VI.3.1.3. La mère et le chef de famille

Un dernier collectif issu du monde domestique participe à l’élaboration de l’identité médiatique de Ségolène Royal : c’est la famille biologique descendante. Cette famille est composée de ces enfants mais aussi de son conjoint, François Hollande. Notre analyse a découvert jusqu’à présent la figure d’un couple fondée sur l’axe des subcontraires déterminant François Hollande comme un opposant à Ségolène Royal. Cependant, celui-ci, quand il est installé non plus dans le couple mais dans la famille biologique descendante, devient un adjuvant, au nom de « la famille » ou du « clan ».

‘« Devant la foule en délire, (…) le clan Hollande est aux anges. Fête de famille pour Thomas et son père François Hollande. »883

Parallèlement, à l’instar de l’identité médiatique de François Bayrou, cette famille constitue un point de ressource pour la candidate socialiste.

‘« Même si le portable sonne, si les messages lui arrivent, elle a oublié les bruits de couloirs, les petites phrases assassines et le critiques : son programme n’est pas clair, ses débats participatifs déstabilisent les poids lourds du parti… Sous l’œil de la louve, elle n’en a cure. Seules ses filles comptent. »
« Une parenthèse pour prendre le temps de papoter avec ses filles »
« Avant la grande course présidentielle, la candidate socialiste s’octroie une escapade loin des lambris de la République avec Clémence et Flora.
« Ségolène Royal nous confie ses photos préférées, celle qui lui rappelle sa famille quand la politique l’en éloigne » 884

L’isolement de Ségolène Royal se trouve donc nuancé par la présence du collectif de la famille biologique descendante. Or, ce collectif la renvoie au statut de mère de famille ; une figure profusément utilisée par la presse people, à la fois dans le monde domestique, mais aussi comme métaphore pour le monde civique. Ici, nous nous restreignons à celle installée dans le monde domestique. Ségolène Royal est mère de quatre enfants et cette référence aux enfants, sujets typiques du monde domestique, et à la maternité, épreuve du monde domestique, la renvoie à son corps de femme et la projette hors du monde civique, celui-ci devenant même un opposant à sa maternité dans ‘ Paris-Match.

‘« A la naissance de Thomas, elle est âgée de 31 ans et est magistrate au tribunal administratif de Paris. Huit ans plus tard, elle attend Flora quand elle se voit proposer, par Pierre Bérégovoy, le ministère de l’environnement (…) Elevée dans une famille de huit enfant, elle en a eu quatre, mais en aurait voulu davantage. »885

Mais, réciproquement, la campagne présidentielle est un opposant à la sérénité de la famille biologique de la candidate, même si cette nuisance est sanctionnée négativement par les narrateurs des récits.

‘« Chaque jour, chaque heure, sont pour elle, des moments cruciaux dans sa conquête de la magistrature suprême. Mais peu importe, toute candidate à la présidence de la République qu’elle est, Ségolène Royal, ne renonce pas à son rôle de mère (…) La maman de quatre enfants ne lâche pas sa petite famille »
« Je pense que mes enfants sont formidables, nous confie-t-elle, (…) il faut qu’ils soient vraiment équilibrés pour rester sereins dans cette épreuve »886

Si la famille en tant que collectif est un adjuvant pour la candidate dans la campagne présidentielle, deux derniers éléments viennent nuancer l’union de ce collectif : le premier repose sur la distinction entre les deux grands au sein de cette famille : le père et la mère. « ‘ Mais qui gouverne réellement chez ces Clinton à la française ?  ’» interroge ‘ Gala887. Dans la logique relationnelle du monde domestique, la mère est plus grande que les enfants, mais le père est plus grand que la mère.

‘« Principe de cohésion de la famille, le père est, comme le patron, ou, autrefois, le roi, celui qui élève les êtres par la dépendance dans laquelle il les tient et qui ainsi les fait accéder à toute la grandeur à toute la grandeur qu’ils peuvent atteindre selon le degré qu’ils occupent.888 »’

Le déplacement de l’autorité sur la famille politique de François Hollande vers Ségolène Royal rejoint un déplacement de l’autorité sur la famille biologique. Ségolène Royal est, à la fois, le chef au PS et le chef de famille.

‘« Mon père s’occupe de la cuisine et des courses. Il adore aller au Carrefour Porte d’Auteuil et au marché le dimanche. Quand j’étais ado, ma mère était plus autoritaire que mon père… Lui cédait à nos caprices. Ma mère nous a inculqué des valeurs fortes. »
« Mais sur ce sujet comme sur bien d’autres, ce n’est pas toujours lui qui décide »889

Ici, on entrevoit que le supérieur, « ‘ toujours fait à l’image du père – dont l’état de grandeur est le plus élevé parce qu’il est l’incarnation de la tradition ’ »890, est Ségolène Royal, comme celle qui assure « ‘ la permanence et la continuité d’une tradition ’ » et « ‘ l’éducation ’ »891. François Hollande est donc démis, non seulement de ses fonctions de chef au PS, que son statut de premier secrétaire lui octroie, mais aussi de son rôle de chef de famille, que son genre implique. Ainsi, la soumission imposée aux femmes quant à leurs statut et rôle dans la famille892 est celle de François Hollande. Ségolène Royal diminue la supériorité de son conjoint en s’imposant comme supérieure à celui-ci dans le monde civique et le monde domestique : elle le réduit au statut de dominé, statut qu’il ne devrait pas avoir en tant qu’homme. Cette hiérarchie des grandeurs est confirmée par l’appréciation des petits du monde domestique. Une citation de Thomas Hollande dans ‘ Gala ’ 716 indique qu’il n’aurait pas pris part à la campagne si son père avait été le candidat : « ‘ «  ’Il est plus classique, je n’aurais pas eu ma place dans cette campagne-là ‘ », explique t-il en octobre 2006. ’ ». Dans Gala 711, on retrouve cette même appréciation hiérarchisée : « ‘ L’une arpente les Deux-Sèvres, quand l’autre sillonne la Corrèze. ’ ‘ Chacun sa vie, des journées de quinze heures, des meetings, des réunions, des séjours à l’étranger. Et les quatre enfants dans cette course contre la montre ? Ils sont à fond derrière maman.  ’»

De plus, cet échange de grandeur est amplifié par un déplacement de la figure du soutien. Nous l’avons démontré plus tôt, la première dame est investie du devoir de supporter son conjoint. Le cas particulier du couple Hollande-Royal dévoile le premier-monsieur comme nuisible. L’incarnation de ce rôle est alors déplacée vers son fils, Thomas Hollande, qui, de par son implication dans la campagne de sa mère, prend le rôle de manipulateur actif et d’adjuvant. Notons, d’ailleurs, que, si plusieurs récits se consacrent à Cécilia Sarkozy ou Elizabeth Bayrou, ce n’est pas le cas pour François Hollande. Thomas Hollande est celui qui sert d’intermédiaire-médiatisant. Ce déplacement se retrouve dans les récits, au travers de parcours parallèles entre Thomas Hollande et son père. Le premier est largement mobilisé comme adjuvant, déplacé du monde domestique vers le monde civique. Le second est, à l’inverse, confiné dans le monde civique et désigné comme le premier secrétaire du parti, rarement comme un sujet de faire pour le soutien de la candidate.

‘« Accompagnée de son fils, Thomas, Ségolène arrive à Paris (…) Elle rejoint François Hollande et ses compagnons du parti socialiste »
« Ségolène Royal, accompagnée de son fils, Thomas Hollande, fervent soutient de la « ségosphère », a ponctué son circuit d’une visite à Chamagne, berceau de son enfance. (…) Le parti socialiste par la voix de son premier secrétaire, François Hollande, redoute un premier tour difficile. »
« Avant le discours, les jeunes soutiens de la candidate, emmenés par son fils Thomas Hollande, se chargent de l’animation. A premier rang, le sérieux domine : Jack Lang, Laurent Fabius, Jean-Pierre Chevènement, François Hollande, Christiane Taubira, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry. »893

Dans cette logique, deux récits sont consacrés à Ségolène Royal, dans ‘ VSD ’ 1535. Un premier, intitulé « ‘ un couple dans la tempête ’ », installe François Hollande comme opposant. Le second, ‘ « Les gourous de Ségolène Royal ’ » ignore son conjoint dans l’énumération des conseillers proches de la candidate, mais accorde un encart à Thomas Hollande.

Ainsi, seule la famille biologique descendante comme collectif et le personnage de Thomas Hollande permettent de nuancer l’isolement de Ségolène Royal. Le parcours thématique de l’indépendance et de l’isolement est construit dans un déplacement de la grandeur de Ségolène Royal qui se défait de son état de petit, en tant que fille et en tant que femme, pour accéder à la grandeur du monde domestique.

Notes
883.

Paris-Match 3013.

884.

Closer84 (x3), Paris-Match 3019.

885.

Paris-Match 3019.

886.

Closer 84, Paris-Match 3019.

887.

Gala 711.

888.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, ‘ op. cit. ’ p. 211.

889.

Public 185, Gala 711.

890.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, ‘ op. cit. ’ p. 207-208.

891.

Ibid. p. 216.

892.

FREEDMAN, 1997, op. cit. p. 150. 

893.

VSD 1548, VSD 1547, Paris-Match 3013.