VI. 2. 2. Jean-Marie Le Pen.

Jean-Marie Le Pen est un candidat dit moyen selon l’ordre de grandeur du monde civique et du monde de l’opinion. Il apparaît souvent au titre de cette grandeur au côté de Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou. Pourtant, l’identité médiatique de François Bayrou comme troisième homme focalise, par ailleurs, de nombreux récits sur une présidentielle à trois, récits qui ignorent alors Jean-Marie Le Pen.

‘« Sarko, Ségo, Bayrou : la guerre des trois. »822

Comme nous le verrons, François Bayrou oscille entre le statut de grand et de moyen candidat, laissant la visibilité de Jean-Marie Le Pen derrière. Mais la grandeur de Jean-Marie Le Pen est justifiée, par ailleurs, par son identité médiatique. Les trois figures dominantes, dans notre corpus, dévoilent un homme fatigué, un homme violent ou agressif et un homme blessé. Ces trois qualifications principales installent le candidat FN dans une impossibilité d’être au second tour. C’est donc au prisme du monde de l’opinion que sa grandeur se maintient quelque peu dans notre corpus. Sa mise en scène aux côté des trois autres grands candidats lui attribue une grandeur supérieure à celles des petits candidats, bien qu’il les rejoigne par son incompétence à faire dans le monde civique. Un seul récit lui accorde un pouvoir-faire dans le monde civique et donc la possibilité d’atteindre le second tour, Mais cette possibilité est déployée à partir du 21 avril 2002 et non pas dans un pouvoir-faire relatif au candidat823. Finalement, seuls des attributs du monde domestique sont adjuvants pour une compétence dans le monde civique. Ils sont les blessures de l’enfance, la fatigue et l’agressivité du candidat. Le premier construit sa volonté dans le monde civique et le renvoie à un traditionalisme et un attachement à ses racines, à ses origines.

‘« A 14 ans, il devient pupille de la nation. Entrer en politique a été sa façon de prendre sa revanche sur la vie »
« Devenu pupille de la nation, le futur leader du FN puise dans son nouveau statut sa fougue nationaliste »
« Jean-Marie se montre encore à la Toussaint, où il se recueille sur la sépulture de ses aïeux. Aujourd’hui, Le Pen ne manque jamais d’exhiber sa fierté bretonne et ses souvenirs douloureux d’ « orphelin de la guerre » 824
Figure 42: Identité médiatique de Jean-Marie Le Pen
Figure 42: Identité médiatique de Jean-Marie Le Pen

Les autres attributs servent à assoir l’impossibilité du candidat à accéder au second tour de l’élection présidentielle. Le parcours thématique de la violence et de l’agressivité constitue un élément primordial dans l’identité médiatique du candidat. Il est une constante sur l’axe syntagmatique de son identité825. Il consiste en un comportement violent de l’enfant Jean-Marie Le Pen dans le monde domestique.

‘« « Jean L’Pen » n’a pas laissé que des bons souvenirs. « Il n’arrêtait pas d’embêter les filles, les malmenait parfois, c’était un garçon violent » (…) Les hommes de la commune parlent eux plutôt d’un adolescent turbulent à la tête dur (…) « Une sacrée teigne aussi, avec le coup de poing facile ». »826

Dans le monde de l’opinion, l’insulte comme performance et des descriptions d’atmosphères angoissantes pour l’interlocuteur face au candidat servent à épaissir l’image de l’homme violent et agressif. Il est le « ‘ roi de l’insulte ’ » avec une « ‘ langue acide ’ »827 dont la « ‘ verve lui a longtemps tenu de programme ’ » ; il est « ‘ le diable  ’» qui place ses interlocuteurs sur « ‘ des charbons ardents ’ » dans « ‘ l’appréhension ’ » et « ‘ l’inquiétude ’ », il est « ‘ un géant massif et sanguin ’ » accompagné de « ‘ deux dobermans qui semblent rouler dans leurs yeux des envies ’ ‘ de meurtre ’ », de « ‘ deux molosses immobiles (…) comme s’ils ne se résignaient pas à être frustrés de leur proie ’ »828. La violence de Jean-Marie Le Pen, quand elle est signifiée comme auxiliant829, intervient comme opposant à son ‘ pouvoir-faire ’ dans le monde civique et plus précisément, à son ‘ pouvoir-être ’ au second tour de la présidentielle.

Mais une compétence de ‘ savoir-faire ’ vient contredire cette agressivité dans le monde de l’opinion. Pourtant confinée dans ce monde, elle révèle un paraître qui ne nie pas, pour autant, la figure de l’homme violent. Il « ‘ donne son meilleur profil ’ », « ‘ son propos s’arrondit ’ » 830, et étoffe ainsi un paraître plus doux quoique compatible avec l’être agressif. Jean-Marie Le Pen est rarement inscrit comme le Destinateur de ce paraître. Jany Le Pen est le Destinateur informé. Son épouse, comme sujet du monde domestique, le conjoint avec un savoir-faire du monde de l’opinion, mais celui reste aux confins de son monde et n’atteint jamais le monde civique.

‘« Elle joue son rôle d’épouse et de collaboratrice avec tact. Peu à peu, elle a métamorphosé le « menhir » en un septuagénaire d’apparence moderne. Costume mieux coupé, cravate à la mode, nouvelles lunettes, il s’efforce, grâce à elle, d’avoir le look d’un papy assagi »
« Jany l’a aidé à choisir sa cravate rouge et la pochette assortie, parfaite avec le costume crème, la chemise bleue et les mocassins marrons »’ ‘« La veille, il rêvait encore d’un 21 avril bis en choisissant son costume avec sa femme Jany. » 831

Enfin, la fatigue est le résultat d’un état issu du monde domestique, celui d’un corps âgé. Le monde domestique est l’espace de l’être. Le sexe et l’âge dévoilent, entre autres, la légitimité et l’autorité, définies respectivement comme subjective et traditionnelle832. Le corps y est décrit à partir de déterminants naturels. L’âge de Jean-Marie Le Pen devient le foyer de sa fatigue et l’opposant à son pouvoir-faire et à son pouvoir-être au second tour.

‘« Le corps est fatigué, à presque 79 ans »
« Le vieux chef du FN »
« Le doyen de la campagne, Jean-Marie Le Pen, bientôt 78 ans, profite de ses insomnies pour lire »833

Mais la fatigue ajoutée à son échec le 22 avril 2007 devient alors l’adjuvant pour sa retraite et pour sa résignation.

‘« Le Pen tire, bien malgré lui, sa révérence »
« Avant de se résigner, peut-être, à quitter le gouvernail du Paquebot.»
« Pour Le Pen, ce soir, le champagne à un goût amer et le goût de l’adieu »
« Fini de rugir, cette campagne est sans doute pour lui « la der des ders » »834

L’identité médiatique qui se dessine dans notre corpus de presse people dévoile un candidat dont la visibilité construit une certaine grandeur dans le monde de l’opinion et le monde civique, mais est contredite par sa mise en discours. Il est un homme fatigué et agressif, trahi par son corps et son âge, qui le laissent dans une impossibilité d’action dans le monde civique.

Notes
822.

VSD 1542.

823.

Ici-Paris 3221.

824.

Gala 722 (x2), VSD 1543.

825.

Cf. Figure n°42, page précédente.

826.

VSD 1543

827.

VSD 1547.

828.

Paris-Match 3007.

829.

Le terme d’auxiliant est un terme neutre qui subsume, à la fois, l’adjuvant et l’opposant.

830.

Paris-Match 3007

831.

Paris-Match 3014, Paris-Match 3020, VSD 1548

832.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, ‘ op. cit. ’ p. 213.

833.

VSD 1547, VSD 1531, Paris-Match 3020.

834.

VSD 1548 (x2), Paris-Match 3020 (x2).