VI.3.2.1. La banalité et l’oubli comme déchéance du monde de l’opinion.

La presse people repère une transformation du corps de Ségolène Royal. Il y eut le corps de Marie-Ségolène et il y a le corps de « Ségo ». La transformation s’opère dans un déplacement de l’utilisation du corps, dans un déplacement entre les grandeurs du monde de l’opinion.

‘« Etre petit, dans la logique de l’opinion, c’est être banal (ne pas avoir été débanalisé), (…) avoir une image floue, détériorée, estompée, perdue ; être oublié caché, « rencontrer l’indifférence (…), en un mot disparaître ».895 »’

La petitesse de Ségolène Royal est celle de Marie-Ségolène. Cette défaillance de grandeur est repérable dans trois récits qui s’attardent sur le passé de Ségolène Royal, lors de son séjour en Irlande et de ses études à l’ENA896. Dans ce dernier, la petitesse est énoncée en tant que telle dans le récit.

‘« Marie-Ségolène regarde. Discrète, en retrait »
« Lui rayonnait, elle pas du tout »
« De Marie-Ségolène, on se souvient seulement… »
« Le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne focalise pas alors l’attention. « Insignifiante » tranche lapidaire un haut fonctionnaire de l’Education Nationale, Alain Perritaz »897

Dans les récits sur son séjour en Irlande comme jeune fille au pair, la petitesse est construite à partir des actants de communication : la famille irlandaise qui l’a accueillie et l’hebdomadaire. Tous deux sont installés dans le récit par un ‘ vouloir-dire ’, mais cette compétence virtualisante est empêchée par un manque de compétences actualisantes marquée par un ‘ ne-pas-savoir-dire ’ et donc un ‘ ne-pas-pouvoir-dire ’. De là, se construit un récit élaboré sur un conditionnel et des négations.

‘« Aucun souvenir croustillant à rapporter »
« La jeune fille n’a visiblement pas abusé de la Guinness, la célèbre bière locale »
« Elle a sûrement dû »
« La jeune Française a dû les accompagner. »
« Aucun événement extravaguant à révéler » Ségolène Royal était une jeune-fille « sage, élégante, attentionnée et d’humeur égale » (…) Aucun détail croustillant »898

Cette narration négative et conditionnelle se fonde sur un non-savoir dû à un non-souvenir.

‘« Il a fallu des semaines à Graziella, John et Peter pour faire le lien entre Ségolène et la jeune-fille au pair de leur enfance»
« Aucun des trois enfants Roche ne se rappelle »
« Finalement, les Roche ont conservé davantage de souvenirs d’Armelle »
« La plage est à 200m de là, mais personne n’a le souvenir que Ségolène s’y soit baigné »
« Mais la mémoire de la famille est indécise »
« Elle a dû voir mon frère, mais il se rappelle peu d’elle et refusera de vous parler. Il y a là, peut-être, quelque-chose à creuser pour la presse du cœur »899

Le non-savoir causé par un non-souvenir sous-tend un oubli et une indifférence, révélateurs de la petitesse de Ségolène Royal, alors, dans le monde de l’opinion900. Pourtant, c’est la désormais grandeur de Ségolène Royal dans le monde de l’opinion qui justifie la mise en scène de la petitesse, du banal et de l’indifférence de Marie-Ségolène alors.

Notes
895.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, ‘ op. cit. ’ p. 230.

896.

Paris-Match 3011, Closer 91 et Paris-Match 3015.

897.

Paris-Match 3015.

898.

Closer 91 (x2), Paris-Match 3011 (x3)

899.

Paris-Match 3011 (x6)

900.

Cette petitesse est soulignée, en outre, par les descriptions du corps-spectacle : « Elle porte des jupes tristes et arbore des grosses lunettes sévères» (Paris-Match 3024), « Elle portait des jupes plissées et des foulards » (Closer 91).