VII.1.2.2. Les réponses à l’injonction de visibilité.

Une recherche précédente sur la mise en scène de la réconciliation de Nicolas Sarkozy et Cécilia Sarkozy en janvier 2006 révéla que la presse quotidienne nationale traita largement de l’évènement1041. Mais, plus que de simplement en rendre compte, ils traitèrent de sa médiatisation. Ces récits questionnaient la légitimité de traiter d’un tel sujet, ce qui permettait, en toile de fond, de traiter de ce sujet. Ils se basaient essentiellement sur une métacommunication qui consiste à traiter d’un évènement en traitant de son traitement : c’est la mobilisation par justification. Ainsi, Le Monde 1042 dévoilait les médias comme à l’origine de la médiatisation de leur réconciliation et présentait alors le couple Sarkozy comme la victime d’un dévoilement offensif. Libération 1043 et L’Humanité 1044 dénonçaient cette médiatisation dont ils attribuaient la faute à Nicolas Sarkozy, médiatisation qu’ils qualifiaient d’exhibition. Le Figaro 1045 ni ne dénonçait ni ne plaignait mais rendait compte du processus de médiatisation qui avait conduit alors tous les médias, alors, à la fois, destinateur et destinataire de la visibilité, à traiter d’un tel fait. Si les médias ou le couple Sarkozy jouaient à la chaise musicale des rôles dans les récits, en fonction de la posture éditoriale du journal, la transformation dont les narrateurs rendaient compte était la médiatisation et non la réconciliation. Cependant, lors du traitement médiatique du mariage de Nicolas Sarkozy et de Carla Bruni en février 2008, trois réponses à l’injonction à la visibilité se dégagent dans la presse quotidienne nationale et dans la presse people, mais aucune ne consiste en celle trouvée alors deux ans plus tôt pour la réconciliation de Nicolas et Cécilia Sarkozy : l’attention du public n’est plus dirigée sur la légitimité de traiter de la vie privée des hommes politiques mais est construite sur sa banalisation. Les trois réponses à l’injonction de la visibilité, trouvées dans la presse, qu’elles soit dans la critique, dans la justification ou sur un mode pratique ne postulant pas d’une tension installent le mariage et non plus la médiatisation comme objet de conjonction.

La première réponse à l’injonction à la visibilité du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni consiste à « rendre visible ». Cette réponse correspond à une temporalité courte : le fait vient de se passer : le récit qui en rend compte aspire à l’objectivité et à la sobriété. Le destinateur du discours dévoile le principe « ça c’est passé ! ». C’est le cas du journal La Croix ou du journal Le Monde, dans un encart en Une.

‘« M. Sarkozy se remarie. Le chef de l’Etat a épousé en troisièmes noces, samedi 2 février, à l’Elysée, Carla Bruni-Tedeschi. »
« Le président de la République a épousé, samedi matin à l’Élysée, la chanteuse et ex-mannequin Carla Bruni « en présence de leurs familles », selon un communiqué de l’Élysée. Nicolas Sarkozy est ainsi le premier président à se marier en cours de mandat depuis Gaston Doumergue en 1931. Le chef de l’État a eu deux enfants de son premier mariage et un fils avec son ex-épouse Cécilia Ciganer-Albeniz. Carla Bruni a un fils. Les bans n’avaient pas été publiés, Nicolas Sarkozy ayant obtenu une dispense du procureur de la République pour préserver la discrétion de l’événement. »1046

Ici, Nicolas Sarkozy est présenté comme un homme privé et comme un homme politique. Le monde de l’opinion, quant à lui, n’est pas mobilisé dans ce récit, comme si le traitement médiatique de tels faits privés trouvait naturellement sa place dans ces quotidiens. Dans ce cas là, le monde de l’opinion est neutralisé, le passage du monde domestique au monde civique n’est pas incarné par un objet du monde de l’opinion et n’est pas justifié. Si dans ‘ La Croix ’, cet énoncé est le seul qui met en scène le mariage, un autre énoncé dans ‘ Le Monde ’complexifie l’identification. Pourtant, ce second énoncé ne concerne plus le mariage mais les commentaires qu’il suscite.

La seconde forme de mise en visibilité de la vie privée des hommes politiques dans la presse écrite répond à une volonté de « construire le visible ». Cette seconde forme est particulièrement représentée par la presse people qui investit une temporalité plus longue du fait de sa parution hebdomadaire. Le lecteur connaît l’information, il l’a lue, vue ou entendue dans les autres médias. Le narrateur investit alors une rhétorique du secret et de la révélation pour transformer une information connue en nouveauté.

‘« Les coulisses d'une cérémonie secrète »
« Pourquoi il se sont mariés si vite »
« Tous les secrets de leur mariage »
« Les dessous d'un mariage attendu »
« Les dessous d'un mariage secret »
« Les dessous d'un mariage express »
« Les raisons secrètes d’un mariage express »1047

La presse people rend compte et narrativise la mise au secret du mariage, soit en la confinant dans le monde domestique comme ‘ Paris-Match ’, soit en la déplaçant vers le monde civique comme un ‘ devoir-faire ’. Ce parcours narratif confirme l’activité du genre people. L’invisibilité de l’évènement est contournée. Le narrateur crée l’illusion de visualisation, il donne l’illusion de rendre visible à l’esprit du lecteur quelque chose qui était alors invisible en narrativisant la difficulté de son faire-savoir. Cette technique sanctionne négativement la mise au secret du mariage en légitimant l’énonciation. Mais, par ailleurs, la construction de la visibilité du mariage permet alors de l’instituer comme la performance principale du récit, comme ce qui se révèle au lecteur.

La troisième réponse à cette injonction à la visibilité consiste à « interroger le visible ». Il y a deux façons de réaliser cela : la première, déjà évoquée, questionne la visibilité d’un fait ou d’un évènement, comme ce fut le cas pour la réconciliation de Nicolas Sarkozy et Cécilia Sarkozy dans la presse quotidienne nationale en janvier 2006. La seconde ne questionne plus la visibilité mais l’objet visible, comme le fait Libération, le 4 février 2008, en titrant « ‘ Le divorce ’ ». Le journal détourne ainsi la visibilité d’un objet pour en rendre visible un autre : ici, il détourne la visibilité du mariage pour traiter du problème du pouvoir d’achat des français. ‘ L’Humanité ’, de son côté, accuse le mariage de détourner les individus des vrais problèmes. La mise en visibilité est ici dévoilée comme un opposant en tant qu’elle favorise le mariage, épreuve du monde domestique au pouvoir d’achat, objet du monde civique. Finalement, cette réponse revient à mettre en visibilité l’anti-sujet, celui qui pourrait être le sujet mais qui ne l’est pas. Nous sommes alors dans le cas de ce que Greimas définit comme un récit polémique, c'est-à-dire dans la confrontation d’un double parcours : celui d’un sujet et celui d’un anti-sujet. Le narrateur se place, ici, comme un destinateur-judicateur sanctionnant les autres acteurs de la médiatisation pour n’avoir pas rendu visible le bon sujet, ici l’anti-sujet. Mais ce faisant, il ne pose plus la question de la légitimité de cet évènement à être médiatisé ; la critique est détournée et la médiatisation du mariage est légitimée, du moment où elle ne nuit pas à la visibilité d’un autre objet. Il y un basculement de la compétence ‘ devoir-ne-pas-faire ’ à celle de ‘ pouvoir-ne-pas-faire ’, de l’impossibilité à la contingence. De l’autre coté, dans ‘ Le Figaro, ’ le mariage est l’adjuvant qui permet, plus loin, à Nicolas Sarkozy, en tant que sujet, d’être conjoint de l’objet « problèmes des Français ». Il explicite la performance du mariage en tant qu’adjuvant ; il permet la jonction entre Nicolas Sarkozy et le bonheur (au travers des mots de Bernadette Chirac : « ‘ La solitude ce n’est jamais bon ’ »), ce qui constitue alors un programme narratif d’usage permettant, plus loin, le programme narratif de base : la jonction de Nicolas Sarkozy avec les problèmes des Français. A l’inverse, la visibilité des « difficultés personnelles » de Nicolas Sarkozy est signifiée comme un opposant. Mais le mariage signe la fin d’une instabilité dans la vie privée du chef de l’Etat, de là, il n’y a plus rien à médiatiser et plus rien qui détourne les journalistes et le chef de l’Etat d’objets issus du monde civique.

Ces trois réponses positives à l’injonction à la visibilité du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni rendent compte du rôle de la visibilité de l’évènement dans le récit. Cette visibilité ne consiste pas à traiter de son traitement. Il y a déplacement de la fonction de la visibilité, elle passe de celle d’actant de communication à celle d’actant de narration. La légitimité de la visibilité comme support de l’énonciation est stabilisée. En conclusion, nous reviendrons sur ses différentes réponses à la visibilité pour les considérer dans leur rapport au phénomène de peopolisation comme une action. Mais pour l’instant, revenons sur le cas de l’accouchement de Rachida Dati.

Notes
1041.

GOEPFERT, 2006, op. cit. [en ligne]

1042.

Le Monde du 11/01/2006.

1043.

Libération du 11/01/2006.

1044.

L’Humanité du 12/01/2006.

1045.

Le Figaro du 12/01/2006.

1046.

La Croix du 04/02/2008, Le Monde du 05/02/2008

1047.

Gala 765 (x2), Closer 139, Ici-Paris 3266, Point de Vue 3017, VSD 1589, Voici 1053.