VI.4.1.2. Les souffrances de l’enfance

L’existence de Nicolas Sarkozy commence, dans notre corpus, lors du divorce de ses parents. La disjonction de celui-ci et de son père le conjoint à la souffrance et la solitude. Mais, à la différence de François Bayrou et de Jean-Marie Le Pen, l’absence du père de Nicolas Sarkozy est le résultat d’une performance dont le père, Pal Sarkozy, est non seulement sujet de faire mais aussi Destinateur. Cette configuration étoffe la misère de Nicolas Sarkozy, en y ajoutant la valeur de l’humiliation.

‘« Pal Sarkozy, flamboyeur et dilettante, abandonnant femme et enfants, disparaît un beau jour pour aller vivre sa vie »
« A l’école, les enfants Sarkozy sont les seuls enfants de divorcés »
« Il souffre de grandir sans son père »
« On a du mal à l’imaginer en petit garçon mélancolique et délaissé qui souffre du divorce de ses parents et de l’incompréhension des autres »931

Sur l’axe syntagmatique de l’identité médiatique de Nicolas Sarkozy, la disjonction entre Nicolas Sarkozy et Pal Sarkozy consiste en un programme narratif d’usage pour la conjonction de Nicolas Sarkozy et de son grand-père, Benedict Mallah (cf. identités n°1, 8 et 21 sur la figure n° 50).

‘« Nicolas trouve l’autorité paternelle dont il a besoin chez Benedict Mallah, son grand-père maternel, gaulliste convaincu »
« C’est la seule figure masculine de la famille. Le Dr Mallah parlait très peu mais savait se faire entendre de ses petits-fils, les mettre au pas et leur inculquer de bons principes. Le jeudi, souvent, il s’occupait de Nicolas et l’emmenait en promenade »
« Il (…) évoque ses jeudis après-midi passé à flâner avec son papi »932

La présence de son grand-père est, alors, Destinateur-manipulateur pour ses convictions et son entrée en politique.

‘« C’est là qu’il commencera à forger ses convictions, empreintes du gaullisme de son grand-père » 933

Mais ce qui pourrait relever d’un point de rupture entre Nicolas Sarkozy et la solitude n’est pas signifié comme tel dans les récits. Sa conjonction avec la souffrance, la solitude et l’humiliation se maintient dans l’axe syntagmatique.

‘« Cette carence paternelle laisse chez Nicolas des cicatrices »
« Nicolas Sarkozy, à l’inverse, « est entré dans la famille gaulliste qu’il n’a jamais quittée ». Un clan dans lequel, il n’aura de cesse de chercher la figure paternelle d’Achille Peretti à Edouard Balladur en passant par Charles Pasqua et enfin, Jacques Chirac. »934

Apparait alors le mouvement, désigné par Boltanski et Thévenot, comme un « transport de misère ». Ce mouvement est une cause de discorde entre les mondes ; il se définit comme la misère d’une personne dans un monde – ici, la souffrance et la solitude du monde domestique – qui suit cette personne dans les autres mondes. Elle est un handicap qui se déplace avec la personne dans les mondes qu’elle traverse935. Or cette misère que les narrateurs attribuent à l’absence du père se transforme en une dépendance et un besoin d’être aimé et d’être entouré, valable autant dans le monde domestique, de l’opinion que civique.

‘« Cet homme résolu et apparemment sûr de lui dépend au fond beaucoup trop du soutien de ses intimes, sans lequel son moral risque de sombrer »
« « Nicolas Sarkozy n’est pas un solitaire, conclut-elle, il a besoin d’être entouré rassuré, apprécié » »
« Sa fragilité réside dans son affect. Il est un tendre qui a besoin d’être aimé et de se ressourcer dans son îlot affectif : sa famille »936

Ce transport de misère est ce qui structure l’identité médiatique de Nicolas Sarkozy. Il est, à la fois, un trait identitaire fondateur mais constitue en outre une base pour le contrat de lecture proposé par les narrateurs des récits sur Nicolas Sarkozy. Il permet de le définir dans sa relation avec ses proches. Comme pour les autres candidats, le soutien est un adjuvant pour la campagne présidentielle mais fédère aussi son identité en le décrivant toujours au prisme de ses relations.

Ces deux variables – le passé et la figure sportive – sont spécifiquement rattachées à Nicolas Sarkozy. Pourtant, la construction de son identité médiatique focalisée sur son entourage déplace les fondements de celle-ci vers ses proches. L’identité médiatique de Nicolas Sarkozy est donc le résultat de certains traits particuliers spécifiques au candidat et de l’ensemble des identités médiatiques des proches de celui-ci. Il nous faut, ainsi, quitter un temps notre analyse spécifique de Nicolas Sarkozy pour envisager son épouse, afin de saisir comment l’identité médiatique de cette dernière ordonne celle du candidat de l’UMP.

Notes
931.

Gala 722, Paris-Match 3017, VSD 1548, Paris-Match 3008.

932.

VSD 1548, Paris-Match 3008, Voici 1008.

933.

VSD 1548

934.

Paris-Match 3008, Gala 722

935.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p. 271.

936.

Paris-Match 3007, Gala 725, Paris-Match 3008