Selon Marc Abélès, il y a, dans l’imaginaire collectif et dans les médias français, un culte de la vie politique rêvée, c’est-à-dire une politique humaniste, désintéressée, éthique, qui échappe à la logique des oppositions traditionnelles et qui sert avant tout l’intérêt collectif852. D’après Abélès, les médias ont tendance à encenser les personnages politiques qui investissent cette vision de la politique. Durant la campagne, la presse people construit une identité médiatique de François Bayrou en phase avec cette vision de la « vie politique rêvée ». Plusieurs attributions identitaires permettent cette construction et clôturent, par là même, le mouvement de cohérence et de persistance dans les fondements de l’identité médiatique de François Bayrou.
Un premier pan de cette identité civique se définit en parallèle et en opposition des deux grands candidats, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, et dessine à la fois son ancrage politique et sa grandeur. François Bayrou est l’outsider, le troisième homme, mais il est aussi l’alternative et l’opposant. La grandeur varie selon les désignations et le candidat oscille entre les grandeurs selon les récits. En tant que troisième homme, il se tient dans un pouvoir-faire mais à la limite du pouvoir-être : il est un candidat moyen qui a la possibilité d’être un grand candidat. A l’inverse, sa position en tant qu’opposant ou alternative le projette dans une grandeur plus forte. Ces deux figures se construisent à partir de son ancrage politique qui consiste à n’être ni de droite, ni de gauche. Cette incarnation sur l’axe des subcontraires du carré sémiotique des ancrages politiques853 l’installe à la fois comme un opposant et une alternative à l’opposition gauche-droite traditionnelle de la politique française.
‘« Quand Paris-Match lui demande : « Ségolène ou Nicolas ? », Blakowski répond : « Bayrou ! ». »L’axe des subcontraires sur lequel est placé François Bayrou permet ainsi de lui octroyer une nouvelle grandeur : celle d’un grand candidat, doté alors d’un ‘ pouvoir-faire ’ et d’un ‘ pouvoir-être ’. Mais plus encore, l’expression « ni l’un, ni l’autre » implique une réduction du nombre de candidats, comme s’il y avait Bayrou, le « candidat antisystème »855 d’un côté, et le système UMP-PS de l’autre : d’opposant, il devient alternative. La qualification de François Bayrou comme alternative est Destinatrice dans plusieurs récits, signifiée comme ce qui octroie son pouvoir-faire et son pouvoir-être au second tour, comme le montre le schéma avec les identités n°1, 2, 7, 8, 12 et 18856. Parallèlement, cet axe des subcontraires permet le débrayement de la figure du rebelle qui rejoint alors le parcours thématique, construit dans le monde domestique, de la force et du courage.
‘« Car, révèle l’ancien collègue Jacques Mérino (…) : « On sortait de Mai 68, le vent soufflait à gauche, avec des syndicats forts. Lui était très rentre-dedans, affirmant ses positions alors qu’il était pratiquement seul contre nous ». »Mais la vision de « la vie politique rêvée » n’est pas complète. Ainsi, deux mouvements du monde domestique vers le monde civique participent à son élaboration dans l’identité médiatique de François Bayrou. Ils tiennent dans les valeurs et le combat de François Bayrou, corroborent et englobent toutes les figures jusqu’alors investies. Dans notre corpus, le candidat incarne un homme de valeurs, ces valeurs sont déplacées du monde domestique vers le monde civique les fondant sur une persistance qui installe son combat politique comme « ‘ le combat de sa vie ’»858. Sa conjonction à des valeurs, des idéaux, des convictions et des croyances façonne une image humaniste, désintéressée et morale de François Bayrou.
‘« Patrick Sébastien, notamment, a déclaré dans Le Parisien : « Lors de nos discussions, j’ai senti un homme qui partage mes valeurs ». »En situant ces valeurs dans le monde domestique et en les transportant vers le monde civique, les narrateurs des récits prouvent que le combat, l’opposition ou la rébellion de François Bayrou ne sont pas opportunistes et ne procèdent pas d’un intérêt particulier. Le mouvement est étonnant. Paradoxalement, le monde domestique sert à justifier le rejet du particularisme en démontrant la continuité tandis que le monde civique comme finalité du déplacement soutient le renoncement au particularisme en définissant la formule d’investissement par la solidarité et en faisant intervenir le combat sous la forme du collectif. Ce mouvement évite, par ailleurs, le monde de l’opinion et refuse ainsi d’identifier le combat à un désir de considération, battant en brèche le carriérisme et l’opportunisme.
‘« Qu’importe qu’il ait été quatre ans ministre, chef de parti depuis 1994, qu’il soit député depuis vingt et un an. Il est l’homme qui défie le Cac 40, TF1 et les grosses machine UMP et PS »861 ’La « ‘ vie politique rêvée ’ » de François Bayrou retrouve sa sincérité dans le monde de l’opinion : il représente ce qu’il est, il est ce qu’il représente, il parait ce qu’il est, il est ce qu’il parait, il est.
‘« L’ambiance est à l’image de sa campagne, simple et décontractée : des bises aux amis, les derniers électeurs à convaincre en chemin, l’attente patiente dans la file du bureau de vote »862 ’La traduction de l’identité de François Bayrou dans la presse people résout le mélange des mondes. L’hétérogénéité des mondes est rendue compatible sur l’axe des contraires du carré véridictoire, sanctionnant l’identité médiatique de François Bayrou par un être affirmé et confirmé par les narrateurs des récits. Comme si, quelque soit le monde dans lequel François Bayrou se déploie, l’homme est toujours « vrai ».
ABELES, M., « De la communication en négatif : l’échec en politique », Le Temps des médias, 7, hiver 2006-2007, p. 154-155.
Cf. Figure n°35 dans la première partie de ce chapitre.
Public 196 (x2), Gala 720 (x2), VSD 1528, Voici 1014, Paris-Match 3023.
Paris-Match 3021.
Soit les récits issus de Gala 720, Voici 1014, Paris-Match 3016, Paris-Match 3021, VSD 1528, Public 196.
Paris-Match 3017, VSD 1543, Paris-Match 3013, Gala 723, Paris-Match 3021, Gala 720.
Gala 716.
Notons que ce terme apparaît abrégé dans l’hebdomadaire.
Ici-Paris 3221, Gala 716, VSD 1543, Paris-Match 3017 (x2), Gala 720.
Gala 720.
Paris-Match 3023.