et l’élégance dans le programme narratif de base, le narrateur devient le Destinateur pour le programme narratif visé où Ségolène Royal est conjointe du statut de présidente.

‘« La star n’est pas seulement idéalisée par son rôle : elle est déjà, du moins en puissance, idéalement belle. Elle n’est pas seulement magnifiée par son personnage, elle le magnifie. Les deux supports mythiques, le héros imaginaire et la beauté de l’actrice, s’interpénètrent et se conjugue.732 »’

La grandeur selon ‘ Gala ’ se définit donc dans un rapport étroit entre monde domestique et monde de l’opinion. Si le premier doit apparaître comme simple et harmonieux pour être sincère, il ne peut être trop exploité par le personnage lui-même au risque de passer de la figure de l’homme sincère et humble au manipulateur. Mais cette monstration est cependant nécessaire à la grandeur quand elle reste confinée dans le monde de l’opinion au travers du corps qui est moins là pour cacher que pour instituer la grandeur. Le corps devient la parure pour signifier le caractère extraordinaire, la grandeur dans le monde de l’opinion.

‘« La beauté archétype de la star retrouve le hiératisme du masque ; mais ce masque est parfaitement adhérent, il s’est identifié au visage, confondu avec lui.733 »’

Ainsi, le monde de l’opinion se révèle négatif s’il influence ou se joue du monde domestique, mais il est, en même temps, glorifié comme incarnation de l’extraordinarité des personnages, comme si finalement la sincérité et l’humilité matérialisaient l’écart entre séduction et manipulation.

Gala ’ accorde aux candidats à l’élection présidentielle un statut légitime pour figurer au cœur de ses récits, mais leur visibilité, si elle est issue originellement du monde civique, est investie au prisme de son rapport au monde domestique. ‘ Gala ’ se rapproche ainsi de ‘ Closer ’en permettant aux hommes politiques d’être les personnages principaux de ces récits mais ce exclusivement par le déplacement de leur identité dans le monde domestique et le monde de l’opinion. Ces deux titres, parallèlement, se saisissent de faits survenus de la campagne comme objet de leur traitement, la campagne ne figure pas simplement comme période mais y est un contexte d’émergence de discours et de pratiques. Ce traitement est amplifié dans les hebdomadaires ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’.

Notes
719.

Gala ’718

720.

Gala 718

721.

Gala 720 (x4), Gala 717.

722.

Gala 717, Gala 720 (x2).

723.

Gala 720, Gala 717.

724.

Gala 720 (x2).

725.

Gala 713.

726.

Nous reviendrons plus précisément sur ce double parcours lors de l’analyse de l’identité médiatique de Nicolas Sarkozy (Chap. VI), en soulignant une attitude ambigüe de la part de ce narrateur.

727.

MORIN, E., Les stars, Paris : Galillée [édition illustrée], 1984, p. 72.

728.

Gala 711, Gala 713

729.

MORIN, 1984, op. cit. p. 72.

730.

Gala 703, Gala 714.

731.

Gala 714 (x2)

732.

MORIN, 1984, op. cit. p. 52.

733.

Ibid. p. 57.