VI.2.3.2. Un défaut communicationnel qui devient preuve de sincérité.

[Figure 44 : Carrés sémiotiques des compétences actualisantes et virtualisantes dans le monde de l'opinion]
[Figure 44 : Carrés sémiotiques des compétences actualisantes et virtualisantes dans le monde de l'opinion]

Le monde de l’opinion intervient dans l’identité médiatique de François Bayrou à partir de compétences modales qui le distinguent des autres candidats et de figures qui, malgré des rapports de grandeur et des relations naturelles hétérogènes, voire contradictoires, répondent aux figures déployées dans le monde domestique.

La vie simple, familiale, rurale du fils de paysan est largement mise en récit dans notre corpus. Sa médiatisation projette cette définition de la vie du candidat hors de son monde d’origine pour la construire dans l’ordre du paraître et de l’apparence. Pourtant, l’identification des destinateurs de communication, débrayés ou non dans le récit comme des Destinateurs de la visibilité, empêche la projection et confine les parcours thématiques du monde domestique dans celui-ci. En effet, les narrateurs des récits nient le déplacement de ces parcours thématiques dans le monde de l’opinion, comme s’il y avait deux façons d’être visibles : une visibilité stratégique et une visibilité qui va de soi. La première relève d’une visibilité dont les Destinateurs sont les acteurs politiques alors que la seconde est celle dont les Médias sont les Destinateurs. Si la première peut-être dénoncée par les narrateurs des récits, la seconde va de soi ; l’identité du narrateur empêchant la critique de sa propre activité. Ici, nous retrouvons la mise en abîme du monde de l’opinion, qui connaît deux réalités dans notre corpus. La première est nécessaire comme support et essence des récits. La seconde est mise en scène dans les récits et investie dans l’espace de narration. Cette dernière, quand elle est néfaste, est débrayée comme celle opérée par les autres (les autres médias et les personnages médiatiques). Or, dans les récits consacrés à François Bayrou, cette seconde mise en scène du monde de l’opinion n’apparait pas ou, du moins, elle n’est pas le faire du candidat.

‘« Ce n’est pas lui qui irait confesser aux médias ses déboires conjugaux »
« François Berléand : « Je voterai pour François Bayrou le 22 avril, bien que mon poulain ait le charisme d’une huitre ». »
« A notre envoyée spéciale, elle [Elizabeth Bayrou] confiait cependant : « s’il vous plait, dans votre reportage, n’insistez pas trop sur le côté agriculteur » ; au sens de « bouseux » voulait-elle dire » 845

Cette compétence virtualisante négative apparaît clairement quand elle se confronte à celle des autres candidats. Ainsi, dans ‘ VSD ’ 1543, le narrateur du récit sanctionne la médiatisation stratégiquement orientée du « ‘ berceau des candidats ’ » : « ‘ Comme si le terroir devait être forcément un gage de probité, les hommes politiques aiment à revendiquer leur ancrage rural  ’»mais nie cette utilisation, quelques lignes plus loin, pour François Bayrou : « ‘ les racines béarnaises de François Bayrou ne souffrent aucune contestation ’ »846, installant l’ancrage rural du candidat sur le mode de l’être, dans le carré véridictoire, et opposant ceux des autres candidats comme issus du mode du paraître. Dans la même logique, ‘ Gala ’consacre un article à la visite des candidats au salon de l’agriculture : « ‘ élection oblige, la classe politique s’est déplacée en troupeau cette année  ’»847. Mais, François Bayrou, « ‘ il est vrai, fils d’agriculteur ’ », est renvoyé à son identité dans le monde domestique, niant une performance dans le monde de l’opinion ou de l’ordre du paraître. Cette sanction du narrateur est renforcée par le programme narratif mettant en scène Nicolas Sarkozy, « ‘ une bête des médias ’ », venu « ‘ pour copier son rival François Bayrou ’ ». Enfin, dans une immortelle de campagne, ‘ Paris-Match, ’ condamne l’utilisation des peoples dans la campagne présidentielle en dénonçant explicitement la pratique.

‘« La photo de la double page précédente [montage qui met en scène les peoples soutenant chacun des trois candidats principaux] doit, en toute logique, révulser les trois principaux candidats »848

Cette condamnation est augmentée d’une sémantique guerrière ou de chasse corroborant la sanction négative : « ‘ épingler les artistes comme des papillons à un tableau de chasse ’ », « ‘ est aux manettes ’ », « ‘ opération de charme ’ », « ‘ mission dédiabolisation ’ », « ‘ pas ralliés mais désarmés  ’», « ‘ les rabatteurs du sarkoshow ’ ». Mais, une fois encore, François Bayrou échappe à la sanction du narrateur : il n’est pas désigné comme le Destinateur du soutien des peoples. Ce sont ces derniers qui ont « ‘ succombé à la tentation Bayrou ’ » ; leurs déclarations de soutien sont un « ‘ cri du cœur ’ », une « ‘ déclaration d’amour ’ » ; ils « ‘ franchissent les barrages (…) pour avouer à François ’[leur] ‘ penchant ’ » et « ‘ tombent sous le charme ’ ». Finalement, la citation de Jean-Marie Cavada signe l’installation de la compétence négative construite sur un ‘ vouloir-ne pas faire ’ : « ‘ Nous n’avons aucun système de démarchage ’ ». Dans cette logique, les compétences négatives de François Bayrou dans le monde de l’opinion lui refusent le statut de sujet de faire dans ce même monde. Mais cette condition de ‘ non-sujet de faire ’ signe la conjonction du candidat avec deux objets : la sincérité et la popularité.

[Figure 45 : Le carré véridictoire]
[Figure 45 : Le carré véridictoire]

En n’étant pas sujet de faire dans le monde de l’opinion, il n’y pas de jeu entre l’être et le paraître. L’être de François Bayrou dans le monde domestique est transposé comme tel dans le monde de l’opinion et ne subit pas de changement de forme : Il parait ce qu’il est et il est ce qu’il parait.

‘« « Il ne fait rien pour apparaître autrement que ce qu’il est, ca me rassure  » »849

L’être est transposé et persiste. Ce mouvement particulier entre monde domestique et monde de l’opinion construit la figure de la sincérité. La sincérité est la vérité d’un être et se place donc à la place de cette dernière dans le carré véridictoire.

‘« Tant pis si c’est passé de mode. Il n’a jamais craint de professer des opinions à contre-courant »
« Chacun a encore en tête la claque qu’il administre en avril 2002 (…) Si le geste n’était évidemment pas prémédité, il lui a sans doute évité une bérézina électorale »850

Mais cette sincérité est, par là même, signifiée comme l’adjuvant à sa popularité. Elle est donc doublement sanctionnée positivement par les narrateurs des récits, une première fois dans la sanction, en tant que telle, et une seconde fois dans le programme narratif dans lequel elle est insérée.

‘« Sans doute, le côté agrégé de Lettres et la simplicité apparente de sa vie familiale sont de nature à rassurer. Ce n’est pas lui qui irait confesser aux médias ses déboires conjugaux (…) Entre Nicolas et Cécilia d’une part, Ségolène et François d’autre part, François et Babeth offrent au pays l’image d’un couple apaisé. (…) Alors Bayrou, candidat idéal ? »
« Il n’y a pas de démagogie chez cet homme, mais un réel désir de voir les choses sous un angle plus ouvert et plus moderne »
« Succomber (…) à la tentation Bayrou, qui contamine, il est vrai, les peoples autant que le sondé de base. Le troisième homme engrange les soutiens à la même cadence que les points dans les sondages » 851
Notes
845.

Gala 720, Public 196, VSD 1544.

846.

VSD 1543.

847.

Gala 718.

848.

Paris-Match 3016.

849.

Public 196.

850.

Paris-Match 3017, Gala 720.

851.

Gala 720, VSD 1531, Paris-Match 3016.