VI.3.2.2. Le corps comme médiat

Cette désormais grandeur de la candidate relève, entre autres, d’une transformation du corps-spectacle : « ‘ Mais pour que Marie-Ségolène, fille de militaire, devienne Ségo, l’icône de mode, il a fallu bûcher ’ »901. Cette transformation s’opère par une préoccupation du corps comme matériel de monstration ; une transformation repérée, en autres, par le remodelage de son sourire et l’extension de son périmètre shopping902.

‘« Le look, c'est le corps-spectacle ou, mieux, selon l'appréciation des new waves, le corps-simulacre. C'est l'absolu de l'extériorité, le dehors du dehors, le défi à l'intimité. En quoi, en pleine symbiose avec la civilisation des signifiants, il proscrit d'un seul élan le sujet et le temps. Le look est une forme pure ne résultant ni d'une volonté ni d'un sentiment, mais les inférant et les transformant mécaniquement.903 »’

Le changement de look de Ségolène Royal est un critère de grandeur dans le monde de l’opinion pour le genre people : elle lui confère une légitimité à apparaître dans ce type de presse.

‘« La beauté est une des sources de la starité. Le star-system ne se contente pas de prospecter les beautés naturelles. Il a suscité et renouvelé un art du maquillage, du costume, de l’allure, des manières, de la photographie, et au besoin de la chirurgie, qui perfectionne, entretient ou même fabrique la beauté. 904»’

C’est d’ailleurs la seule parmi tous les candidats à apparaître dans une information immortelle de la presse people au milieu des stars, l’affiliant à ce collectif. Or cet article immortel se focalise sur le corps, et plus précisément sur les transformations du corps : « ‘ Régimes, Chirurgie, relooking : 50 stars transformées  ’»905. Le corps de Ségolène Royal permet son adhésion au collectif des stars. Les valeurs de la célébrité et du monde de l’opinion sont faites corps906. Gala n’hésite pas à rappeler qu’elle a été élue la sixième femme la plus sexy du monde par le magazine FHM en juin 2006907.

Mais si son corps, comme médiat, l’institue comme personnage légitime dans le genre people, il est, en outre, l’expression de sa féminité. Vêtements et autres accessoires transforme le corps réel en corps idéal de mode : « ‘ le vêtement ne sert pas seulement à se protéger, à s'embellir, mais aussi à échanger des informations ’»908. Il la renvoie à une apparence féminine, tout comme le sourire et son utilisation.

‘« Tailleur rouge et poing serré »
« Les premiers mètres, la démarche est un peu raide mais sa robe est souple, blanche à liserés noirs »
« Et elle, de son côté, malgré ses hauts talons, ne voit rien de cette marée montante »
« Ségolène Royal a choisi une austère bichromie vestimentaire, un élégant noir et blanc »
« En tailleur Paule Ka, Ségolène rassemble les foules »
« Ségo ose la veste en cuir lors d’un débat participatif sur la jeunesse, à Grenoble »
« Elle étrenne une robe crème à surpiqures noires, avec un caraco gris à surpiqures blanches et des escarpins noirs » 909
« Ségolène Royal a préféré s’envoler pour le Chili et faire une apparition ensoleillée et tout sourire sur les écrans »
« La présidente de la région Poitou-Charentes, qui distribue désormais des sourires à la Mona Lisa avec prodigalité sous le zoom des caméras »
« Déjà Nadine Morano enchaine les plateaux télé pour clamer que Ségolène Royal s’est fait faire un sourire qu’elle utilise en permanence » 910

Le sourire et le vêtement apparaissent ainsi comme des armes de séduction, mais d’une séduction féminine, qui passe par le corps et la beauté, impliquant une mise en scène du corps plutôt que d’autres objets dont ceux issus du monde civique. Dans le genre people, une presse qui favorise les figures féminines et élégantes, le corps de Ségolène Royal permet une sanction positive pour sa grandeur.

‘« Dans la course à l’Elysée, c’est elle la plus glamour ! »
« La Royal reste l’indétrônable souveraine en matière d’élégance. Et contre cela, les costumes Ralph Lauren et les chemises Eden Park de Nicolas Sarkozy n’y pourront rien »
« Elle voulait soutenir une femme. Et comme Arlette Laguiller était trop mal habillée… »
« Ségolène Royal est plus charismatique que par le passé. Elle donne l’image d’une femme qui réussit et qui s’entretient »
« L’élue de la mode »911

L’apparence physique a une valeur performative en tant que signe de réussite et d’identité : elle est à la fois masque et marque, permettant la reconnaissance mais aussi la projection et l’identification des (é)lecteurs. Dans le numéro 714, ‘ Gala ’ poursuit précisément ce contrat de lecture en installant Ségolène Royal sur un piédestal, soulignant son élégance et son attention à son apparence, mais, en même temps, le magazine liste les accessoires et les vêtements, permettant à la lectrice de pouvoir imiter la star – ici Ségolène Royal – en s’habillant de la même façon.

Le corps-spectacle incarne, par ailleurs, un faire séducteur. La séduction est au centre du monde de l’opinion, elle permet d’atteindre l’état de grandeur. Mais, parce qu’elle renvoie, ici, au corps et à l’apparat, elle n’est pas désignée comme un faire manipulateur. Se rendre séduisante n’équivaut pas à séduire dans le genre people. La critique de la manipulation du corps ne se retrouve qu’à deux reprises dans notre corpus, mais il est alors le dire d’acteurs de narration issus du monde civique.

‘« Michèle Alliot-Marie lance une flèche contre cette candidate « qui change d’idées aussi souvent que de jupe » »
« Nadine Morano enchaine les plateaux télé pour clamer que (…) ses argumentaires physiques et vestimentaires cesseront bientôt de duper »912

Aucune autre dénonciation n’est repérable. Ainsi, quand la séduction reste confinée dans la logique du monde de l’opinion et émerge du corps-spectacle, elle est sanctionnée positivement.

En résumé, dans la monstration de Ségolène Royal, apparaît un corps-spectacle qui lui octroie une grandeur forte dans le monde de l’opinion et même un accès au collectif des stars. Ségolène Royal est à la fois séparée des autres candidats mais unie aux caractéristiques typiques du personnage people. Par là même, le corps, comme médiat de l’identité et du genre, est un outil de distinction par rapport au collectif des hommes mais un outil d’unification pour celui des femmes.

Notes
901.

Gala 714

902.

Gala 711.

903.

ARON, J-P., « La tragédie de l'apparence à l'époque contemporaine », Communications, 46, 1987, p. 312.

904.

MORIN,1984, op. cit. p. 54.

905.

Closer 77.

906.

BOURDIEU, P., Le Sens Pratique, Paris : Ed. de Minuit, 1980, p. 96.

907.

Gala 714.

908.

BAUDRILLARD, J., « Le système de la mode » (Entretien), ‘ France-Forum ’, 5 juin 1967, p. 65.

909.

VSD 1538, Paris-Match 3024 (x2), VSD 1550, Gala 714 (x2), Paris-Match 3023.

910.

VSD 1528, Gala 713, Paris-Match 3009.

911.

Gala 714 (x2), Voici 1014, Closer 77, Closer 86.

912.

VSD 1550, Paris-Match 3009