VI.3.1.2. Le couple Ségolène Royal/François Hollande

La figure de l’indépendance, omniprésente dans les récits sur Ségolène Royal, participe à la mise en scène du couple. Le cas du couple Hollande/Royal répond à une configuration particulière. Si, pour les autres couples, seul le candidat tient une place dans le monde civique, Ségolène Royal et François Hollande sont tous deux engagés politiquement.

‘« Situation inédite pour la République, la candidate à l’élection présidentielle est la compagne du premier secrétaire de son propre parti ! Un cas de figure délicat, qui commence à afficher ses limites. »869

Il est le premier secrétaire du parti socialiste. Or, la conjonction de François Hollande à ce statut institutionnel est Destinateur, dans les récits, pour un ‘ vouloir-faire ’ et un ‘ pouvoir-faire ’.

‘« François Hollande est à la manœuvre à la tête du PS, droit dans ses bottes et bien décidé à défendre le projet socialiste tout en gérant la boutique.»
« Le premier secrétaire, qui se préparait depuis 2002, à être candidat à la présidence de la République »870

Cependant c’est Ségolène Royal, sa conjointe, qui est candidate à l’élection présidentielle. La figure du couple est alors construite sur l’axe des subcontraires, comme n’étant ni séparée, ni unie.

Une première manifestation de cet axe est produite par ‘ Paris-Match ’par la mise en scène d’une « ‘ certaine idée du bonheur à la française ’ »871. Ici, c’est la non-union officielle, c’est à dire le non-mariage entre François Hollande et Ségolène Royal, qui est sous-entendue.

‘« Le couple n’est pas marié »
« Sans la bague au doigt »872

Une non-union que le narrateur justifie : « ‘ tout est allé très vite, pour eux, après l’ENA : l’entrée en politique… les bébés… ’ » en précisant alors que « ‘ deux enfants sur cinq naissent hors mariage ’ ».

La représentation de la ‘ non-union ’ ne s’arrête pas au mariage mais se fixe sur des parcours parallèles, opposant Ségolène Royal et François Hollande soit dans des comparaisons, soit dans les rôles de sujet et anti-sujet.

‘« La comparaison est une opération d'identification partielle entre deux objets. Deux objets de pensée sont comparés s'ils sont posés à la fois comme identiques et différents.873 »’

Les comparaisons reposent, au préalable, sur l’identification du couple comme ‘ non-séparé ’. Mais plus loin, la comparaison va permettre d’opposer les objets comparés, ici, les deux personnes du couple, pour définir le couple à partir de l’état ‘ non-uni ’.

‘« Mais alors que son compagnon était une des stars de la promo, la candidate a laissé des souvenirs plus contrastés à ses anciens camarades : « insignifiante » (…) Lui rayonnait, elle pas du tout »
« L’une a été ministre, l’autre pas. L’un est un chaleureux et convivial, l’autre une austère qui se marre moins »
« Son côté nounours mal fagoté, elle qui est plutôt fashion-victime » 874

Pourtant, c’est la candidature de Ségolène Royal qui signe cette non-union, octroyant à François Hollande le rôle d’anti-sujet dans les récits. Ségolène Royal est le sujet des performances, elle est sujet de faire et d’état. La présence de verbes tels que « empêcher », « soustraire », « priver », « neutraliser », « voler », etc., souligne le faire de la candidate et le rôle passif de son compagnon.

‘« Plus Ségolène s’envole, plus François s’enfonce. »875

François Hollande est alors renvoyé, dans la structure narrative, à un rôle soumis au faire et à l’être d’« ‘ une femme qui lui vole la vedette ’ »876. Ainsi, en se conjoignant au statut de candidate à l’élection présidentielle, Ségolène Royal est conjointe à l’autorité. L’anti-sujet, François Hollande, est alors disjoint, par répercussion, de cette autorité.

‘« Les uns et les autres doivent bien se mettre en tête que, désormais, c’est elle le chef. »
« Les propos du premier secrétaire neutralisés, Ségolène Royal a chargé dans l’urgence Dominique Strauss-Kahn de travailler à une réforme de la fiscalité. Une gifle pour Hollande »
« Juste avant Noël, François décide dans son coin (…) Mais le chef, ce n’est plus lui. Ségolène réplique vertement : « Il n’y aura pas de fiscalité nouvelle qui décourage le travail et l’effort ». Et dans la foulée, ce qui ne manque pas de sel, elle charge Dominique Strauss Kahn d’établir un diagnostic sur ces questions. »
« Elle reconnaît, par ailleurs, que « François aurait fait un excellent candidat si les circonstances avaient été réunies ». »877

La non-union relève alors d’un conflit d’intérêt soulevé par les narrateurs au sein du couple, renvoyant François Hollande au statut de « ‘ conseiller comme les autres ’ »878 au PS. Mais, une dernière tension vient augmenter cette figure : celle des compétences de François Hollande à être premier-monsieur.

‘« Ségolène Royal et Hilary Clinton élue, François Hollande et Bill Clinton deviennent « premier homme » (…) Tandis que leurs femmes débattent de l’avenir de la planète, que complotent les princes consorts ?»879

Cette question, déjà abordée lors du chapitre précédent quant à l’être et au faire des première-dames, soulève une incompétence de François Hollande à être ‘ premier-monsieur ’. Son ‘ non-être-femme ’ comme ses propres prétentions politiques le manifestent dans un ‘ ne-pas-vouloir-faire ’ et l’installent alors comme un opposant. Deux épreuves se confrontent : celle de soutenir sa compagne en tant que conjoint, celle de soutenir la candidate en tant que premier secrétaire.

‘« Peu probable en cas d’élection de madame (53 ans) à la tête de l’Etat, le premier secrétaire du PS (52 ans) se transforme en « premier-monsieur » à l’Elysée. Il a d’ailleurs annoncé qu’il n’y habiterait pas. »
« La candidate socialiste et le premier secrétaire du parti ont affichés certaines divergences. Sur le terrain, les militants s’interrogent »
« Une autre militante se demandait si François était là. »880

Ces deux épreuves se révèlent injustes parce que les personnes ne s’y sont pas toutes engagées dans l’état approprié : François Hollande demeure habité par une autre grandeur acquise. Il est habité par une grandeur du monde civique dans une épreuve du monde domestique quant il ne supporte pas sa compagne. Il est habité par une grandeur domestique dans une épreuve du monde civique quand il ne remplit pas sa fonction de membre du parti socialiste en soutenant la candidate. Cette confusion des incarnations produit une figure d’accusation désignée comme « ‘ préoccupation ’ » par Boltanski et Thévenot : « ‘ Les personnes sont accusées de se soucier des objets valables dans un autre monde, au lieu d’être à ce qu’elles font dans le monde actuel. Encore occupées par le souci d’autres grandeurs, elles ne sont pas dans l’état qui convient à l’épreuve ’ »881.

Mais, plus encore, ‘ Gala ’ montre que ce mélange est aussi néfaste à François Hollande et le présente attristé, lésé et humilié par la situation qui l’oblige à être en retrait politiquement par rapport à son épouse.

‘« Et si Ségolène installe ses valises à l’Elysée, qu’adviendra t-il de l’ambition du numéro un du PS ? Un désir d’avenir avorté ? Il lui sera difficile d’accepter que son horizon personnel soit obstrué par quelqu’un qu’il aime. (…) Ne resterait-il pour lui qu’un rôle de première dame de France au masculin, façon pièces jaunes de Bernadette Chirac. Pas suffisamment prestigieux et surtout très humiliant. » 882

Ainsi, cet agencement composite est sanctionné par les narrateurs par un sentiment d’embarras et d’iniquité à la fois pour la candidate et pour son conjoint. Le faire de Ségolène Royal prive son compagnon de sa virilité, conjoint son couple à des divergences et la prive, par ailleurs, du soutien conjugal et de celui du premier secrétaire du PS, amplifiant sa solitude dans l’épreuve mais aussi son statut de femme. La di-vision opérée entre les rôles et la monstration des divergences entre les membres de ce couple tendent à confirmer le statut de la femme selon la logique du monde domestique : une femme « censée » être plus petite que l’homme.

Ainsi, dans l’analyse de ces deux collectifs, la famille biologique ascendante et le couple, Ségolène Royal est présentée comme isolée. Pourtant, cette solitude se tempère avec la figure de la mère de famille.

Notes
869.

Gala 711.

870.

VSD 1535, Gala 711.

871.

Paris-Match 3019.

872.

Paris-Match 3019, Paris-Match 3014.

873.

COHEN, J., « La comparaison poétique : essai de systématique », Langages, 12, 1968, p. 43.

874.

Paris-Match 3015, Paris-Match 3014, Gala 711.

875.

Gala 711.

876.

Paris-Match 3015.

877.

VSD 1535 (x2), Gala 711, Paris-Match 3019.

878.

VSD 1535

879.

Point de Vue 3059.

880.

Paris-Match 3014, VSD 1535, Paris-Match 3024.

881.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991. ‘ op. cit. ’ p. 272-273.

882.

Gala 711.