VII. 1. De l’information-people à l’évènement…

VII. 1. 1. La mort de Gregory Lemarchal : un « évènement-people ».

Pourquoi parler de la mort de Gregory Lemarchal dans une étude sur le phénomène de peopolisation des hommes politiques ? Parce que, comme nous allons le voir, la mort du jeune chanteur influence la visibilité du président de la République et révèle l’« évènement-people » à son paroxysme.

Gregory Lemarchal est un jeune chanteur ayant participé et remporté la Star Academy 4. Dès le début de l’émission de télé-réalité à laquelle il participe et, plus particulièrement, après sa victoire, il est l’un des personnages privilégiés de la presse people. Jeune chanteur avec des rêves de gloire atteint d’une maladie génétique, la mucoviscidose, le personnage oscille entre les figures de courage, de passion, de souffrance et de bonheur. Sa relation amoureuse avec Karine, personnage d’une autre émission de télé-réalité, lui octroie une omni-visibilité dans cette presse ; il devient alors le héros d’une saga en images. Mais, le 30 avril 2007, Gregory Lemarchal décède à l’âge de 23 ans. Il devient, à titre posthume, un des personnages people les plus marquants de cette décennie. ‘ Closer ’ révèle d’ailleurs, à partir d’un sondage récent, que la mort de Gregory Lemarchal est considérée par ses lecteurs comme la disparition la plus marquante devant celle de Michael Jackson1016. Ainsi, pendant plusieurs semaines, la presse people se focalise sur ce personnage désigné comme « ‘ le petit prince ’ » au destin brisé. Karine, son amie, et les membres de la famille Lemarchal deviennent des personnages people dont le rôle d’intermédiaires perpétue la médiatisation du disparu.

‘« De personnage people lorsqu’il est décédé, Gregory, est passé au statut de personne à laquelle on voue un culte et que l’on envoie très vite au firmament des stars. 1017 »’

Pourtant, ce qui nous intéresse ici est la médiatisation immédiate de son décès, car celui-ci a lieu à la fin de la campagne présidentielle : Gregory Lemarchal décède le 30 avril 2007, sa mort survient donc avant le scrutin du second tour. Pourtant, hormis ‘ Paris-Match ’et ‘ Public1018

[Figure 51 : Les Unes annonçant la mort de Gregory Lemarchal et/ou la victoire de Nicolas Sarkozy]
[Figure 51 : Les Unes annonçant la mort de Gregory Lemarchal et/ou la victoire de Nicolas Sarkozy]

qui paraissent le 3 mai, tous les autres hebdomadaires traitent l’information après la victoire de Nicolas Sarkozy. L’élection de Nicolas Sarkozy disparaît-elle au profit de la mort de Gregory Lemarchal ?

La distinction entre mode mimétique bas et mode mimétique haut se confirme dans la mort de Gregory Lemarchal, « évènement people » phare de 2007. En effet, le mode mimétique bas ne médiatise pas la victoire de Nicolas Sarkozy mais consacre ses Unes à la mort du jeune chanteur. Du côté du mode mimétique haut, ‘ Gala ’ fait apparaître la victoire du nouveau président de la République en information secondaire, en haut et à droite de sa Une. A l’inverse, ‘ Paris-Match ’et ‘ VSD ’ placent en seconde position le décès de Gregory Lemarchal1019. On voit ainsi que ces trois titres du mode mimétique haut traitent des deux informations de façon contraire à l’autre mode de visibilité qui privilégie le jeune chanteur à l’homme politique. ‘ Point de Vue ’intervient comme un cas particulier. Il ne médiatise aucune de ces deux informations en Une : sa hiérarchie est autre. Avant le jeune chanteur, avant l’homme politique, il y a les membres des familles royales, et plus précisément celle d’Espagne qui compte un nouveau membre.

[Figure 52 : L'effet Sophia dans
[Figure 52 : L'effet Sophia dans Point de Vue.]

Effet Sofia d’un côté, effet Gregory Lemarchal de l’autre : il est difficile de concevoir dans quelle mesure, si aucun de ces évènements n’avait eu lieu au même moment, l’élection de Nicolas Sarkozy aurait été mise en scène dans ces hebdomadaires. Pourtant cette médiatisation, ou plutôt cette non-médiatisation, définit une hiérarchie dans les évènements et dans les personnages people et agit comme révélateur de principes fondateurs de ces titres.

Dans les chapitres III et V de cet écrit, nous avons opéré une réflexion autour du rapport entre événement et personnage. Cette dichotomie peut paraître étrange dans la mesure où, dans chaque évènement, coexistent des personnages au travers desquels un sens et des valeurs vont être attribuées à l’évènement. Que nous apprend la mort de Gregory Lemarchal sur l’ « évènement-people » ? Peut-on parler d’évènement dans le cas de ce décès ?

‘« Si l’évènement crée une fêlure, ouvre une faille de la représentation et, dans cette mesure, laisse interdit, il est aussi ce qui, tout simplement, va faire parler.1020»’

Cette définition de Tétu oriente notre attention vers le traitement médiatique de la mort de Gregory Lemarchal. Si le fait – le décès de Gregory Lemarchal des suites de la mucoviscidose – ne pose pas d’aporie du savoir, son traitement va ouvrir une brèche d’incompréhension et de non-savoir pour instaurer une forte charge symbolique en son sein. Le sentiment d’injustice du décès d’un jeune promis - ‘ « il n’avait que 23 ans… ’ » ; « ‘ Le deuil impossible ’ » -, la monstration de la « ‘ douleur ’ » et de la « ‘ colère ’ » de ses proches et le retour sur le « ‘ calvaire ’ » ou le « ‘ combat ’ » du jeune chanteur dans la maladie contribuent à construire l’évènement. Celui-ci continue de faire parler à partir de la figure de la « jeune veuve idéale »1021 incarnée par sa compagne, mais aussi de sa famille et de son association de lutte contre la mucoviscidose.

France-Dimanche 2881 « Adieu Gregory : Les terrifiantes révélations de son père »
Public 200 « Karine : Gregory lui manque tellement »
Public 201 « Karine : elle a tout plaqué »
Voici 1020 « La vie sans Gregory : Courage Karine »
Closer 120 « Gregory : sa sœur dit tout ! »
Gala 737 « Karine, sa bouleversante confession : « Gregory vivra toujours en moi ». »
Voici 1066 « Un an après : Karine, fidèle à Gregory »
Closer 149 « Interview de Karine : « J’imagine encore que Gregory va revenir ». »
Gala 856 « Gregory Lemarchal : Confidences d’une maman »

Ces intermédiaires sont aussi le moyen de résoudre le non-savoir quant à sa mort. L’énonciation du principe « Il n’est pas mort pour rien » constitue alors « ‘ une sorte d’exorcisme de la mort ’ »1022.

Ici-Paris 3230 « Gregory : Il n’est pas mort pour rien ! »
VSD 1600 « Gregory Lemarchal. Son père témoigne dans VSD : « La mort de mon fils a sauvé des vies »

Les intermédiaires sont, par ailleurs, les cautions pour des révélations amplifiant l’incompréhension de la mort du jeune chanteur qui « ‘ avait emporté un secret dans la ’ ‘ tombe ’ »1023, dont la « ‘ mémoire [est] bafouée ’ », ses « ‘ parents calomniés ’ »1024, sa compagne « ‘ attaquée ’ »1025, au cœur d’un « ‘ immonde scandale ’ » ou d’« ‘ une polémique ’ »1026. La mort de Gregory Lemarchal a donc entrainé une très forte médiatisation de ce personnage, lui permettant d’accéder au statut de star. Pourtant, cette hypermédiatisation a été l’objet d’accusation de la part de la famille ou du public qui y voyait une utilisation de la mort du jeune homme. Cette mort est un « évènement-people » fort qui ne reste pas dans le confinement de la presse people puisqu’elle fut largement médiatisée à la télévision et dans les autres genres de la presse écrite. Mais elle bouleverse l’espace typique du décès puisque son hypermédiatisation empêche que la douleur de ses proches ne reste dans le monde domestique. ‘ France-Dimanche ’, magazine ayant le plus médiatisé le jeune chanteur à titre posthume, implore alors les autres titres : « ‘ Laissez-le en paix ! ’ »1027.

Cet évènement nous permet de considérer la médiatisation des hommes politique ou, plutôt, celle de Nicolas Sarkozy et de sa victoire à l’élection présidentielle de 2007 par sa visibilité ou non dans les titres de presse people. Deux évènements apparaissent au même moment : la mort de Gregory Lemarchal et l’élection de Nicolas Sarkozy. Seuls ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’privilégient l’évènement issu du monde civique.

La mort d’un personnage people, jeune, beau, plein de promesse de succès mais aussi gravement malade, amoureux d’un autre personnage people, contient tous les ingrédients de l’évènementialisation-people. Sa forte médiatisation, la permanence de sa visibilité, sa charge symbolique, le sens qui lui est donné, la rhétorique du secret et du non-savoir sont autant d’éléments qui permettent de penser l’ « évènement-people ». Pourtant, comme nous le verrons plus tard, le traitement de ce décès dans la presse quotidienne nationale nuance sa qualification comme « évènement-people » niant même la possibilité de parler d’évènement dans le confinement de la presse people. Mais avant, revenons aux personnages politiques, objet de cette étude, et considérons-les au prisme de l’évènement. Trois évènements vont occuper notre propos : le mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, l’accouchement de Rachida Dati et les rumeurs d’infidélités de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni survenues en avril 2010. Les deux premiers évènements sont a priori domestiques, les paroles sont portées dans le monde civique et le monde de l’opinion occasionnant des mouvements de traduction différents. Le dernier évènement est issu du monde de l’opinion. Son objet étant moins l’infidélité que la rumeur, le déplacement vers le monde domestique ou vers le monde civique ouvrira notre réflexion sur les concepts de rumeurs, commérage, scandale et Affaire ; autant de médiats qui se définissent dans leur mouvement entre les mondes. Parallèlement, leurs traitements différenciés entre les genres de presse réfléchiront le potentiel évènementiel de l’information-people contrainte dans ses espaces d’émergence : monde domestique et monde de l’opinion.

Notes
1016.

Closer 263(28/06/2010)

1017.

SPIES, 2008, op.cit. p. 180.

1018.

Pour ‘ Public ’, ce numéro sort deux jours avant sa parution habituelle pour un numéro spécial dont dix pages sont consacrées à Gregory Lemarchal.

1019.

Rappelons que Paris-Match paru avant le scrutin du second tour privilégie non pas la victoire de Nicolas Sarkozy mais les finalistes du second tour.

1020.

TETU, 2008, op. cit. p. 22.

1021.

SPIES, 2008, op. cit. p. 178.

1022.

GREVISSE, B., « L’épidémie médiatique », ‘ La peur, la mort et les médias ’ (dir. Marc Lits), Bruxelles : Evo, 1993, p. 39.

1023.

France-Dimanche 3238.

1024.

France-Dimanche 3278 et 3215.

1025.

Closer 114 et 128.

1026.

France-Dimanche 3232, Voici 1022.

1027.

France-Dimanche 3188