VI. 1. 2. Le genre des candidats.

Le monde civique est basé sur le mode de la représentation au sens symbolique. Le corps, entendu comme partie matérielle d’un être animé, n’existe pas. C’est l’espace d’indistinction des sujets. Ce monde ne s’attache pas à des personnes humaines mais à des personnes collectives qu’elles composent par leur réunion. Une campagne présidentielle figure comme l’épreuve typique du monde civique et le scrutin est le mode de jugement. Comment interroger alors le masculin et le féminin dans des considérations tournées idéellement vers le monde civique, espace de l’indistinction ? La question du genre des candidats impose de considérer la campagne présidentielle non pas dans l’unicité d’un monde – monde civique – mais dans la coprésence, dans la complexité d’un mélange de mondes – monde de l’opinion, monde domestique et, bien sûr, monde civique. Nous retrouvons ici un des intérêts de notre étude.

Si le genre est une construction sociale, il intervient, dans les récits, comme un rôle thématique, c'est-à-dire comme une représentation, sous forme actantielle, d’un thème. Interroger le genre dans la construction des identités médiatiques des candidats à l’élection présidentielle revient à investir les traductions différenciées des identités sexuées des candidats. Ces traductions portent à la fois la parole du candidat comme celle de son sexe, permettant ou pas de l’instituer dans sa féminité ou virilité. Quatre femmes et huit hommes sont candidats à l’élection présidentielle. Pourtant, l’être-homme ou l’être-femme, la virilité ou la féminité, ne sont pas des rôles toujours exploités dans leur identité médiatique. Dans notre corpus, la différenciation genrée des candidats se retrouve lors de trois parcours thématiques : celui de l’incarnation, du relationnel et du combat782. Le genre dans le parcours thématique de l’incarnation se définit dans la confrontation de deux corps : un corps-spectacle, produit de déterminants artificiels, et un corps naturel, faits de déterminants naturels tels que la taille, la carrure, l’âge et le sexe783. Le premier se définit dans le monde de l’opinion : le corps y est un objet de visibilité et un médiat de l’identité, tandis que le second est rattaché au monde domestique, l’espace de l’être. Parallèlement, c’est par l’installation des candidats dans le monde domestique que se découvre le genre dans le parcours thématique du relationnel, dévoilant les candidats dans leurs relations à leur conjoint, leurs enfants ou leurs parents. La grandeur est construite ainsi dans le monde domestique où le sexe et l’âge dévoilent, entre autres, la légitimité et l’autorité, définies comme respectivement subjective et traditionnelle. La symbolique de la féminité investit plusieurs formes : les plus courantes sont celles de la mère, de l’épouse et de la faiblesse qui la définissent comme plus petite que l’homme. La référence au couple, ou plus exactement la compétence attribuée aux êtres du couple, conforte la figure féminine de dominée. Cette référence dévoile une soumission imposée aux femmes quant à leur statut et rôle dans le couple784. Enfin, le parcours thématique du combat, et plus particulièrement la figure de la guerre incarnée par la campagne présidentielle, instaure une différenciation genrée des candidats dans leur capacité à faire la guerre ou à combattre, deux performances qui ont valeur d’épreuve de la virilité785, une figure qui redonne à l’espace public, au sens habermassien du terme, son empreinte masculine.

Nous reviendrons sur ces manifestations du genre au travers de l’identité médiatique de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy. Parmi les femmes candidates, Ségolène Royale est très largement mobilisée tandis que les autres candidates ne le sont que très peu. Bien que ce biais n’en soit pas un parce qu’il est un élément typique de ce type de presse, nous ne pouvons faire l’économie de préciser que l’image de la femme politique dans la presse people a été principalement incarnée par Ségolène Royal lors de cette campagne présidentielle. Nous verrons, cependant, que le personnage de Cécilia Sarkozy, par sa condition de femme et de potentielle première-dame, participe à l’image de la femme politique.

Notes
782.

Ces parcours ont tous été déjà évoqués dans les chapitres précédents, au travers de notre répertoire, de l’investigation de VSD comme porte-parole et des « immortelles de campagne ».

783.

Ces déterminants peuvent être artificiels après modifications chirurgicales, à l’exception de l’âge. Pourtant, nous partons du postulat que ces déterminants sont naturels, et donc de naissance, pour les candidats.

784.

FREEDMAN, J., Femmes politiques: mythes et symboles, Paris: L’Harmattan (Collection logiques politiques), 1997, p.150.

785.

MOSSE, G., L’image de l’homme : L’invention de la virilité moderne, Paris : Editions Abbeville, 1997, p. 33.