VI. 1. 1. La grandeur des candidats.

Douze candidats s’affrontent en 2007. Et pourtant, ces candidats ne sont pas tous médiatisés de la même manière et avec la même ampleur. Cette médiatisation les renvoie à leur grandeur, à la fois dans le monde de l’opinion et dans le monde civique. Le concept de ‘ grandeur ’, repris à Boltanski et Thévenot, permet d’identifier ce qui est ‘ grand  ’et ce qui est ‘ petit ’ dans le monde étudié. En effet, face au ‘ principe supérieur commun ’, certaines actions et attitudes sont perçues comme valorisées donc ‘ grandes ’ et inversement pour ce qui est ‘ petit777. La désignation par la grandeur se retrouve dans notre corpus.

‘« Olivier Besancenot, le plus gros des petits »
« Il y a pourtant de petits partis qui portent de grandes idées et de grands partis qui sont paresseux »
« Pourtant, chez les petits, l’espoir demeure… » 778

Le principe du monde civique est celui du collectif fondé sur la forme de la représentation la plus générale. L’état de petit se définit dans son isolement, son particularisme. Ainsi, dans le monde civique, l’état de grandeur des candidats différencie petits et grands par rapport à leur potentiel électif et représentatif. Dans le monde de l’opinion, est grand celui qui est re-nommé et re-connu. La distinction entre les candidats dans le monde de l’opinion tient ainsi dans le potentiel médiatique des candidats. Nous trouvons des petits et des grands candidats et la grandeur d’un candidat dans le monde civique recouvre largement celle dans le monde de l’opinion779.

Nous distinguons quatre types de candidats en fonction de leur grandeur. Nous nous servons avant tout de cette typologie pour considérer la traduction de la grandeur des candidats dans notre corpus mais cette typologie n’est pas fermée : certains candidats oscillent entre les grandeurs en fonction des énoncés ou des critères mobilisés. Un premier critère de classement relève de l’attribution dans le monde civique de compétences actualisantes positives, inhérentes à l’accession au second tour et au statut de président de la République. Le second critère n’est pas contenu dans le récit mais se saisit dans l’énonciation, par la mise en scène ou pas, du candidat ; mise en scène qui dévoile des différences de visibilité.

Dans notre étude,  Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal sont incontestablement les grands : ils sont présidentiables et sont les deux plus visibles. A leur suite, il y a les candidats « moyens » : François Bayrou et Jean-Marie Le Pen. Leurs grandeurs sont moins évidentes que celles de leurs prédécesseurs. François Bayrou accède, dans de nombreux récits, au statut de grand et de présidentiable alors que Jean-Marie Le Pen n’est considéré que, dans un seul récit, comme capable d’atteindre le second tour. Leur visibilité est moins forte que celles de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal dans la période précédent le verdict du premier tour, bien que celle de François Bayrou soit plus importante que celle de Jean-Marie Le Pen. Puis, il y a les petits candidats : Olivier Besancenot, Marie-George Buffet, Arlette Laguiller, Dominique Voynet, José Bové et Philippe de Villiers. Leur potentiel électif est nié, tout comme celui d’arriver au second tour : leur visibilité suit cette incompétence et est restreinte. Si, au regard des compétences installées dans les récits, il est tentant de classer Jean-Marie Le Pen dans cette dernière catégorie, les « immortelles de campagne » interdisent une telle identification. En effet, relevant souvent d’un traitement collectif, ces immortelles produisent explicitement des groupes selon la grandeur accordée aux candidats. Or, Jean-Marie Le Pen est souvent mis en scène aux côtés de François Bayrou, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, ce qui lui octroie une visibilité plus forte que les petits candidats. Autre cas particulier, celui de José Bové : il est le seul petit candidat auquel un récit est consacré. Pourtant, une fois encore l’importance de sa visibilité dans l’ensemble du genre people le ramène au groupe des petits. Enfin, restent les « minuscules » - Frédéric Nihous et Gérard Schivardi – dont la renommée et la visibilité sont encore plus faibles que celles des petits.

L’impossibilité d’accéder au second tour réunit les « minuscules » et les petits candidats.

‘« Même si huit d’entre eux savent depuis longtemps, que leur aventure politique, dans cette présidentielle, sera terminée avant que la nuit tombe »780

Mais ce qui distingue les minuscules des petits, c’est l’impossibilité d’une influence. Gérard Schivardi et Frédéric Nihous n’ont aucune compétence élective ni au premier ni au second tour et, par ailleurs, ils ne sont dotés d’aucune compétence politique qui pèserait dans le système ou dans la campagne, ce qui est le cas pour les petits :

‘« Elle gagnera plus de sièges de député à l’assemblée en 2007. Après la présidentielle, les législatives s’enchainent » (au sujet de Dominique Voynet)
« Du coup, l’ensemble des petits partis (…) fait bloc derrière la championne socialiste. (…) Comme ses camarades, le candidat de la LCR a appelé à « battre la droite dans la rue et dans les urnes ». »781

Cette distinction par la grandeur se révèle importante dans notre corpus étant donné l’omniprésence des grands candidats. La presse people présente des êtres jugés assez extraordinaires pour mériter d’être mis en scène dans les récits médiatiques, mais aussi devenant extraordinaires parce qu’ils sont, justement, visibles, connus et reconnus, du fait de leur médiatisation. La grandeur du monde de l’opinion est celle qui compte et qui figure comme logique de médiatisation dans la presse people. Cette grandeur est autopoïétique puisqu’elle surinvestit les grands candidats par rapport aux autres.

Notes
777.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p. 177.

778.

VSD ’1548, ‘ La Croix ’ du 16/04/07, VSD 1536.

779.

Pour ‘ Paris-Match ’, la petitesse des candidats influe, par ailleurs, sur le monde domestique. « C’est pour les petits candidats que le rythme de la campagne est plus éprouvant, car elle est moins confortable. Tous se plaignent du manque de sommeil » (Paris-Match 3020) Ainsi, Frédéric Nihous « se ‘ shoote au café (…) et doit ’« prendre sur soi » » tandis que Philippe de Villiers mange « ‘ des bananes et des oranges ’ ». La petitesse civique et de l’opinion devient une faiblesse du monde domestique.

780.

Paris-Match 3023.

781.

VSD 1531, VSD 1548.