VII.1.2.1. La visibilité d’un évènement invisible.

Face à ce parcours narratif de la mise au secret, deux approches se confrontent. La première, celle de la presse people, la désigne comme une contrainte pour l’énonciation, empêchant la monstration de l’évènement.

‘« La love story qui tenait jusque là du roman-photo s’achève par un grand blanc. Pas d’image officielle. Aucune déclaration. Et la frustration de milliers d’anonymes privés de la traditionnelle photo de mariage »1031

Cette thématique préoccupe les récits peoples occasionnant alors son explicitation et des stratégies de contournement. Trois types de photographies cohabitent dans notre corpus pour compenser l’absence d’illustrations. Le premier type consiste en des photos-preuves. Elles servent à authentifier l’amour entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni et sont alors les photos du couple pris lors de leur voyage en Egypte ou le lendemain du mariage attablé à un café dans le parc du Château de Versailles. Ces photos figurent, d’ailleurs, en Une de ‘ Point de Vue ’, ‘ France-Dimanche ’, ‘ Paris-Match ’, ‘ VSD ’ et ‘ Voici ’. Mais, dans ‘ Point de Vue ’et ‘ Paris-Match ’, nous trouvons, par ailleurs, des photos-preuves de l’évènement avec des photographies volées de l’avant de la cérémonie qui mettent en scène l’arrivée des invités1032 tandis que ‘ Closer ’ se sert de photo de la veille illustrant « ‘ la dernière journée de célibataire de Carla  ’»1033, des photos floues, prises de loin, avec des effets bougés et une vue en plongée, autant d’éléments construisant la rhétorique du secret. En outre, de nombreuses photos-documents servent à l’identification des personnages et des lieux de la cérémonie, comme la photo du maire, des témoins ou de La Lanterne, résidence secondaire du président de la République et lieu de célébration du mariage le soir même. Ces photographies sont des documents : elles sont toutes anachroniques par rapport à l’évènement mais permettent la reconnaissance et l’illustration des êtres et des objets. La photo-document sert aussi la monstration de la robe de la mariée, telle que celle-ci a pu apparaître dans le catalogue du créateur ou sur les podiums, alors portée par un mannequin. C’est cette même logique qui pallie l’impossible monstration de Carla Bruni en robe de mariée ; les hebdomadaires utilisent des photographies l’illustrant, lors de défilés, dans cette tenue. ‘ Gala ’ utilise justement une ancienne photographie de Carla Bruni, datant d’un défilé des années 90, pour sa Une. Enfin, un dernier type de photographies, en Une d’‘ Ici-Paris ’, consiste en un photomontage représentant Nicolas Sarkozy et Carla Bruni en tenues de mariés l’un à coté de l’autre. Cet hebdomadaire rapproche deux photographies distinctes, une de Carla Bruni en robe de mariée1034 et une de Nicolas Sarkozy en costume, le rapprochement donnant l’illusion de voir le couple lors de leur union. Toutes ces photographies, quelque soit leur fonction ou leur contenu, servent ainsi à combler le manque de visibilité et à le contourner.

La seconde approche, celle de la presse quotidienne nationale, que l’on retrouve, par ailleurs dans la presse people, comme la justification de cette impossibilité à montrer l’évènement, constitue l’espace de narration dans lequel est confiné le mariage mais aussi l’espace d’énonciation dans lequel se révèlent les réponses à l’injonction de visibilité. Avant d’identifier ces différentes réponses, il nous faut considérer comment la mise au secret est installée dans les récits, dans le confinement de l’énoncé-énoncé. L’identification des Destinateurs à l’origine de l’axiologie contenue dans ce parcours distinguent les titres.

Dans un programme narratif d’usage, les médias, les Français et la politique sont conjoints de la médiatisation de la vie privée des hommes politiques. Dans ‘ Paris-Match ’, ce sont les médias qui sont désignés comme les Destinateurs de ce PN d’usage.

‘« Jamais dans l’histoire de la République, un homme politique de première grandeur, a fortiori un président de la République, n’a vu sa vie sentimentale à ce point exposée, disséquée, commentée. (…) cette surexposition de la vie sentimentale a curieusement touché également Ségolène et Nicolas, tous deux jeunes et sujets à des drames conjugaux (…) ils n’ont pas pu empêcher que leur désir de transparence (…) n’ait été exploité par les médias » 1035

Dans ‘ Le Figaro ’, c’est la situation privée de Nicolas Sarkozy qui crée l’intrusion du privé dans le politique.

‘« Les difficultés personnelles du président depuis son divorce ont donné aux Français le sentiment qu’il ne s’occupait plus d’eux « à plein temps » »1036

Dans les autres titres, Nicolas Sarkozy en est à l’origine.

‘« L’Elysée, il est vrai, a pris des airs de Rocher depuis l’arrivée, en mai dernier, d’un Nicolas Sarkozy, plus séduit par la jet set  qu’engoncé dans la tradition. »
« Fini les voyages en Egypte sous l'œil des photographes. Les palaces, les images d'une réussite sociale trop visible qui agace l'opinion et le fait chuter dans les sondages, le Président a décidé de rentrer dans le rang »
« Nicolas Sarkozy a donc bien retenu la leçon de ses collaborateurs et des sondages en bernes : les Français ne veulent plus entendre parler de ce président people »
« Le problème, pour un président qui a tant étalé sa vie privée, qui en a même fait une théorie, en opposant cette attitude à l' « hypocrisie » de ses prédécesseurs, est de réussir à être désormais plus discret. Le peut-il seulement ? » 1037

Cette différence dans l’incarnation du Destinateur déploie alors plusieurs types de compétences justifiant la mise au secret de la cérémonie. Le premier, celui de ‘ Paris-Match ’, attribue un vouloir-faire à Nicolas Sarkozy pour un programme narratif visé qui consiste en sa conjonction à l’intimité.

‘« Le président de la République tenait à garder rien que pour lui ce moment très précieux »1038

A l’inverse, dans les autres titres de la presse people et dans Le Figaro, le ‘ vouloir-faire ’du monde domestique et du monde de l’opinion est transformé en un ‘ devoir-faire ’ pour l’exercice de sa fonction de président de la République et donc déplacé vers le monde civique.

‘« Grandeur et simplicité de ce moment particulier. Ce mariage dans l’intimité veut éclipser l’image d’une nuit de victoire au Fouquet’s, brillante comme un diamant. Et des vacances à Louxor ou à Pétra, qui avait déchainé l’ire des éditorialistes. Stigmatisant le jet privé, mis à disposition par l’ami milliardaire, Vincent Bolloré. Cette cérémonie sans faste esquisse sans doute un changement de style. »
« C’est lui qui a voulu, une fois n’est pas coutume, le moins de publicité possible autour de l’évènement.»
« Pas de photo officielle. Pas de confettis. Pas de point presse. Rien de trop voyant. Le mandat de Nicolas Sarkozy est désormais entré dans l’ère de la discrétion »
« « Nicolas Sarkozy dont c'est le troisième mariage, s'est, pour l'occasion, imposé la plus grande discrétion. Le mariage a eu lieu dans le salon vert attenant à son bureau, sans publication des bans grâce à l'autorisation du procureur de la République, pour ne pas « troubler l'ordre public », selon la formule consacrée »1039

Pourtant, la presse people s’arrête à la performance du mariage, tandis que dans Le Figaro, celle-ci est un programme narratif d’usage permettant la conjonction entre Nicolas Sarkozy et les Français.

Enfin, dans ‘ Libération ’ et ‘ Le Monde, ’ cette compétence est déplacée vers un ‘ ne-pas pouvoir-faire ’ du monde civique. L’évaluation d’assomption de Nicolas Sarkozy quant au ‘ devoir-être ’ du mariage est niée par les narrateurs qui soulignent que, malgré la discrétion, la visibilité de l’évènement est forte. Du côté de ‘ L’Humanité ’, la sanction est plus forte car elle nie la discrétion du mariage et met en scène Nicolas Sarkozy dans un ‘ vouloir-faire ’ du monde civique et donc comme un sujet manipulateur.

‘« Sarkozy se marie sous les sifflets »
« Entre indifférence et persiflage, l'opinion réclame la fin du "people" »
« En guise de cadeau de mariage, une dégringolade dans les sondages ! Vous n'avez pas pu échapper au paradoxe de ce week-end. Nicolas Sarkozy se mariait samedi, et on apprenait dimanche qu'il chutait à nouveau, et plus brutalement encore, dans l'opinion. L'autre singularité était le contraste entre l'absence d'images de l'événement lui-même et le déferlement des commentaires, souvent désobligeants. »
« Vous auriez voulu que cette discrétion soit reconnue et saluée par tous, qu'elle fût connue en tous lieux, que sonnent les trompettes de la modestie après celles de la renommée, qu'il n'en aurait pas été autrement. C'est une bien belle histoire que vous offrez aux Français, (…). Oui, une bien belle histoire. » 1040

L’identification du Destinateur et de la compétence attribuée à Nicolas Sarkozy justifiant cette mise au secret révèle plusieurs stratégies d’énonciation, le narrateur du récit justifie sa mise en scène au creux de la mise au secret du mariage : l’espace de l’énonciation-énoncée dépend de la construction de l’espace de l’énoncé-énoncé.

Notes
1031.

Point de Vue 3017.

1032.

Paris-Match 3064, Point de Vue 3017.

1033.

Closer 139.

1034.

C’est d’ailleurs le même cliché que celui en Une de Gala.

1035.

Paris-Match 3064.

1036.

Le Figaro du 04/05/07.

1037.

Gala 765, Closer 139, VSD 1589, Le Monde du 05/02/08

1038.

Paris-Match 3064.

1039.

Point de Vue 3017, Gala 765, Closer 139, Le Figaro du 04/05/07.

1040.

Libération du 04/02/2008 (x2), Le Monde du 05/02/08, L’Humanité du 04/02/08.